Belgique : dix enfants en attente d’expulsion !
Dans l’introduction de son article "Bien raide la justice", La Taverne des poètes écrit : « La Belgique vient de refuser au président équatorien de libérer de sa geôle une petite fille de 11 ans, Angelica, qui est sans-papiers. » Je fus intrigué par cette mention courte mais fort curieuse. J’ai donc, au cours du week-end, fouillé et analysé l’histoire stupéfiante de cet enfant de 11 ans, qui sera expulsée, ce soir, de Belgique, en compagnie de sa mère. À moins d’une décision contraire du ministre de l’Intérieur.
Angelica Cardina Loyan Cajamarca, 11 ans, est menacée d’expulsion avec sa mère, madame Ana Elisabeth Cajamarca Arigoso. Nous avons vécu, au Canada, une situation similaire :
Oumou Toure, 24 ans, avait reçu un avis d’expulsion du gouvernement du Canada. Retour obligatoire vers la Guinée pour cette jeune mère. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada avait refusé sa demande d’asile. Oumou Toure a donné naissance à une petite fille, maintenant âgée de deux ans et demi. Comme un malheur ne vient jamais seul, Oumou Toure était hantée à l’idée de devoir laisser sa jeune fille ici, au Québec, et de retourner seule en Guinée. Sa fille est née au Canada. Elle est donc citoyenne canadienne. L’enfant n’aurait pu faire face à la mutilation génitale si elle avait été envoyée dans ce pays d’Afrique. Mme Toure, elle-même victime de cette pratique, se désolait et envisageait même l’abandon de sa fille du fait qu’elle ne pourrait pas la protéger de cette odieuse mutilation.
Le ministre de l’Immigration du Canada, devant la levée de boucliers et la pression populaire, est intervenu pour accueillir de manière définitive la mère et à sa fille.
Angelica Cardina Loyan Cajamarca, 11 ans, et sa mère, Ana Elisabeth, sont équatoriennes, habitent depuis bientôt quatre ans en Belgique et n’ont jamais fait de demande de régularisation. Elles n’ont pas d’avocat. Elles vivaient à Saint-Josse où la petite allait à l’école. La maman est militante pour la défense des sans-papiers. Elles sont maintenant enfermées depuis le 30 juin dernier au centre 127 bis à Steenokkerzeel, lieu où sont incarcérés des immigrés clandestins en attente d’expulsion. Depuis le 30 juin 2007, elles attendent d’être expulsées de Belgique. Angelica a décrit à RTL ses conditions de détention dans le centre fermé soulignant qu’ « on ne sort qu’une minute par jour. Sinon, on ne fait que manger, puis dormir. Il y a un professeur qui vient. Mais c’est pour les tout-petits. Il y en a dix ici ». Évoquant son souhait de rester en Belgique, Angelica affirme qu’elle a bien l’intention de reprendre les cours en septembre. « Ma maman avait d’ailleurs décidé à la rentrée de m’inscrire dans une école néerlandophone pour faire de moi une vraie Belge », dit encore la fillette.
Angelica et sa mère auraient été les victimes d’une délation. En éditorial, Marc Metdepeningen, du journal Le Soir, écrit : « Même si leur situation juridique (nonobstant le scandale que représente l’incarcération d’une enfant) est difficilement défendable, il nous semble que l’offense raciste faite à Angelica et sa maman mériterait au moins des excuses du gouvernement et une annulation des effets qui en découlent. Une administration, comme une justice, qui légitime l’application de la loi par des dénonciations racistes se disqualifie et ne peut inspirer que la plus vive inquiétude. En préconisant, dans sa note gouvernementale, le développement de "réseaux de quartiers", le formateur Yves Leterme offre le champ libre à d’autres délateurs, à d’autres délits de "sale gueule", à d’autres incarcérations d’autres Angelica. Nos voisins seront nos surveillants. »
Le 17 juillet dernier, Rafael Correa, chef de l’État équatorien, s’est rendu en personne au « 127 bis » de Steenokkerzeel. Ancien étudiant de l’université de Louvain et marié à une Belge, il a rencontré Ana Elizabeth Cajamarca Arizaga, militante pour la défense des sans-papiers, et sa fille Angelica, 11 ans. Ému, il aurait longuement serré la maman et sa fille dans ses bras avant de dénoncer « l’atteinte aux droits de l’homme », que représenterait, selon lui, l’incarcération de l’enfant. Le Soir a réservé sa une à un entretien avec la jeune fille, intitulé « Angelica : je veux être une vraie Belge », avec en sous-titre « Je suis triste ».
