Blocage des universités : quels dangers pour les étudiants ?
Lundi 19 novembre, 9 heures, les étudiants de la fac de Lille 1 affluent au hall Valin pour cette nouvelle assemblée générale où le blocage doit une fois de plus être décidé ou non. Finalement c’est le blocage partiel qui l’emporte, c’est-à-dire le blocage des bâtiments de cours les jours de manifestation étudiante. But de cette entreprise : évidemment, continuer à entretenir le rapport de force avec le gouvernement afin d’obtenir l’abrogation de la loi sur l’autonomie des universités (LRU). Cependant le blocage partiel contrairement au blocage total permet le retour en cours de milliers d’étudiants quelques jours dans la semaine. Pourquoi une décision pour un blocage partiel et non total (alors qu’il semble plus efficace dans le rapport de force étudiant/Etat) ? Peut-être à cause de la crainte de rater l’ensemble des cours se déroulant pendant la grève. Y a-t-il vraiment des risques à effectuer un blocage des universités ? C’est sur quoi nous allons faire un point ici.
Les risques qu’encourent les étudiants du fait du blocage
Les étudiants que j’interroge semblent tout à fait conscients des enjeux du blocage. Les risques ? Bien sûr, il y en a, tous les étudiants (pro et anti) l’affirment : Stephanie et Lino, en 2e année de Sociologie, évoquent, dans le cadre de la lutte anti LRU, le risque de diviser les étudiants (en pro et anti-blocage) au lieu d’être uni contre la LRU ; le risque que le but des bloqueurs soit mal compris par les non-bloqueurs et surtout mal compris des médias (en effet, ils ne cherchent pas juste à être plus longtemps en vacances...) ; les médias qui risquent de ne parler alors que du blocage et non plus des revendications anti-autonomie ; mais ce risque est aussi valable pour les étudiants qui ne débattent plus dans les AG que du blocage plaçant la LRU au second plan. Au niveau de l’apprentissage, Julien et Cédric (2e année de Géographie) expriment le risque de rater leur année ou de la baisse du niveau des diplômes ; le risque dans tous les cas pour Bertrand (ATER en géographie), de devoir mettre les bouchées doubles, voire triples ou plus, dans le travail personnel afin de garder le niveau. Enfin, Julien et Cédric envisagent le risque physique d’un affrontement violent avec des CRS...
Les professeurs aussi ont leur opinion sur la question : pour l’une d’eux, professeur en économie, le blocage est un réel danger, surtout pour les étudiants en master qui doivent effectuer un stage d’ici à deux mois environ, pourquoi les entreprises embaucheraient-elles des personnes critiquant l’entrée d’entreprises décisionnaires dans le monde universitaire et surtout des personnes non totalement formées ? De plus, rajoute une professeur de statistiques, ce sont les étudiants « fragiles » qui vont être les plus pénalisés... les élèves connaissant des difficultés d’apprentissage (retard dans les cours, problèmes de compréhensions ou mauvaise organisation), les élèves qui travaillent le soir ou pendant les vacances et qui ne pourront pas rattraper les cours avec les professeurs pendant ces laps de temps ou qui seront financièrement dans le rouge. Enfin, ils mettent en avant le fait que le niveau des connaissances baissera forcément un minimum si le blocage perdure.
Etudiants et professeurs sont unanimes, il existe des risques liés au blocage. Ces témoignages ne sont cependants que des hypothèses à vérifier dans la durée. On peut tout de même mettre en parallèle ce mouvement avec celui anti CPE de 2006 et donc étudier de plus près les conséquences réelles après le blocage des universités pendant le mouvement de 2006.
Risques réels ou seulement hypothétiques ?
Lors du CPE, de nombreuses semaines de blocage ont eu lieu dans de nombreuses universités notamment celle de Lille1.
Quelles conséquences pour ce blocage massif ? Bien sûr, dans un premier temps, le retrait du contrat première embauche qui fut une grande victoire pour les étudiants mais quelles autres ? Pour Stephanie, lycéenne au moment des faits, le blocage a permis la mise en place d’une grande solidarité entre les élèves qui révisaient tous ensemble dans les bâtiments occupés et avec le soutien des professeurs qui ont rattrapé les cours par la suite ; pour Bertrand, ses élèves de première année de géographie, très engagés dans le mouvement anti-CPE, ont tous eu leur année avec des notes mêmes meilleures que celles de classes moins impliquées, de plus, tous ses élèves ou la majorité, se retrouvent, deux ans plus tard, en troisième année sans problème de retard ; d’autre part une majorité d’étudiants interrogés disent avoir pu rattraper les cours avec l’aide de leurs professeurs et de leur camarades de classes même si quelques autres étudiants accusent le blocage en premier lieu dans leur échec scolaire en 2006, réelle implication du blocage ou faiblesse de l’étudiant amplifié par le blocage ?
