Après la peur... l’analyse
Chiens dangereux : une partie pithiatique de la Suisse est prête à faire la chasse aux sorcières et brûler des centaines de pitbulls sur les bûchers de son indignation, de sa colère, de son insécurité, de sa frayeur... de ses préjugés...
Rappelons-nous, décembre 2005, un petit garçon est tué par trois pitbull en Suisse, les médias ont relaté l’affaire. Certains journaux ont accusé les politiques, les vétérinaires, les associations canines (GSAM, MOLO’S, etc.), tous ceux qui conseillent des mesures de prévention et de contrôle pour toutes les races et tous les maîtres. Les médias ont demandé des mesures raciales. Une partie du public a suivi. Pétitions : 200 000 signatures pour la mise à mort et l’interdiction du Pitbull (le Blick). Le politique se prend la tête, puis, c’est logique, se tourne vers les experts et prend la tête des vétérinaires du bureau fédéral (OVF), leur demandant d’établir une liste de races à bannir... Les entités expertes en la matière sont convoquées par l’Office vétérinaire fédérale pour une audition/consultation, se laisseront-ils mettre la pression et accepteront-ils cette demande ?
Heureusement non, la raison l’a emporté.
Et pourtant, les trois pitbulls avaient été importés légalement d’Italie. Le but ? Combats de chiens sans doute (malgré l’interdiction légale des combats de chiens !), milieux mafieux assurément. Les chiens sont mal socialisés aux humains (et pas du tout aux enfants). Mais le propriétaire n’a pas gardé ses chiens sous contrôle et, malgré les plaintes du voisinage, les autorités (la police) n’étaient pas intervenues.
Et pourtant, si 200 000 personnes ont signé la pétition, des millions ne l’ont pas signée... Il y a 4-5 ans en Suisse, des événements comparables avaient entraîné une démarche constructive : Colette Pillonel (une vétérinaire comportementaliste) et Joël Dehasse (une sommité dans le comportement canin) avaient participés à l’élaboration d’un séminaire pour diagnostiquer la dangerosité des chiens et la corrélation avec les races. Près d’une centaine de vétérinaires étaient venus à cette formation. Dans la foulée de ce double week-end, de la formation des vétérinaires s’est faite, la formation des éducateurs canins (en Suisse romande) comme auxiliaires en thérapies comportementales pour les chiens.
Ce furent des démarches privées très efficientes.
Aujourd’hui, malgré la formation des vétérinaires et des éducateurs, malgré les campagnes d’éducation du public, malgré des campagnes efficaces, malgré une réduction de morsures très grande dans le canton de Neuchâtel (par exemple), malgré les multiples communiqués d’associations (GSAM entres autres) aux rédactions médiatiques (jamais publiées !), malgré l’inefficacité des interdictions raciales (Royaume-Uni, France...), certains médias réussissent en Suisse à manipuler les sentiments d’un certain public en poussant sur les capteurs de l’insécurité menant à la psychose.
Une vague de peur et d’indignation déferle sur la Suisse et, comme toujours dans pareil cas de dévotion "religieuse", on va élever des bûchers et brûler des sorcières. La sorcière du jour, c’est le pitbull (et quelques autres races).
C’est un superbe exemple d’attaque redirigée. Il faut que quelqu’un soit responsable : ce ne peut pas être l’enfant ni ses parents ni les douaniers qui ont contrôlé que les papiers étaient OK ni la police qui n’a pas répondu aux signalements de chiens dangereux ni les voisins : ce sera le propriétaire des chiens qui est incarcéré (et depuis le procès libre, sans interdictions de possession de chiens... et demain ?) et les chiens qui seront condamnés et tous les chiens surmédiatisés, molossoïdes et terriers de type bull. Faut-il rappeler qu’une race n’est pas un groupe de duplicatas et que si un pitbull est létal, cela ne signifie pas que tous les pitbulls sont mortels.
Une caractéristique comportementale a une répartition gaussienne (en courbe de Gauss, en courbe en cloche). On trouvera des labradors et des golden retrievers (etc.) plus dangereux que des pitbulls.
Tous les chiens ont une génétique commune, ils descendent tous des mêmes ancêtres, ils peuvent tous se reproduire les uns avec les autres. Dès lors, la notion de race est très surfaite. La fédération cynologique propose des standards de race, qui sont à 95-99 % des typologies physiques (somatotypes). Actuellement, scientifiquement, on n’a jamais pu lier des groupes de caractéristiques comportementales (des personnalités) à des somatotypes. Si jamais on arrivait à décrire l’ensemble des comportements d’une race, ils ne seraient jamais spécifiques, puisqu’ils se retrouveraient dans de nombreuses races. Et si quand bien même on y arrivait, cette description changerait de pays en pays...
Néanmoins, si on veut un chien de combat, on peut le sélectionner sur des caractéristiques comportementales : résistance à la douleur, désir et acharnement à combattre, puissance musculaire, manque de contrôle dans l’attaque et les morsures... On peut le faire pour n’importe quelle race de chien. En peu de temps, on peut très bien fabriquer du labrador ou du bobtail de combat (le somatotype du labrador a par ailleurs certains éléments en commun avec celui du pitbull). On peut faire de même avec n’importe quelle race. De nombreuses races ont eu mauvaise réputation parce qu’elles ont été sélectionnées et entraînées au combat (contre des chiens, des taureaux, etc.) ou parce qu’elles ont été associées avec des groupes humains (nazis, punks...).
