Arche de Zoé : « l’esprit sapeur-pompier »
L’Arche de Zoé, une ONG qu’on ne présente plus depuis quelques jours, est née de l’initiative d’un pompier d’Argenteuil, Éric Breteau, pour venir en aide aux enfants victimes du tsunami du 26 décembre 2004 dans la région de Banda Aceh en Indonésie. Avec deux journalistes et des membres de son ONG, il vient d’être arrêté au Tchad, accusé de « vol d’enfants » et « d’escroquerie ». Que s’est-il passé ?
Un extrait du rapport-récit des activités de l’ONG en
Indonésie, sous le sous-titre l’Esprit sapeur-pompier, donne une première
indication.
« L’action humanitaire d’urgence au profit des victimes de grandes
catastrophes naturelles est une activité qui ne s’improvise
pas.
La dimension très particulière du tsunami a fait intervenir plusieurs centaines d’organisations sur le terrain dans une certaine confusion. Entre les grandes institutions faisant preuve de lenteur et d’inertie à se mettre en action et les petites associations inexpérimentées n’arrivant pas à "trouver leur place", l’Arche de Zoé a su, dès les premiers jours, se rendre efficace et apporter une aide concrète et précieuse aux victimes.
L’état d’esprit sapeur-pompier qui anime l’Arche de Zoé a en effet permis de cibler très rapidement les priorités et de définir un plan d’action cohérent entre les besoins réels des victimes et les ressources disponibles sur place.
C’est un enseignement qu’il ne faudrait jamais oublier, quelles que soient les réussites auxquelles une ONG ou une institution humanitaire peut prétendre, elle doit savoir faire preuve de cœur, de sincérité et rester suffisamment humble pour prendre en compte les besoins réels des personnes dans la détresse. Certaines institutions devraient avoir l’honnêteté de donner la priorité à l’action sur le terrain au service des victimes plutôt qu’à leur gestion financière, cela ne pourra que faire honneur à leurs donateurs et à leurs partenaires.
L’éthique et le sens du devoir des sapeurs-pompiers, tout comme leur
devise "Courage et dévouement", devraient
être les maîtres mots de toute ONG qui se respecte. »
On sent l’exaspération de qui a déjà été confronté à une situation d’urgence et
a constaté que les grandes ONG internationales ont des intérêts propres en dehors
des victimes. Je comprends vraiment bien ce reproche : on ne peut pas demander
à une structure internationale de milliers de personnes d’agir à l’échelle
d’une seule, l’empathie est dépassée par un sentiment de distanciation plus
professionnel (sans lequel il n’est peut-être pas possible de supporter
psychiquement une telle accumulation de situations traumatisantes). Cela
détermine les relations sur un mode très utilitaire, brutal, que l’on peut
retrouver en Europe chez les infirmières quand, et c’est souvent le cas, elles
ont la charge de trop de patients en même temps. C’est aussi ce qui explique
que j’aie entendu parler d’exclamations satisfaites dans le bureau d’une grande
ONG française à l’annonce de telle ou telle catastrophe humanitaire : les
affaires reprenaient. J’en avais conclu, pour ma part, à la nécessité de ne
plus chercher à travailler dans le développement (ce n’était pas la seule
raison). Éric Breteau et ses collègues en ont tiré une conclusion inverse : ils
feraient de l’humanitaire à leur manière, directement.
Les images tournées par Marc
Garmirian, le reporter de l’agence CAPA qui suivait les membres de l’ONG
(et a été emprisonné avec eux), montrent des images de personnes sincères.
Tellement sincères qu’elles livrent le projet à nu, dans toutes ses failles.
Non, ils ne sont pas sûrs que tous les enfants sont orphelins. Oui, les enfants
sont mieux avec eux que dans leur village, parce qu’ils y sont pauvres et en
mauvais état sanitaire. Non, pas de problème de conscience avec ça. Au
journaliste qui leur fait remarquer qu’ils s’assoient sur les règles
internationales, une première jeune fille répond : « Pourquoi ? Quelles
règles ?... » Un homme (assez jeune, le crâne ras, le même que sur les
photos d’Indonésie : Éric ?) prend la parole et enchaîne, très animé : « Ce ne
sont pas des règles ! Ce n’est pas parce que les autres sont frileux, ce n’est
pas parce que les autres ne font rien et laissent mourir des gens qu’ils
suivent les règles ! Qui dicte les règles ? »
Eux, en tout cas, n’ont considéré que les leurs, n’hésitant pas à mentir quand
cela les arrangeait, la fin justifiant les moyens (« Ils meurent ! »). On
imagine l’énergie qu’il a fallu mobiliser pour monter un projet pareil, le
budget qu’il a fallu réunir (plus de 500 000 euros), les personnalités qu’il a
fallu corrompre pour qu’elles ferment les yeux (l’avion qu’ils avaient loué
disposait d’un plan de vol officiel...). Éric Breteau, en plus d’être pompier,
est président de la Fédération française de 4x4, ce qui lui a sans doute permis
de recueillir le soutien d’Hubert Auriol, ancienne gloire française du
Paris-Dakar. De l’allant, donc, beaucoup d’énergie et un tempérament de
justicier motorisé. C’est typiquement sur ce genre d’indignation baroudeuse
qu’est né MSF, il y a près de 35 ans.
Mais le 4x4 n’est décidément pas un engin sensible : l’Arche de Zoé a accumulé
les erreurs. Des familles françaises engluées dans les terribles procédures
d’adoption internationale (il faut compter des années de démarches) y ont vu
l’opportunité de court-circuiter, peut-être, les étapes qui les séparaient de
leur rêve d’enfant. Des intermédiaires ont probablement dû flairer les pigeons
faciles à flouer, razziant (revendant ?) quelques dizaines d’enfants au hasard
et les faisant passer pour des enfants en provenance du Darfour (il faut
imaginer que toute la scène se passe au Tchad, à des centaines de kilomètres
des combats vers lesquels ils n’ont pas le droit de se diriger). Demander leur
avis aux Tchadiens, aux habitants du Darfour ? À quoi bon, puisqu’ils sont
pauvres et que, de toute façon, l’association est là pour les aider... Figures
classiques du colonialisme civilisateur.
Encore une fois, l’enfer est pavé de bonnes intentions. L’Arche de Zoé n’a
malheureusement pas fini de faire parler d’elle, car, en plus d’avoir commis un
crime grave (on n’arrache pas ainsi des enfants à leur pays sans l’accord de
celui-ci), d’autant plus terrible qu’il a été commis avec la meilleure foi du
monde (comme quoi la foi peut faire faire beaucoup de bêtises), elle se
retrouve monnaie d’échange dans un jeu qui la dépasse. Otage de fait, elle est
aux mains du gouvernement tchadien qui récupère là un pouvoir de négociation
avec Paris qui doit prochainement prendre le commandement d’une force de
maintien de la paix dans la région. L’État français s’est d’ailleurs empressé
de faire savoir à quel point il désapprouvait le projet... Les autres ONG
humanitaires se tairont ou condamneront ces collègues maladroits et
encombrants. La presse ne parle que des journalistes, traitant déjà l’Arche de
Zoé de « pieds nickelés de l’humanitaire » (ce qui n’est pas faux)... Pour les
membres de l’ONG, la désillusion doit être terrible. Espérons pour eux qu’ils
ne paieront pas trop cher leur leçon : ils ne sont pas coupables d’avoir
inventé la morale humanitaire, seulement de l’avoir mise en œuvre
grossièrement.
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