Au nom du père
La polémique autour du mariage pour tous a surtout été une belle occasion ratée d’avoir un vrai débat de fond sur la société au lieu d’un affrontement stérile autour d'une problématique d’un autre âge.
Cela dit, cette pénible surenchère a toujours eu le mérite, pour le pouvoir en place, de détourner l’attention de ce qu’il trame en coulisse et une belle occasion, pour les médias de remplir des colonnes et des éditoriaux à la truelle avec un fond de réflexion qui aurait largement pu tenir sur le recto d’un confetti.
Finalement, on a surtout eu le droit à une immense diversion : deux camps qui s’affrontent et à la fin, un qui gagne. Au milieu, même pas l’embryon d’un débat de société sur un sujet pourtant hautement fondamental : qu’est-ce qu’une famille aujourd’hui ?
Je n’évacue pas le bienfondé de la démarche des homosexuels quant à avoir accès aux mêmes droits fondamentaux que les autres familles, mais cela devait-il nécessairement passer par le renforcement du mariage comme acte fondateur d’une famille et de l’attachement de droits divers et vaguement égalitaires à cette seule construction ?
Tout ce bruit pour rien, pour quelques centaines de personnes par an, tout au plus, alors que des millions d’entre nous n’ont plus de place, ne se reconnaissent plus dans des structures sociales héritées de siècles de pouvoir patriarcal.
De quoi parle-t-on vraiment quand on parle de mariage ?
On parle de cet acte public qui consiste à poser le fondement d’une famille dans le sens le plus traditionnel et restrictif du terme : un homme qui donne son nom à une femme et qui par là même revendique la propriété de son ventre quant à toute la progéniture qui en sortira dorénavant. C’est un acte qui s’inscrit dans l’idée de la transmission du nom et de la propriété privée. C’est une démonstration politique de l’alliance au sens propre et figuré de deux familles et de leur patrimoine à travers leur descendance commune.
Voilà ce qu’est réellement le mariage et le fait que la Révolution française l’a rendu civil, c’est à dire a offert la possibilité de contracter cet engagement sans l’intervention de l’Église ne gâche en rien le fait que la mariée est là l’enjeu d’une transaction génétique et financière, que le père continue de la donner au mari, comme un bien qui s’échange, que dans la majorité des cas, l’identité des femmes continue à s’effacer au profit du patronyme qui sera automatiquement légué aux enfants de cette femme, à savoir la prédominance du nom du père. D’ailleurs, dans nos contrées, on continue toujours à désigner les familles par leur patronyme : voilà les Machins, c’est ici que vivent les Bidules, tiens, ce ne serait pas le petit Trucmuche ? Nombre de courriers administratifs et commerciaux continuent d’être adressés à « monsieur et madame prénom et nom de l’homme », la femme n’étant plus qu’une extension du mari, dépossédée jusque de son prénom.
Et c’est donc pour défendre l’extension de cette conception bien particulière et restrictive de la famille que des millions de laïcards, gays, lesbiennes, gauchistes et progressistes ont défilé, alors que fondamentalement, les défenseurs du mariage que pour leur gueule, dans le cadre de la famille rétrograde et figée dans le temps, avaient bien raison de défendre le caractère bourgeois et patriarcal d’une institution à travers laquelle ils continuent à s’assurer la perpétuation de valeurs (et de patrimoines, en passant) biens moisies.
Qu’est-ce qu’une famille ?
En gros, depuis le code Napoléon, un concept qui n’a pas beaucoup bougé : le père, la mère, les gosses. L’essentiel de notre système social est construit autour de cette gentille image d’Épinal dont le pivot est encore et toujours l'inusable « chef de famille ».
Dans la vraie vie, ces dernières années, j’observe surtout que les exceptions sont en passe de devenir plus abondantes que la règle. Cette semaine encore, on rappelait que de plus en plus de nos compatriotes vivaient totalement seuls, des célibataires et donc pas des familles. J’observe aussi le nombre incroyable de mères célibataires qui jonglent comme elles le peuvent pour élever plus ou moins seules leurs enfants dans un monde où absolument rien n’est pensé pour leur faciliter un tant soit peu la tâche. Bien plus encore, la structure familiale est aujourd’hui une sorte de nébuleuse totalement éclatée, aux contours flous, et il n’est pas rare de retrouver jusqu’à 4 ou 5 patronymes différents sur la même boite aux lettres.
Quel cadre, quelles lois, quels droits pour ces très nombreuses familles recomposées au hasard de la vie, avec des parents en garde alternée, des coparents, plus ou moins présents, des enfants de plusieurs lits qui cohabitent avec les enfants en commun et ceux des pièces rapportées. À l’arrivée, voilà des foyers où le nombre de présents varie perpétuellement de 1 à 10 membres, selon les jours de la semaine ou les périodes de l’année.
Dites-moi de quelle manière notre système social intègre cette nouvelle réalité des liens flous, limités dans le temps et l’espace, en perpétuelle reconstruction et invention. Comment sont pris en compte les grands enfants qui reviennent chez l’un ou l’autre à la faveur d’une carrière en dents de scie, les vieux parents qui ne peuvent acquitter le double SMIC de la maison de retraite, le bébé éprouvette de la nouvelle copine de la mère de mon pote ou ce couple qui fonctionne mieux à trois ?
Comment distingue-t-on les couples sexués des colocations fluctuantes, des mobilités permanentes, des infidélités au long cours ? Pourquoi n’y a-t-il pas de statut de la maitresse quand bien même nous avons déjà eu un président de la République célèbre pour sa polygamie, même si personne n’a jamais osé prononcer le mot pour parler de sa deuxième vie, de sa deuxième famille ? Comment admettre que l’époux de la dernière heure ait plus de droits que le compagnon de toute une vie ? Pourquoi continue-t-on à déterminer les droits sociaux des femmes en fonction de leur statut sentimental et trouve-t-on normal que toute femme célibataire qui couche doive se faire entretenir par son compagnon ? Pourquoi ne soupçonne-t-on jamais deux colocataires de même sexe d’être un couple alors que l’inverse est systématique ? Pourquoi la plupart de nos droits sociaux, patrimoniaux ou fiscaux sont-ils encore liés à notre statut marital alors qu’il est aisé de voir à quel point cet ancrage est de plus en plus diffus, temporaire et mouvant ?
Voilà ce que j’aurais préféré que l’on porte sur la place publique plutôt qu’une polémique stérile sur l’extension d’une tradition patriarcale pour une infime minorité, au détriment de toutes les autres. Un débat sur la famille au XXIe siècle aurait probablement évité l’écueil de la stigmatisation des gays, alors que la question de l’égalité des droits dans notre société concerne tellement plus de gens.
Le mariage pour tous ou l’universalité des droits sociaux sans conditions discriminantes d’âge, de sexe, d’origine ou de mode de vie : ma religion est faite !
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