Blanquer, fossoyeur du bac et de la République
90,5% d’admis avant même le rattrapage, dont 95,2% des candidats de la filière générale ! Cette année encore, le baccalauréat a été très largement donné aux lycéens, provoquant de nombreuses réactions de professeurs indignés par les directives du ministère. Malheureusement, la situation risque de continuer à empirer avec le nouveau projet de réforme délétère de Jean-Michel Blanquer, qui aboutirait à une forme de déconstruction quasiment finale du baccalauréat républicain.
Détruire ce qui reste de méritocratie
Même s’il est une épreuve pour beaucoup, le baccalauréat ancienne formule avait de grands mérites. D’abord, il était un rite de passage à l’âge adulte et était un élément fondateur partagé par une grande partie de chaque génération de Français. Mieux, il était un véritable outil d’ascension sociale, le moyen pour des élèves de toutes les conditions de se comparer les uns aux autres. Avec le baccalauréat, un élève de ZEP pouvait se comparer aux élèves des plus grands lycées, et s’il faisait mieux qu’eux, il pouvait espérer être admis dans de meilleurs établissements. Quelles ques soient les limites de cette session unique d’évaluation, elle avait la force de mettre toute une génération à égalité de traitement et permettre à une mention Très Bien à Saint Denis de valoir plus qu’une mention Bien à Louis Legrand.
Bien sûr, les partisans de la déconstruction actuelle ne manqueront pas, à raison, de souligner que la réussite est bien plus forte à Louis Legrand qu’à Saint Denis, et rappeleront le caractère de plus en plus inégalitaire du système éducatif français, où la réussite est de plus en plus liée au milieu de naissance. Malheureusement, ce problème n’est pas spécifiquement français, comme le rappelait Paul Krugman dans son livre de 2008, qui pointait qu’un élève du dernier quart de la classe, mais dont les parents faisaient partie du premier quart des revenus, avait autant de chances d’accéder à l’université qu’un élève du premier quart de classe, mais dont les parents faisaient partie du dernier quart pour les revenus. Or Blanquer casse ce qui reste de méritocratie dans le bac, comme le souligne justement Céline Pina.
Les deux réformes Blanquer, la première, et la nouvelle, en augmentant la part de contrôle continu, posent de multiples problèmes. Dans le système d’avant, pour évaluer un élève de terminale, il était possible de prendre en considération ses résultats au bac et son livret scolaire. Demain, l’intrication des deux revient à faire reposer l’évaluation surtout sur le livret scolaire, comme le pointe la Société des Agrégés qui défend « la primauté des épreuves nationales (pour) une évaluation impartiale et rigoureuse des élèves ». En effet, le contrôle continu ne repose pas sur un même examen standardisé, ce qui rendra les notes non comparables : on pourra accorder une plus grande valeur à des notes inférieures obtenues dans un lycée prestigieux qu’à de meilleures notes obtenues dans un lycée moins réputé. Tout deviendra relatif sans le repère commun indiscutable qu’est le baccalauréat qui ne repose que sur des examens nationaux.
En outre, comme certains professeurs le rapportent, l’importance accrue des notes du contrôle continu va amplifier la pression des élèves et des parents pour les gonfler. Cela risque d’accoître l’inflation générale qui a cours depuis des décennies et qui fait qu’un 16 d’aujourd’hui vaut moins qu’un 14 d’une génération avant. Le système de notation est devenu complètement fou, avec d’innombrables ajustements à la hausse qui reviennent à donner aux lycéens des messages profondément mensongers sur leur niveau. Bien sûr, la sanction d’une note peut être dure, mais nous voyons bien en France que le grand relâchement des exigences à travers une notation de moins en moins stricte est concomittante à une baisse du niveau, ce qui amène à se demander si cela ne contribue pas au contraire à cette baisse.
Plus globalement, le passage de Jean-Michel Blanquer est en tout point calamiteux pour notre éducation nationale. Non seulement il veut achever de saborder le baccalauréat avec une seconde réforme, sans avoir fait le moindre bilan de sa calamiteuse première réforme. Mais toute sa gestion de l’éducation nationale est à revoir. La correction des copies de philosophie sur écran plutôt qu’en physique a été un fiasco complet du fait de nombreux bugs, rappelant que l’opérationnel n’est pas le fort du ministre, qui avait improvisé un enseignement à distance dans des conditions déplorables. Enfin, il faut rappeler ici que le manque de revalorisation de la condition des professeurs, malgré les effets d’annonce, continue à appauvrir le vivier de candidats, mesuré par la baisse continue des candidatures au Capes.
Bref, le bilan du ministre et, à travers lui, de Macron sur ce sujet, est totalement calamiteux. Ce qui devait être fait (la revalorisation de la condition des professeurs, l’ordre, ou la focalisation sur les fondamentaux) a été totalement oublié, tandis que des réformes nuisibles ont été entreprises, avec la déconstruction du bac ou l’apparition de nouveaux apprentissages, qui vont prendre un temps précieux qui aurait pu être consacré au renforcement nécessaire de l’apprentissage des bases.
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