Le quotidien Le Monde rapporte qu’un journaliste du Soir, ébranlé par l’histoire d’Angélica, aurait déclaré : « Nous avons envie de pleurer aussi. De rage. Et de honte pour un système qui oblige une fillette à passer ses vacances à l’ombre. »
Freddy Roosemont est le directeur général de l’Office des étrangers de Belgique. Donc un fonctionnaire de l’État. L’appel du président équatorien, Rafael Correa, relayé par diverses personnalités belges, dont le délégué général aux droits de l’enfant, n’a pas ému ce gestionnaire : « Nous ne nous laissons pas influencer par l’avis d’un chef d’État étranger ». Le ministère des Affaires étrangères, sollicité par l’ambassadeur d’Équateur, s’est quant à lui déclaré incompétent. Au lieu de rabrouer le fonctionnaire pour sa réponse inappropriée, en les circonstances, le ministère se déclare incompétent. Les autorités belges auraient indiqué au président Correa que 100 000 Équatoriens séjournent illégalement en Europe et que c’est à leur pays d’origine de leur offrir "une perspective".
L’Office des étrangers a précisé vendredi qu’Ana Cajamarca et sa fille Angelica, en voie d’expulsion, n’avaient jamais demandé l’asile ou une régularisation en Belgique. Selon les chiffres de l’ambassade d’Équateur, quelque 8 000 Équatoriens résident en Belgique. Seuls 2 247 sont inscrits et résident régulièrement en Belgique, d’après les chiffres de l’Office des étrangers. « Le reste vit dans la clandestinité et beaucoup sont des victimes de filières qui les exploitent », souligne Mme Ernould, porte-parole de l’Office des étrangers. Ces Équatoriens, hommes comme femmes, sont souvent occupés au noir pour des tâches domestiques comme le ménage, le repassage ou les soins à des enfants. « Dans certains cas, ils doivent reverser deux ans du salaire qu’ils perçoivent pour couvrir les frais de la filière. Ils sont ensuite mis à la porte et on les retrouve pour des tâches de vente sur des marchés », dit Mme Ernould.
« Ce n’est guère surprenant. La communauté latino est particulièrement fermée en Belgique et craint de se manifester aux autorités », commente Benoît Van Der Meerschen, président de la Ligue des droits de l’homme.
L’Office des étrangers a, de plus, souligné que le séjour d’Ana Cajamarca et sa fille au centre 127 bis aurait dû initialement être beaucoup plus court. Leur rapatriement était prévu dans un premier temps pour le 13 juillet. « Lors de la visite en Belgique du président équatorien, ce dernier leur avait offert de rentrer au pays sous sa protection et son assistance », a indiqué l’Office des étrangers dans un communiqué.
Il faut savoir également qu’un juge avait ordonné, il y a plus d’une semaine, la libération de la fillette et de sa mère. Le parquet avait fait appel mais le dossier n’a pu être traité par le tribunal compétent. La compétence est, une fois de plus, remise en cause ici.
Comme le souligne Le Monde : « La détention de mineurs a été à plusieurs reprises jugée illégale, mais une dizaine d’autres enfants qu’Angelica sont pourtant sous les verrous à Steenokkerzeel. »
S’agissant également de cet établissement, 23 résidents du centre fermé 127 bis de Steenokkerzeel ont, le 16 juillet dernier, selon l’Office des Étrangers, refusé de s’alimenter afin de protester contre la politique d’immigration menée à leur encontre en Belgique et de réclamer une régularisation collective de leur situation. La grève de la faim a débuté après le repas de dimanche soir. Une manifestation était organisée dimanche après-midi devant le centre fermé afin de réclamer la libération d’une fillette équatorienne de 11 ans et de sa mère, une militante de l’Union de défense des sans-papiers (UDEP). Selon des rumeurs urbaines, le mercredi 25 avril, par suite d’une altercation entre deux détenus, les gardiens auraient réagi violemment. Les prisonniers auraient répondu à cette violence et une émeute a éclaté, avec bris de vitres et de matériels, en bagarre générale contre les gardiens. La police aurait été appelée et les brigades antiémeutes seraient intervenues avec les conséquences qu’on peut imaginer. Les prisonniers auraient été enfermés dans leur chambre et privés de repas.
