Après la morale les professeurs devront enseigner « l’esprit d’entreprise » !
L’actualité récente offre une illustration supplémentaire sur la manière dont s’ y prennent Président, Ministre de l'Education Nationale et Gouvernement pour faire des annonces sans discussion, sans débat, pour satisfaire des lobbies pas toujours bien intentionnés à l’égard de l’ Ecole de la République.
Après l'annonce du retour aux 9 demi-journées (qui faisait consensus il y a quelques années), de l'enseignement de la morale laïque, ...je veux évoquer l’annonce du Président de la République en date du 29 avril.
François Hollande propose de « stimuler l’esprit d’entreprise » dans l’école, en prévoyant notamment de la sixième à la terminale un programme sur « l’entrepreneuriat ». Ce faisant, il décline les impasses idéologiques qui obscurcissent la loi d’orientation en discussion au Parlement.
Avant d’aller plus avant dans mon propos et de nous prévenir des caricatures, je tiens à préciser que je ne nourris nulle aversion pour l’Entreprise.
Premièrement, je suis fils d’Entrepreneur et l’époux d’une ancienne Chef d’Entreprise qui fut engagée dans le syndicalisme patronal.
Deuxièmement, ancien Proviseur de Lycées Professionnels, j’ai eu à côtoyer l’Entreprise et ses dirigeants de manière fréquente et répétée soit pour la visite des élèves en Périodes de Formation Alternée en Milieu Professionnel, soit en qualité d’invité aux Assemblées Générales, aux Congrès des syndicats patronaux et Chambres consulaires et je compte encore nombre d' amis dans ce milieu.
Toute humilité mise à l’écart, j’étais moi-même un « patron » dans le sens où je recrutais des contractuels, je proposais des axes et des orientations à mes équipes pédagogiques, à mon Conseil d’Administration, à mes supérieurs hiérarchiques,…je gérais un budget, etc.
J’ai eu plaisir à faire labelliser un Lycée Professionnel « Lycée des Métiers », à créer des classes de Découverte Professionnelle 3 heures en Collège et 6 heures en Lycée Professionnel, à créer des sections porteuses de débouchés pour mes élèves, ...
Troisièmement, et cerise sur le gâteau, je fus un des créateurs et animateurs du Comité Local Ecole/Entreprise des Alpes de Haute-Provence en 2004, CLEE dont l’activité est aujourd’hui en sommeil mais dont vous trouverez trace des actions passées en cliquant sur le lien suivant :
http://www.clee04.ac-aix-marseille.fr/spip/
Tout cela pour dire que je suis peu suspect d’être contre l’Entreprise et que je ne pense pas que les deux mondes , Ecole et Entreprise, doivent se considérer en chiens de faïence !
Non, ce que propose M.Hollande, voulant donner des « gages » aux pigeons et au grand patronat, n’est autre que l’intrusion au sein de l’école des façons de penser de l’entreprise (et pas n’importe laquelle) et des intérêts du monde économique, ce qui constitue une régression.
L’Ecole de la République s’était mise en place en s’affranchissant de tous les intérêts locaux, clientélistes, cléricaux ou mercantiles.
Il s’agit donc d’une évolution à rebours de la construction d’un cadre national garantissant au mieux une égalité territoriale même imparfaite.
C’est en définitive ouvrir la voie à une balkanisation de l’école avec un schéma de gestion managériale.
Pourtant l’Entreprise peut être autre chose que l’univers de la cupidité si on considère le collectif en œuvre, le plaisir pris à créer et à innover comme témoigne ce salarié de SANOFI :
Alain Badorc est l’inventeur de la molécule commercialisée sous le nom de Plavix qui soigne la thrombose artérielle. Il n’a jamais touché un centime sur les ventes de ce produit qui fit les choux gras de Sanofi – le médicament représente le deuxième plus gros chiffres d’affaires au monde – et, en effet, il s’est contenté de son salaire : "je ne me suis jamais battu pour exiger un pourcentage sur le chiffre d’affaires. C’est avant tout un travail d’équipe. Certes nous sommes deux à avoir trouvé cette molécule mais sans les biologistes ou les chimistes, elle n’aurait pu être concrétisée".
