Autisme et psychanalyse : le député Fasquelle joue au Lyssenko
Quels sont les régimes où les partis en place (disons plutôt LE parti) décident du contenu des livres d’Histoire et des orientations de la recherche ? Ces régimes sont désignés comme totalitaires et si nous n’y prenons pas garde, la France risque de se diriger vers un régime qu’on dira autoritaire et qui, sous couvert de « bonnes pratiques », interdit les débats et le pluralisme dans des champs dont le ressort essentiel est la diversité des opinions, des hypothèses et des méthodes. Parmi ces champs, la science et l’éducation occupent une place prépondérante. N’importe quel citoyen sait, mais pour combien de temps encore, que le progrès ne se fait pas en suivant une seule direction mais en développant une pluralité d’hypothèses testées pour ensuite être discutées dans les congrès scientifiques. Les sociologues confrontent leurs opinions lors de discussions argumentées. Même chose pour les historiens. Alors que tout universitaire qui se respecte essaie dans ses enseignements de présenter la diversité des approches et des idées, parfois contradictoires, sur un même sujet. Or, dans sa dernière saillie portant sur l’autisme, le député Fasquelle semble avoir oublié ces fondamentaux et s’érige en censeur de la recherche et de l’enseignement, intimant aux présidents d’université de se conformer à son avis qui bien entendu, est infaillible, au-dessus des thèses savantes et des hypothèses scientifiques. Ce député qui s’en remet à une recommandation de la HAS (haute autorité de la santé) pour en faire une bulle papale. Ce faisant, il fait régresser la France vers l’époque de Galilée, quand les prélats décidaient de ce que doit être la vérité scientifique. Et pourtant elle tourne, disait Galilée, qui à cette occasion se retournerait dans sa tombe pour déclamer : et putain, elle ne tourne pas rond ? Quoi, la terre ? Non, la politique française ! Je n’ai pas fumé la moquette et pourtant ce qui a été écrit par ce député me fait halluciner. Pour peu, je m’imagine au pays des Soviets, avec une flopée de Lyssenko décidant des options scientifiques obligatoires et conformes à la doxa.
Que dit Fasquelle ? Son billet est ainsi intitulé « Je demande aux présidents d'université de tourner le dos définitivement à l'approche psychanalytique dans l'enseignement et la recherche ». Plus loin dans le texte, on peut lire ceci « La Haute Autorité de Santé qui a tourné, en 2010, la page de l'explication de l'autisme comme étant une psychose infantile sans que cela se soit encore malheureusement toujours traduit dans les faits dans les formations et la recherche universitaire ». Or, le document de synthèse de la HAS consacré à l’autisme ne dit absolument pas la même chose. Voici ce qu’on peut lire dans le préambule rédigé par le document écrit en respectant la règle du consensus formalisé « Ce document a une triple limite : (1) C’est une synthèse de connaissances qui appartient à des domaines scientifiques multiples. Cette synthèse a été limitée aux études cliniques et biocliniques et n’a pas abordé les connaissances tirées de la recherche fondamentale ou d’études relatives aux mécanismes physio- ou psychopathologiques. (2) Cet état des connaissances a cherché à donner une vision globale de l’autisme et des autres TED. Cependant, les connaissances sur les TED évoluent beaucoup actuellement dans toutes les disciplines concernées. Aussi cet état des lieux n’a pas à figer les connaissances et à stériliser les hypothèses actuelles, ni à proposer une vision unique de ces troubles. (3) Il s’inscrit dans un plan Autisme avec des impératifs chronologiques stricts du fait de la nécessité de mise à disposition rapide d’un document de base pour l’ensemble des personnes concernées. Aussi, il ne saurait être exhaustif. »
La HAS n’a donc tourné le dos à aucune approche, même si elle émet des réserves sur la psychanalyse. Le document reconnaît en fait ses limites, dues en partie aux impératifs chronologiques propres au fonctionnement des systèmes sociaux. Il faut rapidement des actions, des résultats, des documents. La thérapie doit s’accélérer, il faut être pressé, sur le pont, aller vite, satisfaire le timing des politiques qui décident des plans de santé publique et des causes nationales. C’est l’esprit de l’époque. Qui perd peu à peu ses vertus cardinales et ici en l’occurrence la patience. Heureusement, les sages savent reconnaître que les indications et les données scientifiques sont d’abord parcellaires, ensuite susceptibles d’évoluer et enfin, nullement contraintes par une vérité scientifique infaillible. Les sages affirment qu’il n’y a pas lieu de stériliser et figer les connaissances, ni de proposer une vision unique des TED et notamment de l’autisme.
