Autoentrepreneurs

J'ai entendu dire que Hollande avait déclaré ce statut provisoire ; comme je veux parler du fond, vous excuserez mon ignorance, je ne sais pas si cette « chose » est votée ou en voie de l'être, et je m'interroge sur le silence de cette information.
Un autoentrepreneur est un individu qui veut travailler seul, autonome et n'envisage pas, du moins tant qu'il reste dans ce statut, de s'agrandir et d'embaucher.
Vouloir rendre ce statut provisoire, c'est en faire un tremplin vers l'artisanat ou l'entreprise, c'est-à-dire un statut parfaitement intégré au monde libéral ; en effet, un artisan, vues les charges qui le submergent, se trouve obligatoirement assujetti aux emprunts, à l'investissement, donc à la recherche effrénée de contrats, contraint d'embaucher si son affaire marche, s'agrandir encore, tomber dans le commercial et la publicité, embaucher encore, se couvrir d'autres emprunts qu'ils doit honorer en trouvant d'autres contrats, et ainsi de suite. Certains y trouvent leur content, « s'éclatent » à cette course sans finalité et se font une vie de fous où il ne reste plus guère de temps pour vivre. En parallèle, l'emploi étant ce qu'il est, les ouvriers, commerciaux, employés sont des « valeurs d'ajustement » qui, grâce à l'ANI peuvent se voir congédier du jour au lendemain, pour causes économiques, et de toutes façons n'auront – à moins de gratifications faites aux commerciaux, selon le bon vouloir du patron- aucune possibilité d'évolution ni la moindre liberté dans leur travail.
La vertu du toujours plus et du toujours plus grand, chère à notre dictature y trouve, évidemment son accomplissement.
Seulement on a bien compris que cela ne concerne que quelques-uns et que le modèle de réussite qu'ils nous offrent ne plaît pas à tout le monde ; c'est le monde des inégalités, de la toute-puissance des patrons, de l'exploitation portée à son comble et de l'esclavage, dans le sens du choix impossible de son existence, de la vente de sa force de travail pour juste subsister. Le monde de la concurrence. Certes, je conviens que la réalité n'est pas la même pour un entrepreneur qui emploie dix salariés et qui n'a pas le droit de virer pour un oui pour un non l'un d'entre eux qui lui déplairait. Quoique l'ANI y remédiera !
La plupart de ceux qui écrivent ici ou là, se posent en scrutateurs avisés de l'économie ou de la politique, avec des a priori propres à leur appartenance politique ; ils se font journalistes, analystes, dénonciateurs ou humoristes. Peu s'abaissent à dire les choses du quotidien, parler de la vie des gens, sauf s'ils sont stigmatisés, répertoriés, exclus, minoritaires. Il s'agit de se placer toujours à côté ou au-dessus mais très rarement de l'intérieur. Bien sûr, c'est plus difficile, chacun n'étant pas dans les mêmes rangs, n'ayant pas les mêmes revenus, n'habitant pas les mêmes régions, etc ; c'est pourquoi, et entre parenthèse, je me méfie des sondages, des expertises, des analyses et des généralités.
On a dénoncé à juste titre, que ce statut n'était pas porteur d'un avenir radieux et épanoui au centre d'un système qui fait croire à chacun que le podium est pour lui. J'ai même lu qu'il s'agissait là d'un statut pour ensuquer les esclaves de la modernité. C'est sur ce point que je voudrais m'inscrire en faux.
Il y a deux points importants : la société dont on rêve, et la réalité des gens.
Il semble que la gauche plus ou moins gauche, plus ou moins progressiste rêve d'un monde où tous auraient leur place : un salaire - le SMIC - décent, une sécurité de l'emploi, un petit temps pour les loisirs et, on n'en parle guère mais on peut l'imaginer, un temps pour la culture. On se bat donc pour ce monde où les employeurs se débrouilleraient pour embaucher, donner un salaire et des horaires décents ; quand je dis « on se bat », je ne vois guère autre chose qu'un langage approximatif et souvent loin au dessus des réalités. Nulle part je vois poindre ne serait-ce que la remise en question d'un gigantisme- plus ou moins géant selon les échelles !-, mais simplement un partage des richesses, une exploitation moins arrogante, un temps de travail restreint pour aller vers ce partage, retraite à soixante ans et tout ce que j'approuve par ailleurs.
