Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle
« Qu’est-ce qui fait que la "lepénisation" et la "zemmourisation" des esprits sont tels qu’on regarde la façon de se vêtir, de se dévêtir, des femmes comme un sujet identitaire ? Ce n’est pas un sujet identitaire, c’est un sujet d’accès au service public. Ce règlement des piscines devrait être un non-sujet. (…) Vraiment, ce changement de règlement des piscines devrait plutôt être vu comme un progrès social. » (Éric Piolle, le 3 mai 2022 dans "20 Minutes").
Où l’on reparle encore de piscine et de vêtements de baignade. Après la grosse polémique de l’été 2016, et quelques sporadiques retours par des opérations coups de poing, le burkini se retrouve au cœur du débat public entre deux assauts russes en Ukraine.
Il s’agit d’un nouvelle polémique à propos d’une proposition du maire écologiste de Grenoble, Éric Piolle. Ce maire EELV, le premier d’une grande agglomération urbaine (élu dès 2014, réélu en 2020), n’est pas très malin d’avoir remis ce sujet sur le devant de la scène à quelques semaines des élections législatives. Probablement que cela va faire perdre quelques sièges à cette coalition hétéroclite écolo-mélenchoniste.
De quoi s’agit-il ? Depuis quelques années, des groupes de pression (des associations qui luttent selon elles pour la liberté des femmes) font des opérations médiatiques en faisant venir des femmes portant le burkini dans des piscines municipales (à Grenoble, à Villeurbanne, etc.). En particulier, il y a eu plusieurs journées à Grenoble depuis quelques étés (23 juin 2019, 22 juillet 2021). Ces opérations ont troublé l’ordre public ainsi que le climat estival des usagers de la piscine venus se détendre et se reposer. Les organisateurs qui se font appeler les "Rosa Parks musulmanes" souhaitent que les piscines municipales accueillent les femmes musulmanes voilées, leur combat est donc principalement religieux. Le maire de la ville, Éric Piolle, a regretté ces provocations « déplorables » car ces militantes préfèrent « enfreindre le règlement intérieur plutôt que de saisir les outils pouvant aboutir à son évolution à moyen terme ».
Jusqu’à maintenant, le règlement intérieur des piscines municipales grenobloises était assez clair : « Pour des raisons d’hygiène et de salubrité, la tenue de bain obligatoire pour tous dans l’établissement est le maillot de bain une ou deux pièces propres et uniquement réservé à l’usage de la baignade. ».
Néanmoins, en France, aucune loi n’interdit de porter un burkini. Le Conseil d’État a même invalidé un arrêté municipal d’interdiction sur les plages de Villeneuve-Loubet, jugé illégal, par son ordonnance du 26 août 2016 : « Le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public, ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. ».
Malgré tout, d’autres communes l’ont aussi interdit en le justifiant soit, sur la plage, pour prévenir des risques de troubles à l’ordre public, soit, à la piscine, pour des raisons d’hygiène. Le Défenseur des droits a également émis un avis le 27 décembre 2018 qui considère discriminatoire l’interdiction d’entrée à la piscine d’une femme en burkini (et donc contraire à la loi du 27 mai 2008). En mars 2019, le Défenseur des droits a estimé dans son rapport annuel : « Le port du voile ou du burkini pour la pratique sportive ne peut être interdit sur le fondement d’une règle de neutralité. ».
Ce sujet est compliqué et très sensible, alors qu’il fait intervenir de nombreux sujets : la place de l’islam dans la société française, ou plus exactement, sa visibilité dans l’espace publique, car c’est bien de cela qu’il s’agit, mais il touche beaucoup d’autres points sensibles, comme le communautarisme, la liberté des femmes (dans les deux sens, que les femmes ne soient pas obligées de porter un burkini ou, au contraire, qu’elles puissent être libres d’en porter), la discrimination, l’égalité entre les hommes et les femmes, le communautarisme, le vivre ensemble dans un lieu de loisirs, l’hygiène et la sécurité sanitaire (point plus sensible depuis la crise du covid), sans oublier les passions politiques, manipulations et instrumentalisations des uns, provocations des autres.
Sujet en or pour l’opposition, Alain Carignon avait déjà fustigé l’attitude équivoque du maire il y a trois ans, le 23 juin 2019, sur Twitter : « Suite à la nouvelle intrusion de femmes musulmanes intégristes dans la piscine municipale, je demande à Éric Piolle de faire cesser les provocations, de faire appliquer le règlement qui s’applique à tous. Son laxisme dépasse les bornes républicaines. ».
Ce n’est donc pas étonnant si la polémique a resurgi le vendredi 29 avril 2022 par la voix du même Alain Carignon, actuel conseiller municipal d’opposition et ancienne tête de liste aux dernières élections municipales de juin 2020. L’ancien maire de Grenoble, âge maintenant de 73 ans, a alerté en effet la presse sur le fait qu’Éric Piolle voulait faire adopter une délibération à la séance du 16 mai 2022 du conseil municipal : « Aujourd’hui, Éric Piolle officialise qu’il proposera l’autorisation du burkini dans les piscines le 16 mai prochain au conseil municipal : j’appelle les Grenoblois à venir ce jour-là exiger un référendum. » (29 avril 2022).
