Après la presse, la télé, l’avènement de la littérature peopolitique
On connaît le succès des tabloïds et magazines people, hérité de nos voisins d’outre-Manche, qui font la fortune des groupes de presse, le plein des salles d’attente, les délices des gogos en quête de ragots, et permettent au tout-venant de vivre une vie de star par procuration.
On a, également, depuis de longues années, pris l’habitude (et le goût ?) des émissions télé du même tonneau : pseudo "télé-réalité", concours de futures "stars", reportages people ou lieux de goguette pour la jet-set : le rêve à bon marché ; le cul dans le canapé, la tête dans les "étoiles" du show-biz ou de l’argent, temps de cerveau disponible, anesthésié, pour oublier un moment les conditions de plus en plus dures d’une réalité qui se dérobe...
Depuis déjà plusieurs années, nous avons été habitués à l’irruption de cet univers du clinquant, de l’esbroufe, des strass, des paillettes, des rumeurs, des ragots, et des "scoops" moisis, sur les rayons des bibliothèques.
Il suffit qu’un des acteurs de la "notoriété", quel que soit son domaine (tout y fait ventre) : sports, chansons, télé, show-biz, ait connu, dans sa prime enfance, une varicelle un peu compliquée, ou, (ô joie), des problèmes familiaux, de préférence tortueux, pour qu’un livre y soit consacré, avec force publicité, promotion sur tous les plateaux de la télé-étalage des petits bobos, des drames intimes, des tics et tocs (où l’éthique est toc), et des revanches-sur-un-destin-injuste, vous avez bien du mérite...
Sur les écrans de la consommation, défilent, devant nos yeux embués, en promotion de leurs confidences retranscrites par écrit, les dynasties d’acteurs, de chanteurs, de téléistes, les révélations d’ex-gigolos empâtés aux petits fours des réceptions mondaines, les conseils d’ex-starlettes reconverties en douairières des bonnes manières, venant rejoindre les recettes des bains de siège aux plantes qui ont fait le succès de chanteuses populaires, des potins de potes aux popotins empotés : une véritable cour des miracles incroyables mais vrais, où les m’as-tu-vu de la nouvelle scène viennent faire un étalage indécent de leurs petits secrets et de leurs grands drames cachés.
Vie privée, vie publique : l’envers du décor fait vendre, permettant à chacun de pénétrer par une effraction consentie dans des intimités qui permettent l’illusion de les vivre par procuration
Je ne parle pas ici (et pour cause) des biographies d’artistes, qui peuvent présenter un intérêt pour les fans, et qui ne tombent pas dans le sensationnalisme à tout prix, se contentant d’évoquer la genèse de vies dévolues à un art populaire.
En revanche, pour le moindre fait divers, pourvu qu’une personnalité un tant soi peu connue y soit mêlée, les magazines ne suffisent plus : il y faut un livre : il s’en édite plus de 50 000 nouveaux par an en France (80 000 en comptant les rééditions), et s’en vend à peu près 480 millions d’exemplaires.
Il faut savoir que la moyenne du nombre d’exemplaires vendus, par livre, est d’environ un peu plus de 7 500, ce qui veut dire que le CA des maisons d’édition doit se réaliser sur un nombre de titres de plus en plus grands, mais dont chacun, en moyenne, se vend moins : il s’agit donc de multiplier les titres, quitte à ce qu’il n’y ait pratiquement rien derrière le nom et la couverture.
Pour être précis, il faut encore savoir que seuls les ouvrages scolaires, ceux de vraie littérature, de bandes dessinées et les encyclopédies et dictionnaires ont un tirage moyen supérieur à 10 000 exemplaires, ces trois secteurs représentant presque 50 % du chiffre d’affaires total.
Enfin, 19,1 % des livres vendus le sont en librairie alors que 21,8 % le sont par de grandes surfaces spécialisées (type Fnac ou Virgin) ou des chaînes de librairies et 20,1 % par les grandes surfaces (hypermarchés), ce qui démontre l’essor considérable de ces deux derniers types de canaux de commercialisation du livre, au détriment de la librairie indépendante.
On comprend donc aisément l’intérêt des éditeurs pour ce type de "littérature", disponible dans les supermarchés, que l’on ramène dans son caddie, entre les courses pour la semaine, les programmes TV et les tabloïds ; objets de consommation courante et immédiate.
L’irruption du peopolitique...
Et voici que, depuis peu (quelques années, mais beaucoup plus précisément ces derniers mois), se produit une formidable accélération de l’irruption, dans ce véritable salon de l’étalage, des "livres" consacrés aux personnalités politiques ; une véritable peopolitisation de l’édition.
Nous parlons bien ici d’objets consacrés ; non pas à l’analyse de tel ou tel aspect de tel ou tel comportement politique : pratique, théorique, programmatique, décisionnel ou comparatif ; ou encore de biographies essayant de retracer la logique, les conditions, les circonstances d’une destinée, d’une carrière ; non.
Il s’agit bien d’opuscules traitant de petits à-côtés, de pseudo-confidences, de bruits de coulisses, de vraies ou fausses révélations d’alcôve, de dézinguage ou d’apologie des personnages politiques d’actualité, que l’on retrouvera, par ailleurs, sur les plateaux télé des grand-messes dominicales.
Depuis la dernière campagne présidentielle, combien d’objets d’édition sur Ségolène Royal, mais surtout, évidemment, majesté oblige, sur le locataire de l’Elysée ; ses femmes ; ex et nouvelle, prétendantes et délaissées ; la saga Sarko bat son plein d’émotions, d’on-dit, de paillettes, de rebondissements, d’épanchements divers, d’aventures (a)variées : trop fastidieux à rechercher ; vous ferez le compte vous-même...
Dernier opus en date de cette saga nauséabonde, "Carla et Nicolas, la véritable histoire" : les confidences de la femme du président elle-même à deux personnages se prétendant "journalistes".
Que ces individus, avec le consentement de l’égérie-Lancia, se fassent de la pub et du fric, en se comportant comme de vulgaires chroniqueurs, sortant, sous forme de livre, ce qui devrait être confiné aux rubriques people des tabloïds à sensation et à commérages, et attirent dans leurs filets poisseux le genre de gogos que ces appâts excitent, ma foi, grand bien leur fasse : nul n’est contraint à l’abêtissement.
Mais cela signe, malheureusement, une idée assez précise de ce que devient la "culture" sous l’égide d’un président dont on sait que les références, à ce sujet, le rapprochent plus de l’ambiance des spotlights que du siècle des Lumières.
Après la presse et la télé , voici donc venue l’époque de l’édition-caniveau peopolitique : c’est à qui y trouvera le ruisseau le plus fertile à alimenter la soif de potins en vogue, et de confidences à se répercuter sous le manteau : ça ne mange pas de pain, ça fournit de la matière au temps de cerveau disponible à la télé, et, par la même occasion, ça contribue à diffuser le parfait écran de fumée qui évite d’avoir à parler des mesures d’une politique et de ses désastreux effets sur le quotidien de la grande majorité des citoyens, grugés et entourloupés par le cirque médiatique.
Rêvez, on s’occupe du reste...
Documents joints à cet article
25 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON