Aimé Césaire : la fin de la « trêve » négritudienne ?
L’écrivain, poète et homme politique français d’origine martiniquaise est décédé jeudi 17 avril 2008. La disparition de cet homme, l’un des premiers chantres de la négritude pose, encore, le vieux problème, sans cesse ressassé, de la construction de l’identité africaine dans un monde dynamique.
La négritude césairenne : le combat d’un révolutionnaire controversé
Le mouvement de la négritude est apparu au grand public sous les traits du journal Légitime Défense en 1932 à Paris. A l’initiative de jeunes étudiants martiniquais ce journal qui n’est paru qu’une seule fois, prêche la libération d’un style d’écriture et d’une identité violée : celle des Africains. Pour césaire : « La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noirs, de notre histoire et de notre culture ». Comme il le dit lui-même : « Ma bouche sera la bouche des malheureux qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » A la fois phénomène civilisationel et historique, la négritude trouve avec Césaire une approche difficile, complexe, parfois brutale. Contrairement à Damas qui aborde la question de l’identité africaine sous une approche plus diplomatique, Césaire met le doigt sur la plaie sans complaisance. Au point d’indisposer ses compatriotes et d’agacer la métropole.
Dans ses œuvres Césaire s’est lancé dans la construction d’une identité qui restitue aux Africains toute leur spécificité ontologique. Fin psychologue il a invité la communauté noire à un examen de conscience impartial pour regarder en face, sans faux fuyants, son identité. En effet, à une époque d’échanges entre les peuples, les dérives de l’acculturation. Le poète iconoclaste ramène à l’ordre ces Noirs blancs ou Blancs noirs qui refusent d’afficher « leurs cheveux crépus », de « bâiller sans tralalas », de boire « l’eau de coco qui faisait glouglou dans mon ventre au réveil ». Durant toute sa vie il a mené la vie dure aux Africains qui refusent leur « négritude ». Tournant le dos à l’élite aliéné, le « bâtard » qui n’a plus de peau, plus de couleur, il a refusé le projet hégémonique de la colonie. Il a marqué un bémol à la logique de « séances de swing », de « lâchage », de « léchage » et de « lèche ».
L’on serait tenté de confiner l’œuvre de Césaire dans le registre du discours victimaire. Celui qui fait l’éloge d’un être tourmenté par son vis-à-vis. Victime passive et consentante d’un sacrifice expiatoire consacré sur l’autel de la folie du développement de nations vautours. L’écriture de Césaire est plutôt celle d’une communauté qui s’engage à sortir de sa condition en mobilisant ses ressources endogènes.
Que vaut la négritude aujourd’hui ?
Le mouvement de la négritude a tout son sens aujourd’hui. Les nombreuses crises qui traversent la plupart de nos sociétés trouvent leurs origines dans la perturbation de l’identité. Inconstante, celle-ci bouge, se déconstruit au contact des opportunités. Ainsi, l’identité peut revêtir autant de formes que de situations. D’où la difficulté à régler certains conflits armés et/ou politiques. Des communautés qui ont vécu en parfaite intelligence pendant de longues années entreront en conflit si les ressources (terres cultivables, eaux, énergie, mines, etc.) diminuent. Les logiques de conquête, conservation, renforcement ou élargissement de pouvoir de contrôle de ces ressources font le lit d’une vision manichéenne des relations. C’est l’installation d’un JE et d’un NOUS qui excluent les EUX et les VOUS. Ce qui bien évidemment empêche la construction d’un dialogue des cultures que Césaire portait en lui comme une estampille en adoptant la nationalité française. Il était l’un des nombreux exemples du métis, cet être pluriel qui bouge et circule entre plusieurs identités.
La nouvelle négritude, celle d’aujourd’hui, fait la synthèse des valeurs africaines avec celles des apports étrangers. L’Afrique ne remportera pas seule le combat du développement. Pour se faire, il faut répudier les clichés construits autour de la négritude. Il est temps de décoloniser la négritude en lui « donnant la chance de se mouvoir » pour entrevoir des perspectives globales qui s’affranchissent des frontières temporels. L’accession des Etats africains à l’indépendance de même que la participation à certaines activités de l’ONU ne signifient pas la fin de la négritude. Il s’agit de l’ajuster, de l’adapter aux nouveaux défis qui se posent à nous. Pour ne pas sonner la fin de la « trêve ».
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