Bobos, Cocos : le combat ?
Avec l’élection de Dominique Voynet à Montreuil, j’ai pu lire sur le web quelques trucs qui m’ont fait bondir.
Bobos contre Cocos : lutte des places, lutte des classes ?
« Retournez à Paris on ne vous veut pas en banlieue ! »
« Les Bobos viennent d’éliminer ce bastion communiste. »
« Les Bobos contre les Prolos. »
Ouest-France et la presse étrangère reprise dans le dossier de Courrier international (Paris et sa banlieue vues d’ailleurs) se sont eux aussi intéressés au phénomène.
« Les Bobos à l’assaut des banlieues popu.
La ceinture rouge de Paris pensait couler encore d’heureux jours
communistes. C’était compter sans les Bobos qui noyautent ces bastions.
La preuve par Montreuil. »
Dominique Voynet n’a même pas
eu le droit de monter sur l’estrade de la mairie pour son discours
qu’elle a fait dans la salle, pendant que les partisans de Brard
hurlaient « c’est la victoire des Bobos. Montreuil vendue aux Bobos ».
Les Cocos sont amers : ils reprochent à la reine verte (Montreuilloise
d’adoption depuis cinq ans) de ne pas s’être désistée en faveur du tsar
rouge (présent dans le Conseil municipal depuis 1971 et maire depuis
1984).
Diantre, ne sommes-nous pas en démocratie ? Une seule liste
au second tour, vu que la droite divisée n’a pas pu se qualifier au 2e
tour, était-ce bien raisonnable ?
La position des Verts (et à
Montreuil de l’ensemble de la liste Montreuil Vraiment !) a eu le
mérite de la clarté et de la cohérence : quand il n’y a pas de danger
de droite, et a fortiori quand elle est éliminée, il n’y a aucune
raison de retirer une deuxième liste de gauche.
La position inverse aboutit aux candidatures uniques aux cantonales (cf. mon canton
de Saint-Ouen par exemple, sic), qui n’ont rien à voir avec les valeurs
de la gauche, et les valeurs républicaines tout court d’ailleurs.
Pour mémoire les scores du 1er tour à Montreuil
• Brard (apparenté PCF + soutien PS) 39,42 %
• Voynet (Verts + dissidents PS + sans étiquette) 32,47 %
• UMP conduite par la toute jeune Aminata Konaté 9,62 %
• Divers droite 4 %
• MoDem 4,98 %
• trois listes d’extrême gauche (LCR 6,29 %, LO 1,88 % et PT 1,33 %)
Au soir du premier tour du scrutin municipal, l’électorat montreuillois semblait coupé en deux.
Le restera-t-il, comme la ville en elle-même : le Haut-Montreuil,
jachère immobilière et sociale attend depuis près de trente ans et le
Bas-Montreuil, envahi par les Bobos lassés de Paris et qui concentre
commerces, transports et animations ?
Brard s’arrêtera donc à quatre ans de mandats : Montreuil la résistante a rejeté le rouge pour du vert.
Mme Voynet affirme qu’elle « réparera la fracture entre le haut et le bas Montreuil » et pointe « l’endettement de la ville, deux fois supérieur aux villes de taille équivalente ». Ses adversaires raillent son côté Bobo.
Voynet n’a-t-elle pas gagné tout simplement parce que sa liste Montreuil Vraiment,
en rupture avec les consignes d’appareils, a su regrouper ceux qui en
ont assez des pratiques très autoritaires et du clientélisme pratiqué
par l’équipe sortante ?
Le Bobo !!! ça y est le bouc émissaire est trouvé !
Ils sont partout, volent nos terres, s’habillent bizarrement, mangent bio... Ce sont eux les coupables.
La flambée des cours de l’immobilier : ce sont eux , les étés pourris
aussi. Ils chassent les autochtones à coup de kärcher, pardon de
furitas.
Le Bobo est crétin, mesquin, biodégradable.
La
flambée de l’immobilier est certes inquiétante, toutefois un bourgeois
qui pollue avec son 4x4 et vote Sarko est-il plus dangereux qu’un
bourgeois qui mange bio et vote Voynet, ou même Besancenot (y en a),
non ?
Ceux-là même qui veulent régulariser tous les
sans-papiers, critiquent l’entre-soi des ghettos de riches, Neuilly en
tête, seraient-ils atteints de racisme primaire ?
Pauvre Bobo, va-t-il devenir un apatride ? Une catégorie sociale mutante ?
Une sorte de "Pieds-bleus". Trop excentrique pour les Bonobos (bourgeois non bohèmes), parfois pas assez riche pour vivre avec eux d’ailleurs.
Trop riche pour le banlieusard de souche ?
Qui est-il vraiment ?
On les appelle « Bobos » pour Bourgeois bohèmes, « Lilis » pour Libéraux libertaires ou « Momos » pour Mobile moral.
A Montreuil, les Bobos pèsent un tiers de la population et votent à 67,7 % pour la Madone du Poitou.
Dans mon coin de 9cube, comme je l’écrivais fin 2006 sur Agoravox (dans un billet d’humeur ancêtre de ce blog), le Bobo c’est l’étranger, la minorité visible, le voisin de Monsieur tout le monde.
Celui qui énerve, parce qu’il est à la fois sucré et salé, Beatles et Rolling Stones, Elle et Le Monde, bref pas facile à faire entrer dans des cases.
Monique Pinçon-Charlot, sociologue, directrice de recherche au CNRS et
auteur de La Sociologie de Paris (La Découverte) s’est penchée sur
leur cas.
