• Le mécanisme de la détention provisoire

La mise en détention est demandée par le juge d’instruction sur le fondement, expose Paxatagore, d’une suspicion (préférons ce terme à celui de "doute" qui paraît plus équivoque) de culpabilité.

Elle est ordonnée par le juge des libertés (il y aurait à dire sur la façon dont le droit français n’utilise jamais le terme de "liberté" autrement que pour restreindre cette dernière).

Puis vient le jugement (je passe les recours).

A chaque stade, le magistrat saisi aura pour présupposé que celui qui l’a précédé avait des éléments suffisants pour emprisonner le prévenu ; et ces éléments portent sur la culpabilité. Autrement dit, lors du procès, le tribunal se trouve en position de valider la chaîne des appréciations faites par ses collègues sur la culpabilité du prévenu.

On peut, me semble-t-il, spéculer sur une tendance psychologique des magistrats à ne pas désavouer ceux qui ont officié précédemment. Non pas nécessairement par esprit de corps, mais simplement parce qu’il est facile de s’abandonner à l’idée qu’au stade de l’instruction préparatoire, les ressources de la justice ont été employées efficacement et intensément ; plus efficacement et intensément qu’elles ne pourraient l’être lors de l’instruction, au procès. D’où, peut-être, une aisance certaine à suivre à chaque stade de la procédure l’appréciation portée initialement par le magistrat instructeur.

Voici un risque que les juristes n’évaluent guère. En correctionnelle, les prévenus sont jugés par des magistrats qui peuvent avoir tendance à confirmer plus aisément le jugement de leur pairs qu’en assises. On pourrait certes faire valoir que l’argument est réversible. Les jurés, simples justiciables peu au fait des mystères de la justice, sont appelés à se soumettre à l’autorité de l’instruction. Mais - c’est une mienne expérience - il se trouve que la crainte de condamner est bien plus grande chez les jurés que chez les magistrats. Pour reparler d’Outreau, donc, on peut s’interroger sur le destin de l’affaire si elle n’avait pas été portée devant un jury.

  • L’instruction à décharge

Cette influence du jugement porté lors de l’instruction préparatoire conduit à s’interroger sur la mission faite au magistrat d’instruire "à charge et à décharge". Il est d’usage, ces jours-ci, de présenter les difficultés psychologiques que peut éprouver un juge à rechercher tout à la fois les éléments qui inculpent et ceux qui disculpent. Mais il y a peut-être un autre vice dont on fait moins de cas.

En effet, instruire à décharge suppose de rechercher les éléments qui prouvent l’innocence - la non culpabilité - du prévenu (ou accusé). Or, c’est un principe général de droit qu’on n’a pas à administrer la preuve du fait négatif. La plupart des règles en matière civile, et le principe de la présomption d’innocence en matière pénale, veulent en effet qu’on ne soit pas tenu de prouver que l’on n’a pas fait quelque chose, ou qu’un événement n’est pas advenu. Ainsi, pour se retourner sur une règle que les étudiants de première années peinent à assimiler, ce n’est pas au créancier de prouver que son débiteur ne l’a pas payé - preuve négative -, mais au débiteur de faire la preuve qu’il s’est libéré de son obligation (a. 1315 al. 2 CC).

La raison n’est pas malaisée à comprendre. Si l’on peut imaginer faire la preuve de l’existence, il est bien plus ardu de faire celle de l’inexistence. Aussi bien, il est nécessaire, pour faire la preuve d’un fait négatif, de procéder par présomption et par l’absurde. Par présomption, on entend que le juge devra déduire un fait inconnu d’un fait connu. Ainsi les experts peuvent-ils déduire de la gomme laissée au freinage par un véhicule (fait connu) la vitesse du véhicule au moment d’un accident (fait inconnu). Concernant le fait négatif, il faut de surcroît prouver que le fait n’a pu se produire car il serait incompatible avec un fait qui s’est produit effectivement. Ainsi, je puis prouver que je ne me trouvais pas au domicile de telle personne à vingt heures, car je peux apporter la preuve qu’à cette même heure, j’encourageais bruyamment et publiquement Poisson d’Avril dans la cinquième à Vincennes. De ce que les simples mortels n’ont pas un don d’ubiquité, le juge pourra déduire le fait négatif.

Revenons à l’instruction, cependant. Dès lors que la preuve du fait négatif (l’innocence) suppose de faire la preuve d’un fait positif incompatible, il devrait appartenir au juge de rechercher ce fait positif. Deux secondes de réflexion et l’on s’inquiète. Le fait positif incompatible est indéterminé. Le magistrat ignore absolument quel est le fait qu’il doit rechercher pour faire la preuve de l’innocence, alors qu’il connaît celui qui constitue l’infraction. Il appartiendra donc au prévenu de suggérer ou de soumettre au juge d’instruction les indices susceptibles de prouver le fait positif incompatible. Un alibi, si l’on veut. Autrement dit, le prévenu est tenu de participer à la production de la preuve de son innocence - voire de l’initier ; ce qui peut semer quelques graines de doute sur la netteté de la distinction entre procédure inquisitoire et accusatoire.

Au-delà, on peut s’interroger sur les pouvoirs conférés à la défense. Dès lors que le prévenu se trouve, en pratique, invité à participer à la preuve de son innocence, il y a lieu de se demander si le juge d’instruction ne devrait pas être tenu de déférer aux requêtes formées en ce sens. Rappelons à cet égard que le juge n’est jamais astreint que de motiver son refus. Les auditions du juge Burgaud ont montré du reste qu’il n’était pas fait droit de façon systématique aux demandes faites par la défense - loin s’en faut. Elles ont montré également que de telles pratiques étaient de coutume inquisitoire. On ne peut affirmer qu’une réforme en ce sens suffirait à résoudre les problèmes - il ne faut pas négliger les tendances dilatoires de toute défense. Mais sans doute ne faut-il pas ignorer qu’il existe une tension entre les risques d’injustice et les exigences de bonne administration de la justice.

Le billet de Paxatagore sur la liberté provisoire

article préalablement publié sur diner’s room