On rêve d'un monde où tout le monde aurait sa place au soleil, si l'on est de gauche, sinon, que chacun se débrouille si on est de droite : si j'y suis parvenu, chacun peut le faire ( à peu de chose près, c'est une citation de Sarkozy ! Il oublie de dire que sans doute, n'importe qui peut le faire mais que s'il n'y a qu'une place, un seul la prend !).
Les nantis des classes moyennes au grand cœur affectent de vouloir ou désirent que tous puissent avoir les privilèges qu'eux mêmes ont. À force de sortir de mon trou et de lire, j'ai conclu que la qualificatif de « bisounours » s'adressait à ces gens-là.
Seulement voilà ; il y a tout un tas d'individus qui, sans avoir fait de grandes études, sans avoir acquis l'ombre d'une qualification officielle, sans appartenir à l'élite, sans vouloir péter plus haut que leur cul, sans avoir pu trouver un emploi quelque part ou l'ayant trouvé n'y ayant pas contenté leur exigences d'existence, ont envie d'être autonomes, gérer leur agenda, leur budget, sans l'oppression des contraintes, mais qui, quand même ont bien envie de vivre et de subvenir à leurs besoins. D'être utiles.
Ils sont polyvalents ; bricoleurs, adroits, expérimentés d'un passé non professionnel ni même confortés d'un diplôme, n'ayant pour la plupart aucun autre diplôme et si oui, ne trouvant pas de boulots dans leur branche, ils trouvent dans ce statut le moyen de survivre, diront ceux qui pensent qu'il n'y a point de salut à moins de deux mille euros par mois, de vivre pour ceux qui comprennent que l'on peut travailler, faire tout chez soi, cultiver son jardin, être autonomes et n'avoir d'autre ambition qu'avoir son coin à l'abri des intempéries et du temps pour faire ce que bon nous semble. Certains se spécialisent dans l'entretien de jardin, débroussaillage, élagage, plantations, clôture, tout ce que l'on fait à l'extérieur ; d'autres rentrent dans la maison pour réparer, améliorer, construire, assurer l' étanchéité, du toit à la cave, de tout ce qui peut laisser filtrer l'eau dans une maison, bref, faire tout ce qu'un bricoleur sait faire mais n'a plus le temps de faire, au point de n'être plus bricoleur !
Mais tout, me semble-t-il, est permis : je peux écrire les lettres administratives, rédiger des rapports, corriger des fautes... je suis autoentrepreneur.
Je peux monter vos chevaux, les éduquer les rééduquer, les débourrer, entretenir leurs prairies faire des clôtures, je suis autoentrepreneur.
Je peux même être maréchal-ferrant.
Je peux guider des touristes à vélo, ou à cheval, à travers monts et plaines que je connais ; il me faut L'A T E ou un BE, mais je suis autoentrepreneur.
Plus on est spécialisé, plus le statut sera facilement un tremplin ; moins on est spécialisé, plus ce statut devenu tremplin laissera des gens sur le carreau. Est-ce bien là la volonté de la gauche ?
Ah, oui ! On va me parler des dérives et des arnaques. Il y en a, mais, à y regarder de plus près, cela ne semble pas grand chose.
La première est le travail au noir ; les petits dépannages que l'on ne déclare pas, pour rester en dessous du plafond que la loi donne comme limite à ne pas franchir pour ne pas avoir à payer l'URSSAF. Certes. Et les jaloux de crier aux privilèges ! Je ne sais pas si on peut en faire le compte, je n'en ai pas idée mais j'imagine que l'on pourrait envisager des cotisations progressives et non pas un passage abrupt entre celui qui est exonéré et celui qui, le lendemain, devrait payer un max ! À partir d'un certain seuil, l'heure facturée ne rapporte plus grand chose si elle est ponctionnée ; alors, on augmente le tarif horaire, alors on ne rend plus les mêmes services aux mêmes gens. Or, les autoentrepreneurs sont là où on a besoin d'eux : pas de travaux grandioses, des bricoles utiles voire indispensables pour des gens qui n'ont pas de gros moyens. Le bobo du coin peut bricoler le dimanche mais en cas de pépin il se fout de ce que cela lui coûte ; l'artisan spécialiste, certifié, reconnu, fait l'affaire. La petite veuve d'à côté, qui n'est pas tout à faite indigente mais qui n'a pas trop les moyens de se faire arnaquer par le plombier de secours qui vient changer un joint, est bien contente de tomber sur un gars honnête qui se fait payer une heure s'il a passé une heure ! Et qui n'a pas ses frais de secrétaire, de pub, de commercial, d'entrepôt, de local d'accueil de véhicules de fonction, d'emprunt et d'intérêt d'emprunt plus ses douze employés ! Sans compter qu'aucun artisan ne se déplace pour un petit boulot ! Faire une gamate de ciment pour colmater une fuite, personne ne vient ; parole de veuve !
