Après les Attentats
Dix jours. Il doit être possible maintenant d'aborder la question des attentats islamistes de façon plus raisonnable.
En partant des actions elles mêmes, deux évidences : c'est une action coordonnée ayant engagé un dizaine d'acteurs directs et beaucoup plus si on prend en compte la logistique nécessaire pour préparer et réaliser cette action. On ne peut plus, on ne pouvait déjà plus après les attentats de janvier, parler de « loups solitaires », expression qui n'a pas de sens pour Gilles Kepel. Maintenant, c'est évident pour tout le monde.
Le problème avec Daech, c'est qu'il dispose, d'après Marc Trévidic, d'une main d’œuvre volontaire telle qu'un échec n'est que partie remise : ils peuvent facilement « gâcher du personnel », alors qu'un échec des services a un coût important. En vies humaines innocentes. Pour Daech, ce ne sont pas les multiples échecs qui comptent mais le succès, un seul suffit à montrer sa puissance.
Ceci dit, on est surpris par l'importance du probable réseau qui n'a pas été décelé. On peut déjà dire que pour renforcer le renseignement et le rendre plus efficace, il n'est pas nécessaire de grandes mesures législatives ou constitutionnelles. Une augmentation des moyens en hommes et en matériel sûrement.
Lors des précédents attentats, individuels ou collectifs, les actions semblaient orientées vers des objectifs ciblés, étroits, « justifiés » par des prétextes : attentats antisémites sous prétexte d'antisionisme, contre les journalistes sous prétexte de caricatures blasphématoires...
Cette fois, il ne s'agit ni d'antisionisme (dévoyé en antisémitisme), ni de blasphème à moins de considérer comme blasphématoire d'aller à un concert de rock, à un match de football ou de s'installer à une terrasse de café pour boire avec des amis. Motifs invoqués par Daech : « la capitale de l'abomination et de la perversion... le Bataclan où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de la perversité ». Déjà un précédent projet d'attaque de concert rock avait été déjoué.
Il faut souligner que ces cibles ne peuvent être protégées par la présence statique de militaires à la porte de chaque salle de spectacle, de chaque café, de chaque terrain de sport…
Place de la République à Paris
Face à ces événements, le gouvernement a réagi sur plusieurs plans, policier, législatif, constitutionnel. Le gouvernement est poussé à prendre des mesures qui rassurent la population, tout en étant conscient, quelquefois, de leur inutilité. Réagir à l'événement par de nouveaux textes pris dans l'urgence semble une méthode de gouvernement reprochée, hier, à la droite, aujourd’hui suivie par la gauche. Est-elle plus efficace ? Elle rassure, c'est l'essentiel !
Alors que tout le monde prend conscience du fait que les auteurs des attentats sont issus de la société française, on peut se poser la question : qu'est ce qui a été fait en réponse aux émeutes de 1995 qui étaient un appel à la société française ? Malheureusement non entendu.
Si le bâti a quelquefois été amélioré dans les quartiers populaires, l'attention à la population, notamment aux jeunes, a été bien moindre. Depuis deux, trois générations des quartiers entiers sont abandonnés au chômage, à la misère…
Une des promesses de François Hollande aux jeunes, la lutte contre les contrôles au faciès, a récemment été abandonnée.
Réponse urgente aux attentats, les circonstances de la légitime défense des forces de l’ordre viennent d'être élargies, le port d'arme vient d'être autorisé pour les polices municipales… Ces mesures ne tranquilliseront pas les jeunes ! Prises plus tôt, auraient-elles été efficaces pour prévenir ou réprimer les attentats ? Ou annoncent-elles de nouvelles « bavures » ?
Qui peut penser que de nouveaux textes pour permettre la déchéance de la nationalité française (déjà possible d'après Patrick Weil), pourraient avoir un effet dissuasif sur les candidats au djihad… mais cela fait plaisir à certains.
La structure de « désendoctrinement » de la région parisienne pour les candidats au djihad a été supprimée, les salaires n'ont pas été versés ! Et l'expérience de police de proximité a été supprimée au lieu d'être prise en considération pour une amélioration éventuelle.
François Hollande n'a pas réagi seulement par des textes sur le plan intérieur. Il a aussi réagi sur le plan extérieur. Les attentats étant motivés par l'intervention de la France contre Daech, il ne pouvait répondre que par une accentuation de cette intervention qui n'est que complémentaire de celle des États-Unis et qui ne peut contribuer à la victoire sur Daech sans une intervention au sol.
Mais qui peut faire une telle intervention ? La France ? Les États-Unis ? Les précédents de l'Afghanistan, de l'Irak semblent avoir retenu Obama et les États-Unis. Seule une solution politique peut apporter une paix durable. Avec la participation du peuple syrien. Certes. Mais avec quels alliés locaux ? Tous sont aussi peu démocrates les uns que les autres : Bachar El Assad, l'Arabie saoudite… Ceux qui achètent son pétrole, son gaz, ses phosphates qui contribuent à près de la moitié d'un budget fort confortable de Daech, 2,5 milliards de dollars de revenus par an. Ceux qui achètent des armes à la France, le PSG, des immeubles sur les Champs Élysées ou investissent dans des entreprises françaises et financent les intégristes du monde entier ?