Menant l’opposition frontalement, Alain Carignon s’indignait : « Éric Piolle n’est pas mandaté pour soutenir l’islamisme politique ! » et espère assez mobiliser les habitants pour faire pression. Dans "Le Dauphiné Libéré" du 2 mai 2022, il poursuivait : « Il a menti en disant que la décision n’était pas prise concernant le burkini ! Elle l’est. Il a notifié aux commissions le nouveau règlement des piscines qui de fait l’autorise. Il a voulu cacher sa décision le plus longtemps possible aux Grenoblois parce qu’il veut passer en force. ».
Cette intention a été confirmée par Éric Piolle lui-même le 3 mai 2022 : « Au prochain conseil municipal, on proposera un nouveau règlement des piscines qui enlève les interdits étranges ayant été posés il y a une dizaine d’années. Donc, vous pourrez venir vous baigner dans les piscines de Grenoble seins nus. Vous pourrez venir avec un maillot couvrant pour se protéger du soleil. Vous pourrez venir avec un maillot couvrant pour d’autres raisons. C’est l’égalité d’accès au service public. Ce nouveau règlement entrera en vigueur le 1er juin, c’est-à-dire juste avant l’ouverture des piscines d’été. », a-t-il expliqué à "20 Minutes", tout en indiquant qu’il avait écrit au Président Emmanuel Macron le 29 avril 2022 pour l’inciter à se saisir de ce problème sur le plan national.
La date n’a donc pas été choisie au hasard mais reste très maladroite politiquement, en raison des élections législatives du 12 et 19 juin 2022. Le maire de Grenoble suit donc la municipalité de Göttingen, en Allemagne, qui autorise les seins nus à partir du 1er mai 2022. Il a expliqué que la crise sanitaire avait retardé les discussions commencées en 2018 : « Nous avions (…) fait un travail autour de l’égalité femmes hommes, autour du fait qu’il n’y avait pas de raison pour que la poitrine des femmes ait un autre statut que la poitrine des hommes dans les piscines grenobloises. ».
Le problème d’Éric Piolle, c’est que sa logique s’effondre dès lors qu’il confirme que les shorts de plage resteront interdits pour des raisons d’hygiène, car le burkini pourrait être classé dans cette même catégorie de vêtement (c’est déjà ce qui, juridiquement, justifiait son interdiction antérieure).
Éric Piolle, par ailleurs, a rejeté aussi les questions de laïcité qui n’avaient pas lieu d’être pour les usagers des services publics. La neutralité n’est valable que pour les agents publics et à l’école, pas dans un espace de loisirs : « Vos pouvez vous habiller dans la rue comme vous le souhaitez. Là, vous pourrez venir vous baigner dans les piscines de Grenoble comme vos le souhaitez. ». Des villes autorisent déjà le burkini, c’est le cas de Rennes depuis 2018.
En tout cas, certains élus de gauche du conseil municipal sont opposés à cette délibération et sont désolés d’ainsi fracturer la majorité municipale. Bien sûr, les élus LR et RN s’opposent avec force.
Montant au filet, comme s’il réapparaissait sur le devant de la scène après une désertion étrange pendant la campagne présidentielle, Laurent Wauquiez, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, a réagi avec fermeté contre cette inacceptable soumission à l’islamisme politique. Il a fait son Joe Biden face à Éric Piolle/Vladimir Poutine, en menaçant de sanction : « M. Piolle projette d’autoriser le burkini dans les piscines municipales. Je mets le maire en garde : dans ce cas, la Région coupera toute subvention à la ville de Grenoble. Pas un centime des Auvergnats-Rhônalpins ne financera votre soumission à l’islamisme. » (le 2 mai 2022 sur Twitter).
Cette réaction est intéressante à analyser car, égal à lui-même, Laurent Wauquiez s’est investi dans ce combat contre le communautarisme, n’hésitant pas à faire ce qu’il fait généralement quand il n’est pas d’accord, menacer et intimider. Mais cette fois-ci, ces menaces et ces intimidations sont publiques et largement connues, et il serait intéressant à savoir ce qu’en pensent les juges du Conseil d’État qu’un élu, ès qualités, fasse pression sur une assemblée délibérative élue démocratiquement dans le fonctionnement normal de cette collectivité. Car il s’agit d’une instrumentalisation des institutions au profit d’une opinion partisane. Cette affaire pourrait donc aller beaucoup plus loin qu’une simple révision du règlement intérieur de piscine municipale, il s’agit aussi du fonctionnement de notre démocratie locale.
Burkini, pour ou contre ? C’est notre vieux pays qui s’échauffe désormais à chaque début des beaux jours, prompt à suivre deux injonctions paradoxales : la liberté de faire et de s’habiller comme on veut, et le refus de voir la société se transformer sous nos yeux en un pays musulman. La raison choisira la liberté, la passion l’interdiction. Et les récupérateurs de tout bord souffleront toujours sur les braises encore chaudes du populisme ou du communautarisme.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Éric Piolle.
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
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