Le statut d'autoentrepreneur ne versant rien ou peu au pot commun ne pourrait être un statut pour tous ; on est bien d'accord. En attendant, non seulement il met des gens hors de l'assistance, du chômage ou de la mouise, mais il est d'une utilité irremplaçable dans la société. Le fait est que je n'en connais point de malhonnête car, quand l'on n'est pas brimés par des oppressions aussi diverses que variées telles que l'on en trouve dans les professions libérales ou dans le salariat, on n'est beaucoup moins enclin à l'arnaque. Se faire une clientèle est encore se faire une réputation et quand on choisit ce statut, on ne brigue pas la réussite financière !
Il faut bien voir que c'est le système, par son fonctionnement et sa mise en compétition, qui incitent les uns ou les autres à la malhonnêteté : l'occasion fait toujours le larron et l'habit très souvent le moine. Par ailleurs les autoentrepreneurs bouchent les trous , on l'a vu, ils prennent pas, ou guère, le travail des artisans. Ils font ce que personne, depuis plus de tente ans que le monde a viré, ne fait : les petites choses.
Les petites choses dont personne ne parle jamais tant elles sont insignifiantes ; les petites choses des petites gens dont on se fout. Nous n'avons eu de cesse depuis trente ans de nous faire croire que l'on pouvait donner un statut de titulaire à tout le monde ; un plein temps plein tarif ! Une carrière pour un peu, une sécurité sur le mode classe moyenne, sur le mode fonctionnaire. Mais qu'on me comprenne bien, je ne cautionne aucunement l'exploitation abusive, indigne, et à la carte. Cela va de soi ! Un producteur de richesse pour un quelconque patron doit pouvoir partager cette richesse avec ledit patron. S'enrichir sur le dos d'un autre m'est odieux et, contrairement à ce qui est fait, cela doit être anéanti. Mais la liberté d'un travail autonome ne doit pas être entravé. Peut-être cela est-il possible : si la gauche laisse tomber ses préjugés et ses cases préfabriquées, et si la droite s'avise de ne pas trop spolier les travailleurs, ce qui, on l'espère, lui retombera dessus un de ces jours.
L'uniformisation est une plaie qui entrave la liberté et qui devient injuste ; la liberté prônée par les libéraux n'est qu'une jungle où le plus immoral gagne. Entre les deux, un lieu où l'on peut vivre ; qui que l'on soit.
Je ne saurais dire à quel point j'ai été contente de voir fleurir, ça et là, des boutiques de retoucheuses, de couturières, d'écrivains publics, des filles qui proposaient leurs bras et leur débroussailleuse pour nettoyer votre jardin, des hommes, taiseux, lents, peu avides, répondre à votre appel pour un dépannage urgent.
Et pour vous dévoiler le pourquoi de cet article, pas plus tard que la semaine dernière, par un hasard bienvenu, je me suis avisée que la lucarne de mes combles perdues avait perdu sa vitre. Mystère. Néanmoins, informée de la météo et ne sachant comment réparer, par une suite de coups de chance, je suis tombée sur un autoentrepreneur voisin, qui, entre ses déplacements, la réparation et la pose, a dû passer une heure. Vingt euros ; au black ! Qu'on me dénonce. En tout cas, après une dizaine de coups de téléphone à des artisans, absents, évasifs ou qui m'ont carrément jetée, j'ai pu dormir tranquille, mon isolation à l'abri de la pluie !
Nous reste à savoir si l'on veut d'un monde pensé d'en haut, stratifié en cinq dix ou quinze niveaux organisés, planifiés, contrôlés où chacun trouverait sa case, ou si l'on préfère laisser du mou, quelques plages de libertés , d'initiatives, de débrouilles, de variétés, de fantaisies même, un monde où la place de chacun serait celle qu'il s'est trouvé lui-même !
Bon, je ne glorifie pas plus que ça, malgré les apparences ce statut plein de défauts que je veux bien entendre, mais ce n'est pas parce que c'est Sarkozy qui l'a instauré qu'il faut nous en priver !
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