Arche de Zoé, une affaire compliquée
Hier, Idriss Déby, le président tchadien a annoncé officiellement la grâce des membres de l’Arche de Zoé, l’occasion de faire un retour sur cette affaire quelque peu obscure.
Tout
a commencé en juin, le président de L’Arche de Zoé Eric Breteau avait
annoncé un projet d’évacuation d’enfants soudanais du Darfour. Le 24
octobre 2007, à Paris s’ouvre une information judiciaire pour "exercice
illégal de l’activité d’intermédiaire en vue d’adoption". Le lendemain,
neuf Français (six membres de l’association et trois journalistes) et
sept Espagnols de l’équipage de l’avion affrété pour l’opération, sont
arrêtés à Abéché (est du Tchad), où l’organisation, baptisée Children
Rescue, s’apprêtait à faire embarquer 103 enfants vers la France. Dès
le 28 octobre, le président Nicolas Sarkozy juge l’opération
"illégale", le lendemain, les Français sont inculpés pour "enlèvement
de mineurs" et "escroquerie" alors que les Espagnols le sont pour
"complicité".
Le 2 novembre, 17
Européens et quatre Tchadiens sont incarcérés à N’Djamena. Deux jours
plus tard, les quatre hôtesses de l’air espagnoles et les trois
journalistes français sont libérés puis rapatriés à Madrid et à Paris
après une visite au Tchad du président Sarkozy. Une semaine plus tard,
les trois derniers Espagnols et le pilote belge sont relâchés. L’Unicef
affirme que la quasi-totalité des 103 enfants ont été identifiés, la
grande majorité sont tchadiens.
Le
12 décembre, les dix inculpés (six Français, trois Tchadiens et un
Soudanais) sont renvoyés devant la Cour criminelle. Les douze autres
ont bénéficié d’un non-lieu.
10
jours plus tard s’ouvre le procès devant la Cour criminelle de
N’Djamena, les six Français sont condamnés à huit ans de prison
assortis de travaux forcés. Un Tchadien et le Soudanais sont condamnés
à quatre ans de prison, les deux autres Tchadiens acquittés. Juste
après Noël, le 28 décembre, les six Français sont rapatriés du Tchad
pour être incarcérés en région parisienne.
9-10
janvier 2008, dans le volet français du dossier, mise en examen à Paris
du logisticien de L’Arche de Zoé, Alain Péligat, du médecin Philippe
van Winkelberg et de la compagne d’Eric Breteau, Emilie Lelouch.
Le
28 janvier, la justice française prononce une peine de substitution de
huit ans de prison à l’encontre des six membres de l’Arche de Zoé. Une
semaine plus tard, le 6 février, le président tchadien Idriss Deby
évoque la possibilité d’une "grâce" des six Français condamnés si Paris
le lui demande. Les avocats des six Français lui adressent des demandes
de grâce. Le 13 février, Eric Breteau est mis en examen dans l’enquête
française sur l’association.
Hier, le 31 mars, les six Français sont graciés par le président tchadien Idriss Deby selon deux décrets publiés à N’Djamena.
Mais cette affaire a, en fait, été un peu plus complexe que cela. « Ils voulaient offrir à des orphelins du Darfour une enfance heureuse dans un pays en paix ; ils sont rentrés sous les huées. Ils se rêvaient en chevaliers de l’humanitaire ; on les boucle en prison comme de vulgaires malfaiteurs. ». Difficile de trancher entre la réalité de l’opération et les intentions de l’association. Mais revenons un peu sur les débats de presse depuis six mois. Au début, les journaux ne se mouillaient pas trop, on parlait bien « d’humanitaires », mais on qualifiait leurs actions d’« étrange affaire » ou d’ « extravaguant projet ». Tout s’est accéléré avec l’instrumentalisation de l’affaire par le président tchadien Idriss Déby. Rapidement, il a utilisé les termes « impensable » et « inadmissible » pour qualifier l’affaire. L’Unicef emboite le pas et parle d’opération « illégale » et « irresponsable ». La presse ne sait plus qu’en penser, sont-ils des « doux rêveurs », des « mercenaires de l’humanitaire » ou des « inconscients » ? Rama Yade, leur donne la voie, elle reprend les mots de l’Unicef pour affirmer que cette opération était « illégale et irresponsable ».