De toute façon, l'intervention d'une ou plusieurs démocraties occidentales serait rapidement vécue que comme une occupation. Reste la possibilité d'une intervention de l'ONU ?
L'abandon des quartiers populaires ne suffit pas à expliquer le départ pour la Syrie et la participation de jeunes français au djihad islamique. La Belgique fournit une part plus importante de jeunes proportionnellement à sa population. De même que la Suède qui n'a pas de passé colonial, qui fournit l'aide la plus importante au développement (que la France a diminuée) et dont la politique sociale est souvent qualifiée d'exemplaire. Un problème dont les musulmans de Suède ne parlent pas ouvertement... (Quotidien Svenska Dagbladet : Suède Eurotopics 17/11/15)
Car il faut peut-être aussi parler de la dérive de l'islam dans un islamisme que certains qualifient d'islamo-fascisme. Sans faire et sans crier aussitôt à l'amalgame (1). Il est clair que tous les musulmans ne sont pas des islamistes. Il est tout aussi clair que tous les islamiste sont des musulmans de plus ou moins fraîche date. Qu'un tiers des djihadistes français soient des convertis ne change rien au problème, bien au contraire. Les auteurs sont des musulmans et le plus souvent les victimes, au Liban et en Algérie pendant la décennie noire. Les auteurs de l'attentat de Bamako seraient les Algériens du groupe Al Mourabitoune avec, à sa tête, Mokhtar el Mokhtar ancien du GIA (Groupe islamique armé), en Algérie puis d'Al Qaïda au Maghreb islamique. Et Boko Haram qui sévit régulièrement au Cameroun, au Tchad, au Niger et surtout au Nigeria : récemment, un attentat suicide, deux jeunes filles âgées de 18 et 11 ans selon la police, a fait quinze morts et plus de cinquante blessés à Kano (Euronews 19/11/15).
Et comme il appartient à tous les Français de clamer leur désaccord avec tous les racistes français, leur accord ou leur désaccord avec la politique de la France, il appartient à tous les musulmans de dénoncer tous ceux qui utilisent l'islam pour justifier leurs crimes. On peut soutenir ou critiquer les organisations françaises qui se proclament antiracistes mais elles existent. On peut soutenir ou critiquer les organisations juives qui luttent contre le racisme et pas seulement contre l'antisémitisme. Ou des associations juives antisionistes. On attend les associations musulmanes de luttes contre l'islamisme se prononcent en toutes occasions.
Place de la République à Paris
Fort heureusement, à la suite des derniers attentats et pour certains après les attentats précédents, des voix se sont élevées. Des imams sont allés se recueillir sur les lieux des attentats ou place de la République, des associations cultuelles ont pris position nettement… Pas seulement en France.
C'est ce que demande le quotidien turc, islamo-conservateur, Zaman : les musulmans dans le monde n'ont pas adopté une position assez claire contre les attentats terroristes commis au nom de l'islam (cité par Eurotopics 17/11/15).
En Italie, « la communauté religieuse islamique italienne manifestera samedi pour les attentats de Paris ‘’nous sommes proches des victimes et du peuple français’’. Le vice-président Yahya Pallavicini : ‘’un message qui veut indiquer un tournant fort dans les relations entre la société civile et l’État italien dont nous nous sentons partie intégrante’’ et pour ‘’isoler toute forme de radicalisme’’ » (La Repubblica 19/11/15).
C'est ce que fait le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui a demandé que le prêche due vendredi 20 novembre soit consacré aux attentats du 13 et rende hommage aux victimes. Il a lancé un appel solennel qui affirme le « rejet catégorique et sans ambiguïté de toute forme de violence ou de terrorisme qui sont la négation même des valeurs de paix et de fraternité que porte l’islam ». « Nous musulmans de France, sommes des citoyens à part entière, faisons partie intégrante de la nation et solidaires de la communauté nationale. Nous musulmans de France, proclamons notre attachement indéfectible au pacte républicain qui nous unit tous ».
Et Abdenour Bidar, dans le Figaro du 19/11/15, va plus loin. « Au bord de ce péril, les réactions des musulmans eux-mêmes qui expriment leur dénonciation de Daech sont nécessaires et salutaires, indispensables pour faire diminuer la suspicion à l'égard de l'islam. Mais c'est insuffisant. Tragiquement insuffisant. Il ne suffit plus de dire ’'ne faisons pas l'amalgame entre islam et islamisme''. Comme je l'ai écrit dans ma Lettre ouverte au monde musulman, les musulmans du monde entier doivent passer du réflexe de l'autodéfense à la responsabilité de l'autocritique.
De plus en plus de musulmans prennent conscience qu'il y a là un cancer interne de civilisation gravissime, un cancer qui se généralise à grande vitesse et face auquel les courants progressistes reculent ».
Bien sûr, les récents attentats comme ceux de janvier, sont l'occasion pour les racistes de donner libre cours à leurs haines. Et nous devons, tous ensemble, les condamner. C'est à partir du travail qui sera fait par chacun dans son milieu qu'une unité populaire, et non l'union nationale, pourra être reconstruite.
1 - Amalgame : nom masculin, du latin médiéval des alchimistes amalgama, de l'arabe 'amal al-djamā, a, fusion, union charnelle (Larousse)
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