Après France-Tunisie
Que révèlent les sifflets entendus lors de la rencontre France-Tunisie ? Suffit-il de souligner l’amitié entre les deux pays pour réussir, après coup, l’intégration ?
On pourra se perdre en conjectures, chercher à définir « l’héritage » ou les racines, ou la communauté, à analyser la « nationalité », ou la citoyenneté, ou le sentiment d’appartenance. Ce serait, il me semble, passer à côté du sujet. Parce qu’au fond la véritable question, ça n’est pas « lequel avant lequel ? », mais « pourquoi l’un avant l’autre ? »
Les digressions en commentaire d’un de mes billets récents, notamment avec le Faucon, me donnaient de plus en plus envie de parler de football sur ce blog. L’occasion se présente ce soir, mais peut-être pas dans les conditions auxquelles je m’attendais. Suite au match amical entre les équipes de France et de Tunisie de football, il y a quelques heures, Roman Bernard s’est fendu d’un intéressant billet sur le lien entre les sifflets qui ont une fois de plus accompagné La Marseillaise et l’état du sentiment national dans notre pays. Au moment de rédiger ce qui devenait un très long commentaire chez lui, j’ai décidé de publier le billet qui suit.
Certainement dans le but de prévenir ce genre « d’incident », on avait mis l’accent sur l’amitié entre les deux pays, les joueurs entrant sur la pelouse ensemble et non pas par équipes, et restant ainsi regroupés pour la photo et les hymnes. Dans le même souci, c’est Laam, chanteuse française d’origine tunisienne, qui dut interpréter La Marseillaise. On pouvait sentir, au moment de chanter sous les huées, son appréhension.
Comme Roman, j’ai été atterré par ces sifflets, qui se sont prolongés bien après le protocole, et pour ainsi dire pendant l’essentiel de la rencontre. J’oserais toutefois écrire qu’il n’y a là rien de plus grave qu’un peu de ferveur mal placée si le public en question avait été constitué en majorité de Tunisiens vivant en Tunisie et ayant effectué le voyage jusqu’à Saint-Denis pour soutenir leur équipe nationale de football. Mais ces spectateurs, très jeunes pour la plupart, n’ont majoritairement pas traversé la Méditerranée pour venir soutenir l’équipe de Tunisie.
Non, la grande majorité de ceux qui ont sifflé La Marseillaise, puis l’équipe de France à chaque fois qu’elle touchait le ballon, pour enfin conspuer Ben Arfa, sont exactement dans la même situation que lui : nés en France, Tunisiens d’origine. Dans ces conditions, le traitement de faveur réservé à ce joueur n’a rien d’anodin.
Naïvement peut-être, je pensais qu’Hatem Ben Arfa, joueur de l’équipe de France d’origine tunisienne, serait reçu par le public tunisien un peu comme Zidane par les Algériens. Je trouvais d’ailleurs particulièrement mal venue la décision de Raymond Domenech de lui faire débuter la rencontre sur le banc des remplaçants. À ma grande surprise, son entrée en jeu au retour des vestiaires a fait redoubler les sifflets d’intensité : sélectionné en équipe de France depuis les équipes de jeunes, Hatem Ben Arfa a par le passé refusé les avances de la fédération tunisienne, qui souhaitait le voir rejoindre la sélection du pays de ses parents. C’est dire que loin de se montrer insensible aux souhaits de son joueur, le sélectionneur national entendait certainement lui éviter une entrée en lice plus difficile encore.
Que des Tunisiens nés et vivant en Tunisie reprochent à un jeune talent dont ils partagent les origines de ne pas rejoindre leur équipe, pourquoi pas (il n’y a pas si longtemps, beaucoup de supporters avaient bien été déçus par la décision d’un jeune prodige argentin de père français de refuser les appels du pied de la Fédération française de football). Mais dans quelles conditions ces concitoyens peuvent-ils lui en vouloir de jouer pour le pays dont ils partagent avec lui nationalité, au détriment de celui de leurs origines ? Pourquoi ces spectateurs auraient-ils préféré que Ben Arfa défende les couleurs de la Tunisie ? Il me semble que c’est parce que, dans leur esprit, un choix est fait, qui place la Tunisie devant la France ; le pays d’origine devant celui du passeport ; autrement dit, l’héritage avant la nationalité.
Ces questions, et surtout la réponse que je me suis proposé d’y apporter, en appellent inévitablement une suivante : pourquoi placer l’héritage avant la nationalité ? On pourra se perdre en conjectures, chercher à définir « l’héritage » ou les racines, ou la communauté, à analyser la « nationalité », ou la citoyenneté, ou le sentiment d’appartenance. Ce serait, il me semble, passer à côté du sujet. Parce qu’au fond la véritable question, ça n’est pas « lequel avant lequel ? », mais « pourquoi l’un avant l’autre ? »
Au risque de m’aventurer à mon tour en conjectures, j’avancerai que pour les siffleurs de France-Tunisie, c’est l’héritage avant la nationalité parce qu’on ne leur a pas fait voir qu’il n’y avait aucune raison de placer « l’un avant l’autre ». Que l’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas ici de victimiser à tour de bras en chargeant la France de tous les maux, ni de leur ôter une once de l’entière responsabilité qu’ils portent en la matière. Tout ne s’excuse pas, mais l’on peut néanmoins analyser ; il n’est pas nécessaire de justifier pour comprendre. Quel mauvais pari que de sommer des individus de choisir entre un horizon qu’ils connaissent depuis des générations, et un autre qu’ils n’ont encore vu qu’à l’aube !
Montaigne, dans les Essais, écrivait déjà en 1588 (Livre III) : « C’était un monde enfant ; si ne l’avons nous pas fouetté et soumis à notre discipline, par l’avantage de notre valeur et forces naturelles, ni ne l’avons gagné par notre justice et bonté, ni subjugué par notre magnanimité. »
Etait-il impossible de demander l’intégration sans exiger l’assimilation ?
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