Boris Cyrulnik et le suicide des enfants
Boris Cyrulnik, célèbre neuropsychiatre, spécialiste de la résilience vient de se pencher sur le thème tabou du suicide des enfants, à la demande de Mme Jeanette Bougrab, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de la Vie associative.
Ce travail a le mérite de soulever des questions importantes sur un sujet effrayant et fondamentalement insupportable : le désir de mourir d’un enfant. Il est également l’occasion de rappeler que l’enfant se construit d’une multitude d’éléments : génétiques, sociaux, familiaux, scolaires, périscolaires au fil d’une histoire tout autant individuelle que collective.
Il met en évidence la nécessaire protection que doit mettre en œuvre l’entourage proche tout autant que la société dans l’accompagnement de l’enfant vers la maturité et l’âge adulte. Lorsque ce soutien se montre défaillant (deuil, abandon, inceste, violence, harcèlement, mauvais traitements répétitifs,…) dans ses premières années de l’enfant, il est fragilisé. Son « nid affectif », celui qui le fonde est insuffisamment pourvu ! Il n’atteindra alors que difficilement le sentiment de sécurité qui lui permettrait de grandir sereinement.
Pour autant, les suicides d’enfants restent fort rares. Boris Cyrulnik va plus loin. Il nous emmène sur le terrain, intéressant mais glissant car très culpabilisant pour les familles, du suicide masqué par l’accident. Le pédopsychiatre Marcel Rufo en a souligné le danger (AFP). L’interprétation sauvage des accidents par les familles ou les institutions en charge d’enfants est une conséquence qui pourrait être désastreuse.
Les jeunes enfants n’ont que peu de conscience de ce qu’est la mort, et s’ils envisagent le suicide, c’est davantage pour mettre fin à ce qu’ils vivent comme un calvaire que pour mourir. Ils adoptent alors des conduites à risques : se pencher par la fenêtre ou traverser en courant sans regarder… à l’issue parfois fatale. Ils savent fort peu énoncer leur malaise et leurs parents, leurs enseignants,… défaillants ou non, sont ignorants de ce qui peut animer cette « crise suicidaire » comme la nomme l’auteur. Un bref instant ou tout peut ou ne pas basculer.
Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 37 enfants et pré-adolescents de 5 à 14 ans se sont donnés la mort en 2009.
Boris Cyrulnik alerte donc sur une augmentation du nombre de suicides chez les petits et propose à la société française une approche préventive « autour de la naissance », « autour de l’école », « autour de la famille », « autour de la culture ». Chacune de ces propositions est immédiatement acceptable à ceci près qu’elles ne seront pas mises en œuvre avant longtemps si l’on en croit les choix gouvernementaux 2012. Voilà donc un rapport qui rejoindra probablement hélas les piles d’études sans suite.
LA CONTROVERSE
Mais à peine sorti, ce livre est déjà l’objet de controverses et Michel Fize ne mâche pas ses mots dans un article paru dans le Monde sous le titre « La grossière erreur d’analyse de Boris Cyrulnik ». Le sociologue remet en cause le manque de finesse de la tranche d’âge étudiée sur la demande du gouvernement certes mais sans nuance, par le médecin.
Michel Fize distingue de façon radicale les 5-7 ans des 8-12 ans dont l’évolution sous la forme de ce qu’il nomme « la petite adolescence » les conduit à une forme d’agression contre soi plus proche de celle des adolescents que de celle des enfants. Ils adoptent, dit Michel Fize « les vilaines manières de leurs aînés … et recourent donc … aux tentatives de suicide ».
Et de conclure, tout comme Marcel Rufo (AFP) d’ailleurs, que le nombre des suicides de jeunes enfants ne s’accroît pas, mais que l’adolescence élargissant sa base entraîne dans ses affres de plus jeunes ados. Et c’est de la dépression qui les touche de plus en plus qu’il convient de s’occuper précise le pédopsychiatre Christian Flavigny dans La Croix. Sans doute rejoint-il alors l’histoire du canari qui, mourant dans la mine, alerte les mineurs de la mauvaise qualité de l’air : nos jeunes enfants sont déprimés, c’est un signe de dysfonctionnement social.
POUR QUOI LE LIRE ?
Le livre de Boris Cyrulnik est précieux pour comprendre ce que signifie concrètement « causes multifactorielles » et porter un regard sur l’enfant intégrant un grand nombre de paramètres. Peut-être peut-il aider les parents à réaliser qu’ils ne sont pas seuls à élever leur enfant et se rappeler à cette sagesse citée par l’auteur : « il faut tout un village pour élever un enfant ». Le pire, c’est l’isolement. Le meilleur c’est la construction d’un nid affectif sécurisant constitué d’adultes mais aussi d’autres jeunes suffisamment bienveillants. À aucun moment, Boris Cyrulnik conforme à ses études sur la résilience, n’inscrit l’enfant dans un déterminisme qui l’enfermerait. Toute histoire s’écrit avec ses multiples rebondissements.
Lire l’interview de Boris Cyrulnik dans : Le Point
« Quand un enfant se donne ‘la mort’ »
de Boris Cyrulnik
éditions Odile Jacob
19 €
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