N’oublions pas que depuis quelques années, les médias adorent le pitbull qui fait vendre des millions de journaux. Les médias n’ont aucune intérêt si un chow-chow ou un lévrier ou un cocker défigure un enfant. Dans son collimateur se trouvent les molossoïdes et terriers de type bull (ce sont des races que peu de gens connaissent). L’information pré-mâchée pour le public est biaisée. Une fois le pitbull éliminé (ce qui semble plus qu’improbable : il n’est pas reconnu comme race par la Fédération canine internationale, donc assimilé à un bâtard), les médias se trouveront un autre chien bouc émissaire.
Et n’oublions pas que les médias ne prennent pas la responsabilité des événements qu’ils déclenchent. Un journaliste suisse n’ira pas en prison s’il est à l’origine de la haine du public pour certains chiens ou même pour la mise à mort de centaines de chiens... Mais ne condamnons pas les médias, ils ne font que pousser sur les bons capteurs de l’insécurité du public. Les gens de la société occidentale ont peur ; ils vivent dans la peur ; mais comme ils n’ont pas une bonne guerre à survivre, et que la grippe aviaire semble ne pas intéresser à ce point, il faut bien trouver un pestiféré. Une partie du public suit aveuglément le coupable tout désigné par les médias.
Bon, après le sacrifice des pitbulls, c’est logique, aucun enfant ne sera plus tué par un pit. Cela signifie-t-il qu’aucun enfant ne sera tué par un chien ? En Suisse, il y a quelques années, un saint-bernard tue une fillette au Valais, un teckel tue un bambin dans son landau aux Grisons, deux malinois tue un jeune homme dans la campagne bâloise. On peut continuer la liste. On oublie de relativiser...
Je comprends qu’on soit déstabilisé par la mort d’un enfant sous les crocs des chiens. La mort d’un enfant est toujours terrible pour les parents. Pour les spectateurs directs ou indirects (il faut dire que beaucoup de gens sont scotchés devant la télévision où on leur sert la mort quasiment en direct ; ils sont consommateurs d’horreur, comme les Romains adoraient voir les chrétiens se faire dévorer par les lions dans le cirque ). Les spectateurs directs et indirects vivent un choc post-traumatique ; ils imaginent leur propre enfant, un être qu’ils aiment, déchiré par les dents d’un chien... Ils vivent l’événement comme s’ils y avaient été directement confrontés. Ils vivent aussi leur impuissance...
En 1995, les accidents de la circulation ont tué 375 enfants et en ont blessé 15 463... (en France). On n’a jamais interdit les voitures... On n’a d’ailleurs jamais étudié si les BMW tuaient plus d’enfants que les Mercedes...
La suppression des pitbulls ou d’autres races ne changera rien à la santé/sécurité publique. Mais, en effet, les enfants ne seront plus tués par des pitbulls, mais par des retrievers, des bergers...
Ma stupéfaction, c’est la vindicte populaire guidée par des spin-doctors (médias, politiques populiste en Suisse)... On commence par les pitbulls... et ensuite... ?
On oublie de relativiser... En effet, quels sont les bienfaits du chien pour la société ? Et quels en sont les risques ?
On voudrait tous les bienfaits, mais sans les risques. Mais dans la vie, rien ne fonctionne comme cela : ni les voitures ni les médicaments ni même les gens... Pourquoi demander l’impossible aux chiens ?
Que devraient faire les vétérinaires ?
Doivent-ils faire quelque chose sous la pression du politique ? Pourquoi ne pas laisser la réaction émotionnelle publique s’éteindre toute seule ? Elle n’est jamais que le reflet des formes-pensées de la société... Imaginer que l’on puisse l’arrêter avec quelques mots raisonnables serait une douce illusion (on ne raisonne pas l’émotionnel !).
Si les vétérinaires veulent faire quelque chose, sachant qu’ils n’ont ni pouvoir politique ni puissance médiatique, c’est de rester intègres face à leur éthique et leur expertise scientifique. Ils peuvent dire et répéter que supprimer des races ne changera rien au niveau sécurité publique, que le risque 0 n’existe pas et n’existera jamais, que la vie est risque...
Ils doivent faire bloc, rester calmes et sereins dans la tempête, ne pas céder aux « pressions » du politique.
Déjà que les lois actuelles (de sécurité publique) ne sont pas respectées, à quoi bon inventer de nouvelles règles ?
Que devraient faire les associations molossoïdes et canines en général ?
Tout comme les vétérinaires, faire bloc, se mettre en concordance et continuer de démontrer par leurs connaissances du terrain, que les molosses ont une fantastique prédisposition d’adaptation, d’éducabilité et d’insertion dans la vie familiale, de faire entendre au sein de la population, l’ineptie de les répudier. En un mot, de ne pas laisser se propager la psychose...
L’observation en métaposition permet de surprenantes constatations.
Au-delà du débat sur les races de chiens et la montée du racisme lors de peur collective, c’est l’insécurité publique qui est étonnante à observer. La peur de la mort n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui...
Le pouvoir des médias est incroyable sur le public : (en général et sauf exception) les médias ne raconteront pas des choses heureuses, ils ne diront pas combien d’enfants sont nés en bonne santé et heureux, ils diront ceux qui sont morts, combien de molosses ont sauvés de vies, mais celles qu’ils ont stoppées. Ils se nourrissent du malheur, parce que ça se vend bien, parce que le public est nécrophage. Et pourquoi ? Parce que les gens sont malheureux et qu’en voyant plus de malheur autour d’eux ils se sentent relativement mieux et moins malheureux...
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