Y avait-il des enfants dans ce centre au moment des faits ?
« Les enfants des centres sont frappés de voir leurs parents ne plus être capables d’assumer leur rôle », a déclaré la députée fédérale écolo Zoé Genot. La délégation a rencontré deux autres enfants kosovars. Actuellement, dix enfants seraient enfermés au centre 127 bis. L’université catholique de Louvain-la-Neuve a, à son tour, interpellé le formateur Yves Leterme. Elle demande au futur gouvernement de ne plus placer des familles avec mineurs dans des centres fermés, mais de prévoir des espaces ouverts respectueux des droits humains.
Tout le monde veut la vertu mais personne n’a les pouvoirs de l’acquérir. Le père, en situation illégale mais laissé libre, a écrit au roi Albert II et au Premier ministre Guy Verhofstadt ainsi qu’au leader du parti démocrate-chrétien flamand, Yves Leterme, chargé de former le prochain gouvernement, pour plaider la cause de sa fille. Ce dernier a également reçu la visite d’une vingtaine de manifestants vendredi matin. Ils sont venus lui remettre cette lettre écrite par le père d’Angelica. Le formateur s’est dit touché. Il y a répondu. Yves Leterme a insisté sur le fait que, dans sa note, il y a un passage sur la problématique et qu’il verrait comment trouver une solution à ces drames humains au cours des négociations : « Je ne suis pas le ministre de l’Intérieur », a-t-il indiqué, soulignant qu’il y avait un gouvernement en place et insistant sur le respect des institutions et des législations. « Cela m’émeut en tout cas. On verra pendant les négociations comment répondre à ces drames humains », a-t-il ajouté. La Libre Belgique révèle que la note du formateur Yves Leterme rejette toute idée de régularisation massive des sans-papiers et sa tonalité générale est plutôt à la sévérité.
« L’ensemble des associations qui travaillent sur le terrain ont dénoncé le fait que le centre n’était pas du tout adapté à des enfants. Le ministre de l’Intérieur, qui était Patrick Dewaele lors du précédent gouvernement, a admis que, en effet, ce n’était adapté et qu’il fallait réformer les centres, changer le tout. On entend maintenant qu’Yves Leterme parle de faire des adaptations et de le mettre dans le projet du nouveau gouvernement, mais ce qu’on est très étonné c’est de voir qu’il n’y a pas eu de moratoire des arrestations d’enfants. Donc, tout le monde est d’accord sur le fait que cela ne va pas, mais en attendant on ne change rien au problème et ça c’est inadmissible. »
Outre la question de l’immigration illégale, observe la presse belge, le cas d’Angelica est emblématique du problème que pose la détention administrative d’enfants mineurs durant des semaines, voire des mois, dénoncée depuis des années en Belgique comme contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant. Selon le journal La Libre Belgique, un rapport du ministère de l’Intérieur rendu en février 2007 recommandait la fin de ces pratiques.
Le délégué général aux droits de l’enfant, Claude Lelièvre, a appelé vendredi le ministre de l’Intérieur à surseoir à l’expulsion d’Ana Cajamarca et de sa fille Angelica : « Avant de prendre une mesure d’expulsion, il faut tenir compte du contexte familial d’Angelica, qui a plus d’attaches en Belgique qu’en Équateur. Or, ces conditions ne sont pas connues de l’Office de l’étrangers », a rappelé le délégué général. Il cite le fait qu’Angelica a un oncle et une tante qui vivent légalement en Belgique. Sa mère vit avec un Belge et son père est toujours en Belgique, même s’il est en séjour illégal. Que le délégué général aux droits de l’enfant ait été dans l’obligation morale d’intervenir en dit davantage que tous les commentaires que je pourrais formuler (RTL).
Au-delà de la loi, il y a le « pouvoir de discrétion » pour des motifs humanitaires. Il est possible que l’appareil administratif n’ait de pouvoir que d’administrer les décisions judiciaires. Une règle en droit le précise bien : Delegatus non potest delegare. Seul le ministre, pour des motifs humanitaires, pourrait, semble-t-il, interdire l’enfermement d’enfants dans un pareil centre et renverser cette décision d’expulsion. Dans le cas présent, cette décision reviendrait au ministre de l’Intérieur. Au Canada, le ministre de l’Immigration accepte volontiers de revoir ces décisions et de donner, exceptionnellement, asile à des familles ou personnes qui, si elles étaient expulsées, seraient en danger. Le ministère crée même, à la demande du ministre, des conditions favorables à un retour rapide de familles qui ont des racines au pays. Ces personnes immigrantes ne sont pas des criminelles.