Pourquoi est-il parti de Sanofi ? "J’étais à un an de la retraite et j’avoue avoir cédé aux conditions de départ offert par le plan de restructuration. Il faut savoir qu’en cas de licenciement économique, et c’était le cas, la prime de départ est défiscalisée. Je sais, c’est très égoïste. Je continue à ne pas comprendre pourquoi ce plan a été accepté. Cette année-là, Sanofi a fait les plus gros bénéfices du CAC 40. On marche sur la tête. Je suis parti également parce que la nouvelle direction ne présageait rien de bon. Elle n’a ni foi ni loi. On connaissait les méthodes de notre nouveau PDG Christopher Viehbacher. Cet homme est obnubilé par la finance. Rien à voir avec l’ancien patron, Jean-François Dehecq, un homme très simple qui discutait facilement avec les chercheurs. J’ai adoré travailler dans cette entreprise qui m’apportait reconnaissance. Mais c’est un autre temps. Aujourd’hui c’est l’argent qui est mis en avant. Et à mettre l’homme au second plan, on n’ira pas bien loin."
Conclusion ?
On peut raconter l'entreprise à travers les hommes qui la composent, et pas le cours du marché. On peut raconter les nuances, les paradoxes, les ambigüités, les histoires dans toute leur complexité comme celle de ce héros parmi tant d'autres qui vit de sa retraite – 3 000 euros – et se moque bien de ne pas être devenu milliardaire.
La société a besoin d’une articulation entre l’école et l’entreprise et non une soumission de l’une à l’autre car jamais l’entreprise ne soutiendra avec conviction la recherche fondamentale trop préoccupée qu’elle est à préférer la recherche appliquée pour avoir des gains précoces et des retours sur investissement rapides.
L’Entreprise c’est aussi le vaste champ de l’Economie Sociale et Solidaire.
Pourquoi le Président de la République n’a-t-il pas choisi de faire son annonce avec Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation, à l’occasion d’un déplacement ?
L’aveuglement idéologique de M.Hollande se situe aux antipodes de la mission première d’une école de la République digne de ses valeurs : combattre toutes les formes d’aliénation, favoriser l’émancipation.
Pour ma part, je trouve des valeurs qui peuvent être communes à l’Ecole et à l’Entreprise, pour autant qu’on les cultive : Création de biens et de services utiles, Créations de savoir et de savoir faire, validation des Acquis de l’Expérience, recherche de nouveaux process, émulation et innovation pédagogique,…[1]
Rien dans les propos présidentiels n’y concourt :
- ni la conformation annoncée à la culture entrepreneuriale ;
- ni le rabougrissement programmé des savoirs ;
- ni la mainmise encouragée d’une oligarchie de possédants sur l’institution scolaire ;
- ni la territorialisation de l’enseignement contraire au principe d’unité et d’indivisibilité de la République.
L’actuelle majorité doit changer urgemment de logiciel en matière d’éducation, sans quoi les ruptures idéologiques avec l’ancienne ne relèveront malheureusement que du champ du cosmétique.
Les propos présidentiels montrent que l’institution scolaire ne sert qu’à masquer tant bien que mal carences et renoncements d’un projet de société qui se soumet à l’austérité et ignore la réalité de la lutte des classes. Car s’en remettre à l’esprit d’entreprise comme seul viatique, c’est ni plus ni moins brader l’idéal d’émancipation.
Plus que jamais, l’école a besoin d’un projet de société de transformation qui seul lui permettra de remplir pleinement ses missions que le triptyque « instruire, qualifier, émanciper » résume au mieux.
Le Ministre de l'Education Nationale serait bien inspiré d'engager ce débat pour faire que la Société se réapproprie son école, creuset de la République.
[1] Je préfère ces valeurs à celles de la concurrence effrénée, de l’esprit de compétition générateur de stress et de tension, le tri et la sélection scolaire,
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