Bourses et élitisme
La polémique est récemment montée suite au refus de la conférence des grandes écoles d’accepter des quotas de boursiers dans les cursus qu’elle propose. Encore la situation n’est-elle pas si claire. Si on lit bien la presse, il y a refus des quotas, mais pas de l’objectif de 30% de boursiers et ce qui, semble-t-il, gêne le plus, ce sont les objectifs par école et non l’objectif final. Bref ! La querelle qui soulève des montagnes semble, sur la forme, bien byzantine. Le fond, lui, et, hélas, comme de plus en plus souvent, n’est pas traité et les invectives sont d’autant plus virulentes qu’elles expriment la vacuité. Les louvoiements du porte-parole de la conférence des grandes écoles ne font rien pour nous rassurer réellement non plus. Penchons-nous donc sur ce problème et essayons d’en traiter le fond.
Ayant l’intuition d’une désertion de ces filières par une population résistante au dogme, sachant que cette population, bien souvent issue de l’immigration, a des enfants boursiers, le système, en faillite, n’essaie-t-il pas une dernière ruse, avant sa chute, afin d’essayer d’attirer à lui une frange incontrôlable de la population ? Vous êtes défavorisés aujourd’hui, mais si vous épousez l’orthodoxie, alors je vous donnerai des passe-droits et vos enfants, eux, sortiront de la condition sociale dans laquelle vous êtes. Pour ceux qui veulent vraiment transformer la société, c’est un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Et il ne fait nul doute, la démographie aidant, que les enfants de ces populations préféreront, à terme, une transformation radicale de la société plutôt que d’obtenir un pourboire immédiat qui les amènerait à renoncer à leur identité. Car si les Français se posent la question de l’identité nationale, d’autres, sur le territoire français, ne se la posent pas.
Ainsi, la bourse, jetée en pâture à l’opinion manipulée par le gouvernement, est-elle une tentative désespérée de récupération d’un bateau qui va à vau-l’eau.
Passons alors aux grandes écoles d’ingénieurs. Le problème, là, est très différent. Les disciplines de base requises pour devenir un bon ingénieur sont les mathématiques, la physique, la chimie et la biologie. Ces quatre disciplines sont des sciences, des vraies et je ne ferai pas ici l’affront à mes lecteurs de définir une science. Il se trouve que, contrairement au savoir être, au paraître ou à la culture générale, ces disciplines ne sont pas des disciplines de la vie courante. Certes, on compte tous les jours, mais la décomposition potentielle d’un vecteur sous forme de produit tensoriel dans un espace de Hilbert ne se pose pas au quidam qui vit d’ailleurs très bien sans connaître le traître mot de ce que cela peut signifier. Là, le seul environnement qui permet d’acquérir la compétence est celui de l’école et, dans une bien moindre mesure, le milieu familial. Il y a aussi des prédispositions intrinsèques de certains individus. Là, que l’on sorte de la cuisse de Jupiter ou d’ailleurs, peu importe. Face au problème, il y a celui qui sait noircir intelligemment sa copie et celui qui ne sait pas.
Or qu’ont fait les gouvernements successifs depuis 1981 ? Ils n’ont eu de cesse de critiquer ce qu’ils ont englobé sous le vocable de « sélection par les maths ». Et ils ont tout fait pour détruire un système qui marchait pourtant bien. Ainsi, un ingénieur sortant d’une grande école aujourd’hui, dans l’option dite STI (sciences et techniques de l’ingénieur) par exemple, a fait 1000 heures de maths de moins et 700 heures de physique de moins que son pair des années 70. Et pendant ce temps-là, ces deux disciplines ont littéralement explosé comme on peut le voir chaque jour via le témoignage de la technologie. On a donc volontairement sapé les fondements d’un système particulièrement égalitaire en termes d’égalité des chances et on a aussi aminci les chances de réussites pour les élèves des classes défavorisées pour une raison simple. Si on a un niveau d’exigences fort, la différence sur une copie entre deux élèves va être importante, car il y aura un passage de seuil. Cela fera, disons, 5 points d’écart entre le bon et le moyen, à coefficient 9, voilà de quoi trier. Si, au contraire, comme c’est le cas aujourd’hui, le niveau d’exigences est faible, le bon aura 1 point de plus au mieux et ne fera donc aucune différence. Pis, son travail éventuel ne « paiera pas » et il se désintéressera alors de la discipline. Or, ne vivons-nous pas dans une ère où le désintérêt pour la science est grand ? Et n’est-ce pas une conséquence du phénomène qui vient d’être décrit ?
Passons au cas des boursiers. Quel intérêt peut-on avoir à faire accéder des boursiers à une école d’ingénieurs ? Avant de répondre, il nous faut voir la finalité du métier d’ingénieur. Cette finalité est bien évidemment celle de la conception et de la maîtrise de systèmes et d’équipements. Cela, nous l’avons vu, ne peut s’obtenir que grâce à la maîtrise sans faille de 4 disciplines scientifiques fondamentales. En sélectionnant des boursiers, améliore-t-on de quelque manière l’efficacité du système ? Bien sûr que non ! C’est même criminel. En effet, être boursier ou non n’est pas une compétence, encore moins une compétence scientifique. Or quand l’Europe conçoit ou maîtrise des systèmes ou des équipements, elle est en concurrence directe avec les autres blocs géopolitiques. Ne pas sélectionner les meilleurs conduira inéluctablement notre continent à être sous-optimal et notre réputation et donc nos exportations en pâtiront. Est-ce cela que l’on souhaite ?