Fait à mentionner, lors de l’année 2006, le taux de réussite au bac à augmenté largement 73,9 %de réussite contre 68,8 % en 20051 ce qui a laissé dire par les médias en 2005 que les diplômes avaient été bradés. Or, en 2007, le pourcentage de réussite au bac est encore plus important, est-ce dû à un examen encore plus facile ? Non, cela est dû au nombre de candidats au bac qui diminue par rapport à l’année précédente. Et de fait, il y avait moins de candidats au bac 2006 que de candidats en 2005 et il y en a encore moins en 2007. Il semble alors très risqué d’avancer la thèse d’un bac 2006 bradé.
Les conséquences du blocage anti-CPE dans les mémoires semblent donc peu dramatiques, mais cela est peut être simplement dû à la mise en place de solutions efficaces pour contrer les risques. Les risques existent pour la majorité des acteurs du mouvement anti-LRU, des solutions sont-elles mises en place ou peuvent-elles être mises en place pour les contrer ou les amoindrir ?
Ces risques sont-ils maîtrisables ?
Quelques solutions et idées de solutions sont apportées par les étudiants et les professeurs : rattrapage des cours, polycopiés, un tutorat des élèves de niveau supérieur (master, ATER) pour les élèves les plus fragiles (les 1re année notamment qui manquent souvent de méthode pour travailler seuls), propose Bertrand. De la part de l’administration aussi émanent des solutions pour conserver un niveau de diplôme satisfaisant, décaler les cours dans l’année, quitte à devoir reporter les examens de juin en septembre si le mouvement persiste très longtemps.
Des solutions plutôt à l’état d’ébauche pour l’instant et qui ne sont pas encore mises en place. Elles demandent une organisation énorme tant pour les étudiants qui doivent jongler entre maintien du mouvement anti-LRU, travail scolaire individuel, rattrapage de cours et parfois job étudiant, que pour le personnel enseignant qui doit s’adapter au rythme du mouvement étudiant jonglant cette fois entre activité professionnelle hors enseignement (recherches, colloques...), et vie familiale pour trouver la place de rattraper les cours lorsque les étudiants en auront la possibilité, sans parler de trouver les salles libres pour ces rattrapages. Mêmes difficultés pour l’administration qui s’efforcent de trouver des plages horaires et des lieux possibles pour reporter les examens de contrôle continu et peut-être bientôt pour reporter les examens finaux. Les conséquences du blocage semblent donc pouvoir être amoindries par les volontés convergentes des étudiants, des professeurs et de l’administration à maximiser au plus le volume de connaissance acquises, mais elles ne seront pas sans effet et certaines, notamment concernant la lutte LRU elle-même (vu ci-dessus), n’auront d’autres remèdes qu’une conciliation entre seuls étudiants.
1Source : lemonde.fr, art. Du 5 juillet 2006
Interview du vice-président de l’université de Lille 1 M. Maouch.
M. Maouch a accepté gracieusement de répondre à quelques questions, les mêmes que celles posées aux étudiants. Les réponses qu’il a faites permettent d’éclairer un peu plus le sujet et surtout d’y donner un ton plus professionnel et surtout plus général. En effet, en tant que vice-président de l’université de Lille 1, M. Maouch est en relation avec les différents services de l’université, les professeurs et les étudiants (ou du moins les délégations d’étudiants).