Le problème c’est que, rapidement, les enquêtes des journalistes ont montré que les autorités françaises étaient au courant de cette opération depuis le début de l’été. L’AFP avait d’ailleurs déjà publié une dépêche en juin. Le Figaro titrera à ce sujet « Paris embarrassé met l’Arche de Zoé au pilori ». Paris doublement embarrassé puisque la France doit coordonner les forces européennes au Tchad un mois plus tard. Tous les commentateurs s’accordent pour dire que la France fait profil bas face à Idriss Déby. Il ne pouvait pas manquer l’occasion de faire de la provocation et c’est alors, début novembre 2007, que le président tchadien a utilisé les termes de « trafic pur et simple », de « trafiquants d’organes » et de « pédophiles » pour qualifier les membres de l’Arche de Zoé. De l’autre côté de la Méditerranée, les choses s’empirent, on avait beaucoup parlé d’« ONG d’amateurs », d’« ONG auto-proclamée » et de « jeux douteux au Tchad » mais début novembre, une famille porte plainte pour escroquerie, elle avait versée une avance de 2400€ pour adopter un enfant. C’est à cette période que l’on apprend que les enfants n’étaient ni orphelins, ni soudanais. « Les soupçons s’accumulent » titre Libération le 3 novembre.
Par la suite tout va s’enchaîner très vite, Nicolas Sarkozy va annoncer qu’il irait chercher tous les membres de l’association « quoi qu’ils aient fait », Idris Déby lui répond que « la justice se fera au Tchad ». La France fait profil bas. Le procès commence, rapidement, on comprend que la sentence sera exemplaire, le seul enjeu est de rapatrier les Français. Le procès est expédié, la vérité ne sera jamais entièrement faite, on ne saura jamais vraiment qui étaient les 103 enfants,... Un nouveau mot est sur toutes les lèvres « transfèrement », il aura lieu mais la sentence ne change pas, elle est juste adaptée, de huit ans de travaux forcés, les membres de l’Arche de Zoé passent à huit ans de prison ferme. Ils ne pourront pas sortir de prison avant l’issu de la peine sauf si une grâce est prononcée par le président Tchadien, hypothèse vite écartée.
Mais en février tout bascule, des rebelles menacent le pouvoir d’Idriss Déby. La France attend d’évaluer le rapport de force dans ce conflit avant de donner sa position. Rapidement, on comprend que les rebelles vont être écrasés par le pouvoir en place. C’est à ce moment là, que la France va rappeler sa fidélité au pouvoir de Déby et va le soutenir pour mettre fin à ce soulèvement. Subitement, apparaît dans la bouche du président tchadien, le mot « grâce ». Les avocats des condamnés de l’Arche de Zoé, en font une demande immédiate, fin février, Nicolas Sarkozy va défendre le dossier, mais affirme qu’il ne paiera pas la somme due par les condamnés. Quelques semaines plus tard, nous apprenons la grâce présidentielle, les membres de l’Arche de Zoé sont libérés, François Fillon continue d’affirmer que la France n’a pas versé le moindre euro.
Depuis hier, les images de joie ne cessent d’être diffusées, mais elle risque d’être de courte durée car la grâce tchadienne ne marque pas la fin de la procédure judiciaire. Si le volet tchadien est quasi clos, quatre membres de l’Arche de Zoé - son président, Eric Breteau, sa compagne, Emilie Lelouch, Philippe Van Winkelberg, le médecin, et Alain Péligat, le logisticien - ont été mis en examen dans l’enquête française pour "exercice illégal de l’activité d’intermédiaire en vue d’adoption", "aide au séjour irrégulier de mineurs étrangers en France" et "escroquerie". L’infirmière Nadia Merimi et l’autre logisticien, Dominique Aubry, ont été placés sous le statut de témoin assisté. Affaire à suivre.
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