Mais le député Fasquelle est plus savant que les sages et demande donc aux présidents d’université de se conformer à son avis « Dès aujourd'hui, je vais saisir le président du Conseil national des universités (CNU) et, à travers lui, l'ensemble des présidents d'université afin que l'enseignement et la recherche sur les causes et les prises en charge de l'autisme soient radicalement modifiées pour être mises en conformité avec les recommandations internationales ce qui est encore loin d'être le cas. ». On peut s’étonner de cette assurance soudaine qui s’explique par le fait que la HAS aurait sensiblement changé sa feuille de route, s’apprêtant à publier un nouveau rapport où la psychanalyse serait mise à l’écart dans le champ thérapeutique, au profit des thérapies cognitives et comportementales. On ne peut considérer qu’il s’agit d’un revirement. Juste une recommandation qui, au-delà du volet pratique, a pour finalité de donner un peu plus de visibilité à l’autisme déclaré cause nationale, de conforter le discours du premier ministre et surtout, de satisfaire une association influente de parents d’autistes, résolument déterminés à avoir la peau de la psychanalyse. Et ce, pour deux raisons, d’une part réclamer une modification dans les approches thérapeutiques en misant sur un efficace (mais limité) et d’autre part, lutter contre des approches scientifique pouvant occasionner des blessures narcissiques aux familles qui, affectées par le trouble de leur progéniture, ne supportent pas que le soupçon soit porté sur quelque défaillance dans le rapport parents enfants.
Les données scientifiques n’ont pas changé depuis deux ans mais sans doute, le contexte fait que sous la pression des associations, la HAS a fini par s’associer à ce que Madame Langloys désigne comme étant une guerre des familles contre l’intrusion des psychanalystes dans le traitement de l’autisme. Madame Langloys, présidente de l’association Autisme France, a fait partie du groupe de travail à l’origine des nouvelles recommandations de la HAS. Elle n’a rien contre la psychanalyse qui doit juste être exclue du champ de l’autisme. Du moins du champ thérapeutique. Les familles sont entrées en résistance et ont bouté l’impur freudien hors de l’autisme. Cela dit, Madame Langloys en appelle à la liberté de choix des parents pour « éduquer » leur enfant. Ce qui n’exclut pas que d’autres parents puissent encore opter pour une approche psychanalytique, du moins au niveau thérapeutique.
Au final, aucune conclusion définitive ne s’impose, même si beaucoup de parents ont eu des difficultés avec le système de santé. Il est évidemment salutaire que les parents soient associés à la thérapie et ne dépendent pas seulement du bon vouloir de spécialistes ancrés dans une pratique et peu enclins à s’en laisser conter par ces « intrus ». L’autisme est un trouble difficile à gérer, surtout pour les parents. On comprend alors cette guerre de 30 ans qui cette fois, aurait son vainqueur. Les psychanalystes sont boutés hors de l’autisme. Ce n’est pas pour autant que l’autisme est une affaire classée dans le domaine des connaissances. On ne comprend pas cette croisade idéologique menée par le député Fasquelle dont on se demande s’il n’a pas consulté l’avis de ce spécialiste incontournable du freudisme, omniscient et omniprésent, le vénérable révérend Onfray, par ailleurs grand pontife de l’église d’athéologie. Une chose est certaine, la recherche et l’enseignement doivent rester indépendants des pressions financières, politiques, idéologiques et religieuses. Mais l’époque étant celle que l’on sait, il n’est pas certain que les scientifiques résistent éternellement aux relents totalitaires que recèlent nos sociétés.
One saurait que conseiller à nos vénérables présidents d’université de recadrer ce député en l’éclairant sur l’irrecevabilité de sa requête. Il faut préserver la liberté de chercher. Les observateurs du monde pourront se pencher sur ces dérives autoritaires, pour ne pas dire totalitaires, qui se dessinent dans une société où la chasse à l’homme, à l’impur, aux boucs émissaires, au non-conforme, aux mauvaises pensées, sera la règle. Des chercheurs veulent sauver la recherche mais on se demande s’il y aura encore une recherche à sauver au rythme où va ce fascisme sans parti, provenant des groupements d’individus, des corporations, des cercles idéologiques, le tout relayé par des élus prêts à foncer dans la chasse aux déviants, hérétiques et autres alternatifs.
Un dernier mot sur le qualificatif de Lyssenko qui peut paraître outrancier et desservir mon propos en cette époque crispée où une remarque sur les civilisations vaut à l’intéressé d’être comparé à un nazi. En fait, Lyssenko était un idiot qui pour des raisons idéologiques liées au matérialisme, a conduit la biologie végétale et l’agronomie soviétique dans une impasse (et quelques scientifiques au goulag). Lyssenko jugeait la génétique mendélienne réactionnaire, au service de l’idéologie bourgeoise. Il fut destitué par les instances du pouvoir et ses thèses furent discréditées dans les années 1960. Le contexte actuel est différent mais on voit bien que le procédé est similaire. Pourquoi interdire les approches psychanalytiques et se concentrer sur une approche unique qui a l’heur de satisfaire l’idéologie pragmatiste contemporaine alors que sur le plan de la connaissance, elle « plaît » à ceux qui penchent vers des causes purement génétiques ? Nul ne peut prévoir quelle sera l’évolution de la recherche en ce domaine et la meilleure stratégie est de n’en privilégier aucune. Certes, il y a le volet thérapeutique de terrain à prendre en compte car il y a des enfants affectés mais sur le plan de la compréhension scientifique (genèse de la maladie et recherches des stratégies thérapeutiques innovantes) il n’y a pas lieu de trancher et quand bien même des décisions seraient prises, elles devraient l’être par les chercheurs et non pas par un député qui visiblement, a quelque compte à régler avec les psychanalystes, se délectant par avance d’une « bombe clinique » qui devrait péter à leur gueule ce 6 mars, lorsque le rapport de la HAC sera divulgué.
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