A la première question, quelles sont pour vous les conséquences néfastes du blocage pour les étudiants, il répond immédiatemment que par évidence, le fait de manquer les cours va entraîner un manque de compétence pour les étudiants et des examens ne prenant en compte qu’une partie du programme c’est-à-dire un diplôme de niveau moindre. Il envisage deux solutions possibles pour minimiser cette baisse de niveau difficilement acceptable : d’une part le rattrapage des contrôles continus le soir, d’autre part le décalage des examens finaux de plusieurs semaines en fonction du temps que dure le blocage. Décalage qui permet la tenue d’un maximum d’enseignements et qui dans un premier temps peut se traduire simplement par un laps de temps plus court entre fin des examens et reprise des cours du deuxième semestre de l’année scolaire. Cependant, dans un second temps, si le blocage continue pendant deux semaines ou plus, M. le vice-président propose de décaler le début des enseignements du second semestre de façon à terminer les cours du premier et d’avoir un maximum de connaissances pour attaquer le second. Qui dit décalage du début des cours du second semestre, dit évidemment diminution du laps de temps entre fin des cours du deuxième semestre et les partiels puis du temps entre partiels et seconde session d’examen du 1er et 2nd semestre. Mais plus grave encore, si le blocage dure extrêmement longtemps, les périodes entre cours et examens ne seront plus suffisantes pour rattraper le retard cumulé et il serait alors possible de décaler les secondes sessions d’examens en début de mois de septembre... M. Maouch soulève que même si cela est possible, cela pose encore problème puisque des étudiants habitant loin ou travaillant le soir ne peuvent rattraper les contrôles à ces périodes (ndrl : ni des cours d’ailleurs) ou au prix de sacrifices importants ; de plus des étudiants en Master, partant en stage en janvier n’ont pas le temps de rattraper ces connaissances si importantes dans le cadre de leur stage justement. Ils sont pénalisés tout de suite dans leur évaluation au sein de l’entreprise. De plus, toujours pour les étudiants en Master, mais qui veulent, eux, changer d’université pour un M2 qui n’est pas enseigné à Lille 1, le risque de ne pas être sélectionné à cause d’un manque de connaissance existe. En effet, le jury préférera certainement prendre un élève ayant effectué ses 12 semaines de cours plutôt qu’un élève en ayant fait huit, d’autant plus que les places sont chères en M2.
En ce qui concerne son avis sur la réaction des entreprises, M. Maouch n’est pas trop pessimiste, selon lui, le refus de la LRU ne remet pas en cause l’embauche de stagiaires venant des universités. Pour lui, les acteurs des entreprises ne s’intéressent pas énormément à la loi sur l’autonomie des universités et considèrent les étudiants selon leur personnalité plus que leur connaissances propres et ne font pas de généralités sur la provenance des stagiaires. Les partenariats actuels avec les entreprises ne sont pas remise en cause par les revendications étudiantes. Au contraire, M. le vice-président évoque une anecdote où c’est une élève qui ne voulait pas aller à l’université de Rennes 2 sous prétexte que chaque année, ils étaient en grève.
Pour tout ce qui est organisation de rattrapage de cours, la direction de l’université a personnellement demandé aux professeurs de faire des efforts pour concilier rattrapages et leurs autres obligations professionnelles et personnelles.
Concernant la sécurité du campus, l’administration s’implique profondément puisque, explique M. Maouch, tout est fait pour éviter le moindre incident qui donnerait immédiatemment un prétexte au recteur de l’académie (contre le blocage) pour dépêcher sur place des légions de CRS ayant pour ordre de débloquer les bâtiments. Ainsi, le service privé de la sécurité de Lille 1 s’occupe de régler les différents débordemments provenant avant tout de personnes extérieures à la faculté et ceci avec la participation active des bloqueurs qui interdisent l’accès des bâtiments aux personnes ne faisant pas parties de l’université de Lille. De plus, les bâtiments sont fermés à tout le monde le week-end et ce sont les vigiles du service de sécurité qui font le tour des bâtiments pour en clore l’accès. Ces dispositions participent certainement beaucoup au fait que très peu de dégradations ont été constatées.
M. Maouch nous expose donc des solutions aux risques engendrés par le blocage, des solutions qui paraissent plus concrètes que celles exposées par les étudiants, et vraiment réalisables pour prévenir les dangers d’un blocage Toutefois, comme le dit M. le vice-président, la réalité sera certainement un bon équilibre entre rattrapage des cours et, inévitablement, si le blocage continue (même partiel), adaptation du contenu des examens.
Les dangers du blocages sont donc réels. Des solutions, pour l’instant apportées principalement par l’équipe pédagogique et l’administration, vont être mises en place et vont évoluer en fonction du tournant des événements pour préserver au maximum l’acquisition des connaissances des étudiants.
Evidemment, concluons sur le fait qu’en tout état de cause, la meilleure solution aux problèmes engendrés par les blocages semble l’abrogation très rapide de la loi sur l’autonomie des universités, seul remède à la vive contestation étudiante...
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