Je conclurai donc sur le sujet des écoles d’ingénieurs en constatant que la démagogie politique a conduit les classes défavorisées dans l’impasse en dévaluant la filière scientifique volontairement en abaissant dramatiquement le niveau d’exigence et le volume des heures d’entraînement à l’école. Ce mal ne se réparera aucunement en facilitant l’accès des boursiers au système, mais, au contraire, cela amplifiera le mouvement déjà prégnant de la désertion des études scientifiques.
Je ne saurai terminer ce texte sans aborder un sujet de fond, social, et qui est subliminal dans toutes les exactions déontologiques commises par le monde politique de ces dernières décennies. En effet, un des fondements de notre république est le mérite, cela remonte aux pères fondateurs de 1789. Aujourd’hui, ce qui est remis en question, c’est cette méritocratie, à laquelle on préfère les arrangements et les prébendes. On pourrait donc légitimement se poser la question du pourquoi de cette dérive. En réalité, cette question a, malheureusement, une réponse simple. L’argent, dans notre société, est devenu une valeur, une valeur que l’on respecte et une valeur qui sert à évaluer les personnes. Ce système, qui vient essentiellement d’outre-Atlantique, s’est installé pernicieusement chez nous et son installation fait des ravages. En effet, le système ne récompense plus l’aristocratie, au sens grec des meilleurs, mais il récompense la Jet Set, dans laquelle je mets un peu tout, le peuple, bien entendu, en étant écarté. Les meilleurs, eux, sont bien souvent étouffés dans notre société, si encore ils peuvent s’exprimer ! La Jet Set, voyant que l’écart se creuse entre elle et le peuple et ne pouvant vivre (en parasite) que du peuple, elle s’inquiète, à raison, d’une potentielle révolution ; non une révolution violente comme celle de 1789, mais une révolution à la soviétique, dans laquelle le peuple se refermerait sur lui-même et arrêterait de consommer les c…ries qu’on essaie de lui vendre. La Jet Set a aussi très peur d’un retour de l’ordre moral qu’elle bafoue en permanence (c’est son fonds de commerce) et qui amènerait, par exemple, les femmes à se voiler. Mais une femme voilée n’est-elle pas plus respectable qu’une femme qui exhibe son string en public ? Alors, la Jet Set pense qu’elle va pouvoir acheter le peuple ; elle joue, en quelque sorte, le rôle de la Grande Prostituée de l’Apocalypse. Que veut le peuple ? Du pain et des jeux ? Donnons-lui-en ! Finis les efforts ! Tous égaux et non pas égalité des chances[2], même si on l’affiche à toutes les sauces ! Etc. Voilà comment la Grande Prostituée entraîne le cortège. En parallèle, il y a pourtant le système de redistribution sociale issu des luttes syndicales du début du vingtième siècle et de l’après deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, un maître de conférences à l’université gagne très légèrement plus que le SMIC. Comme quoi, les boursiers peuvent venir de milieux bien divers… ! Et rappelons enfin un dernier point. La richesse d’un pays est directement liée à sa compétitivité. La redistribution sociale, elle, est là pour faire la balance de façon à ce que la richesse soit à peu près bien et équitablement répartie. Plus l’élite d’un pays est bonne et performante, plus la redistribution permet au peuple d’avoir un niveau de vie élevé, niveau de vie qu’il n’aurait pas dans un autre pays où l’élite serait moins performante ; c’est quand même la situation que nous avons vécue, en France, pendant quelques siècles ! Prenons quelques exemples récents de cela. L’aéronautique européenne s’est construite, à égalité de performances, avec 3 fois moins de budget sur 50 ans, que l’aéronautique américaine. Il en est à peu près de même pour le nucléaire et l’automobile. Voilà ce qu’il ne faut pas casser. Voilà le résultat d’une élite bien pensée et bien conçue.
Mais au fait, cette Jet Set qui nous gouverne, participe-t-elle à la redistribution ? Quand on voit le nombre de ses membres ayant élu domicile dans les paradis fiscaux, on est en droit de se poser la question…. Alors, que les donneurs de leçons se taisent et qu’ils nous « lâchent les baskets » pour notre système élitiste. Seuls ceux qui participent peuvent avoir voix au chapitre.
[1] Pour paraphraser le groupe de hard rock Deep Purple des années 70, on pourrait dire qu’il faut être « like a blue blooded well studded English man » ! (joke ! J)
[2] L’égalité des chances, c’est avoir, a priori, la même chance de réussir qu’un autre par ses propres moyens. Aujourd’hui, ceux qui aboient veulent mesurer l’égalité des chances a posteriori en dénonçant les inégalités statistiques. Or ces mêmes « aboyeurs » ne disent absolument rien quand, par exemple, on constate que les seuls qui ont des chances de devenir champion olympique de saut en hauteur mesurent plus de 1m90. Pourtant, cela tombe sous le sens ! Par ailleurs, la réussite, comme déjà expliqué, n’est mesurée qu’à l’aune de l’argent qui est gagné. Tous les riches ont-ils pour autant réussi leur vie ? Enfin, les mêmes « aboyeurs » ont très bizarrement abandonné un pan pourtant fondamental de la théorie marxiste : l’héritage. Pourquoi ne réclament-ils pas son abolition, alors que c’est la source première des inégalités financières ?
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