« Les Bobos forment un groupe hétérogène, surtout sur
le plan économique : les très riches côtoient les précaires. Leur seul
point commun : ils s’installent dans des lieux traditionnellement
réservés à une population plus pauvre.
Leur argent ne provient pas
d’un patrimoine familial, mais d’un salaire élevé fruit de leur travail
et de leurs diplômes plutôt élevés, et leur mode de vie rompt avec
celui de la bourgeoisie traditionnelle. »
Si je suis une Bobo ?
Sans doute un peu. Ai-je l’impression d’ôter le pain de la bouche de mes voisins, je ne crois pas.
Quand nous sommes arrivés rue Sésame en 2002 pour visiter, les mamies étaient aux fenêtres, un peu comme le jour où le 1er ours a été réintroduit dans les Pyrénées.
A quoi ressembleraient les nouveaux arrivants ? Allaient-ils troubler
leurs retraites pavillonnaires durement méritées après trois décennies
à se serrer la ceinture en HLM ?
Même chose le jour de la rentrée des classes : tout d’un coup les mamans ont moins parlé arabe et wolof à la sortie de l’école ZEP de la Rép’. Un an plus tard, je me suis un peu moins sentie étrangère et un peu plus apprivoisée.
La population ouvrière est partie avec les usines (-35 % d’habitants dans mon coin de 9cube de 1970 à 2000).
Alors, le Bobo a-t-il vraiment volé des places dans une ville où seuls 21 % des Audoniens sont propriétaires occupants pour 44 % de locataires en logements sociaux ?
Et que dire du FN, depuis la « réintroduction » du Bobo chez les Prolos, son score a baissé et même disparu aux municipales cette année.
Une ville peut-elle être « équilibrée » avec seulement 30 % de foyers imposables et moins de 62 % de réussite au bac ?
Le Coco n’est-il pas un peu schizo quand il scolarise ses enfants dans le privé pour le sortir du « ghetto » qu’il a lui-même créé ?
Hier, c’était la fête d’anniversaire de Fifi Brindacier à la maison.
Bien sûr, je culpabilise, parce que quasi toute la Math’ Sup’ voulait
venir jouer dans le jardin de princesse blonde : mon pavillon de
banlieue n’est pas assez grand et de toute façon Fifi n’a pas envie
d’inviter toute sa classe, enfin surtout les garçons...
Hier, quand Donia et Fadaïl m’ont dit avec des étoiles plein les yeux : « t’as d’la chance d’avoir une grande maison », je les ai regardées avec intensité et émotion.
« Les
filles, écoutez-moi bien : ce n’est pas de la chance, le papa de Fifi
et moi, nous avons travaillé très dur à l’école, et puis après nous
avons trouvé un job, et là encore, nous avons travaillé très dur. »
Et si les petites filles m’avaient rétorqué, comme dans un sketch de Jamel Debbouze : « mes parents ont travaillé très dur pour être pauvres ? »
Que retiendront-elles, Donia, Fadail et toutes les autres, vu que 90 %
des élèves de l’école ZEP de Fifi vivent en HLM et/ou cités ?
- Salauds
de bourges, quand j’étais petite, il y avait une famille dans l’école,
ils m’invitaient pour me narguer, se donner bonne conscience ?
OU
- J’allais chez eux, et je me suis rendu compte que ce n’est pas la taille du porte-monnaie qui fait l’homme. Ça m’a donné envie de travailler pour réussir.
Comment expliquer à ces petites filles, que ce n’est pas l’architecture
qui rend heureux ? Que le destin n’est pas toujours façonné par le
quartier, mais qu’il est aussi affaire d’ambition personnelle ?
Que
les villes de France n’ont pas toujours grandi comme on l’aurait voulu,
mais que vous petites filles de la République française, je vous incite
à pousser libre, libérez-vous.
Ne perdez
pas vos racines, mais sachez aussi vous en affranchir pour grandir : on
peut être très chic avec des vêtements dépareillés.
Rêvons ensemble, que les
enfants bourgeois ne s’enfuient pas vers des écoles de bourgeois, mais
obtiennent pour celle de la rue d’à-côté un standing de bourgeois comme l’écrit Sybille Vincendon, journaliste à Libération, dans son excellent Petit traité des villes à l’usage de ceux qui les habitent.
© rédactionnel ZoralaRousse 93 pour chroniquesmabanlieue.com
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WEBOGRAPHIE
20 minutes.fr, : Voynet élue, Montreuil vendue aux Bobos.
Bellaciao.fr, 15 mars 08
Ouest France, 14 mars 08 : L’imbroglio PC-Verts de Montreuil-sous-Bois.
L’Humanité.fr, 13 mars 08 : Montreuil, une élection dans les quartiers populaires.
JDD.fr, 10 mars 08 : Montreuil, un maire en péril ?
Marianne2.fr, 7 mars 08 : Municipales : duel à gauche à Montreuil, Voynet l’audacieuse mise sur un rejet de Brard.
Le post.fr, 27 fév. 08 : Municipales à Montreuil : la gauche déchirée.
Le Figaro.fr, 14 fév. 08 : Montreuil : Voynet veut faire chuter la maison communiste.
Le Parisien.fr, 31 janv. 08 : Les Bobos, ici, ils sont mal vus, ils ont investi Montreuil.
Express.fr, 10 oct. 2005 : Les nouveaux défis de Montreuil - Influences cosmopolites.
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