La Belgique peut se montrer également, indulgente, en certains cas, comme l’indique un rapport de l’Office des étrangers : « Durant le premier semestre de l’année 2006, au total 6 006 demandes de dossier ont été introduites pour obtenir une autorisation de séjour provisoire sur la base de l’article 9, alinéa 3 de la loi sur les étrangers. Durant le premier semestre de l’année 2006, au total, 5 151 décisions ont été prises dans des dossiers. Elles concernaient 1 655 autorisations de séjour provisoire d’une durée illimitée, 828 autorisations de séjour provisoire d’une durée limitée et 2 668 refus. »
Si la Belgique avait voulu faire un pas pour diligenter ce dossier, il aurait été possible de prendre entente avec le chef de l’État de l’Équateur pour accueillir Angélica et sa mère, et accélérer les procédures d’immigration afin de permettre à ces deux personnes un retour rapide. Cela aurait été considéré comme un geste humanitaire : sortir en premier un enfant sur les dix qui s’y trouvent de cet enfer que semble être le centre 127 bis à Steenokkerzeel, et, en second lieu, accueillir à nouveau cette petite fille au sein d’une famille reconstituée. En lieu et place, le gouvernement a laissé à un fonctionnaire le soin de répondre au propos du chef d’État de l’Équateur : « Nous ne nous laissons pas influencer par l’avis d’un chef d’État étranger. »
L’opinion publique est redoutable. Elle peut se montrer reconnaissante ou cruelle envers un gouvernement. Ce dernier est élu par le peuple qui constitue également l’opinion publique, mais il peut aussi être renvoyé impitoyablement par cette même opinion. Le traitement imposé aux mères et aux enfants, dans le cas d’immigration clandestine, soit l’enfermement derrière des clôtures, n’est plus acceptable dans une société civilisée. À ce jour, il y a encore dix enfants derrière ces clôtures en attente d’expulsion. Dans cette opinion publique, nous retrouverons bien évidemment des personnes qui sont pour l’expulsion, et celles qui sont contre, comme le montre ce débat. Ceux ou celles qui dénoncent cette situation ont, à mes yeux, raison et je les soutiens. L’opinion publique internationale sera encore plus critique si la Belgique persiste à traiter les enfants de ses immigrants ainsi.
Dix autres enfants attendent, au centre 127 bis à Steenokkerzeel leur expulsion de Belgique. Se trouvent-ils des parents ici même qui accepteraient que leur enfant soit ainsi interné dans un pareil centre ? Comme l’indique La Libre Belgique, en 2004, 152 enfants ont été détenus. En 2005, 501 enfants ont été privés de liberté. Enfin en 2006, 627 enfants ont connu le même sort. Et ce en dépit d’une mobilisation croissante d’ONG, d’avocats, de partis politiques, de spécialistes médicaux et de citoyens. Dès 1999, le centre de guidance de l’ULB avait qualifié cette pratique de "maltraitance psychologique". La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Belgique dans le cadre de la détention et du refoulement d’une mineure non accompagnée. L’arrêt a incité trois associations (le Cire, la Ligue des droits de l’homme et Défense des enfants International) à porter plainte contre X en se constituant partie civile. Elles ont par ailleurs cité l’État belge en référé, demandant au juge de statuer en extrême urgence pour qu’il soit mis fin à ce régime. On attend l’ordonnance dans les prochaines heures
Geert De Vulder, porte-parole de l’Office des étrangers, le confirme : « Angelica et sa mère seront expulsées lundi soir, entre 18 h 00 et 19 h 00, à bord d’un vol Bruxelles-Quito via Amsterdam. » Lors d’une première tentative, la ou les personne(s) qui doivent être placées dans un avion ne sont pas accompagnées d’une escorte de deux policiers. En cas de refus d’embarquement, la personne est ramenée au centre fermé. L’Office des étrangers organise alors un nouveau rapatriement, éventuellement sous escorte de deux policiers fédéraux qui peuvent utiliser des menottes et qui effectuent le trajet jusqu’à la destination finale.
47 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON