C’est évident
… Mais ce qui est évident n’est pas forcément vrai.
Il faut se méfier de tant de choses ! Quand il y a danger, quand il y a doute, quand il y a risque, attention, méfiez-vous ! Quoi de plus normal ?
Cependant, même dans une société articulée maintenant autour du sacro-saint principe de précaution, on ne va pas, on ne veut pas, tout mettre en doute. Quand c’est évident que c’est bon, c’est bon. Quand c’est évident que c’est vrai, c’est vrai.
Et puis quoi, on vous dit que le ciel est bleu. Eh bien justement, il est bleu, non ?
Et puis on vous dit que la terre est ronde, et justement elle est ronde depuis Galilée. Avant ? Oh avant elle était sans doute déjà ronde mais on ne le savait pas. D’ailleurs, elle était plate, c’était évident.
Bon mais tout ça c’est du passé. Aujourd’hui on a quand même d’autres soucis, on a des nations qui s’interrogent, une planète qui brûle, une économie qui flanche : des évidences.
Tiens, l’économie, justement. Pouvoir d’achat, chômage…Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Le pouvoir d’achat. C’est évident. Un socialiste comme…tout le monde en France, vous explique ça très bien.
En trois temps :
La catégorie qui souffre, celle dont il faut s’occuper en priorité, c’est celle des smicards. Curieux d’ailleurs, quand le sujet est évoqué on mentionne les smicards, syndiqués, mais on oublie les chômeurs. L’habitude, sans doute.
Donc en traitant le pouvoir d’achat des smicards on résout le problème. Et on se donne bonne conscience.
Et la solution apparaît. En pleine lumière. Y a qu’à augmenter le SMIC. C’est évident.
Depuis des décennies les gouvernements successifs ne s’en sont pas privés. Le SMIC fut augmenté maintes fois, nettement plus que l’inflation. Son pouvoir d’achat effectivement a été maintenu et même amélioré. Et le coût du travail a augmenté fortement, car un SMIC augmenté entraîne la hausse de tous les salaires et celle des charges qui leur sont liées.
Jusque-là tout va bien.
Tout irait même très bien si ces augmentations restaient parallèles à celle de la productivité, cette dernière compensant les premières en terme de coût du travail.
Comme ce ne fut pas le cas, et de loin, les entreprises ont vu leurs coûts salariaux grimper en flèche. Et que firent-elles ? Elles ont été de plus en plus réticentes à conserver des effectifs au-delà du strict nécessaire. Alors l’emploi a commencé à battre de l’aile…
La solution évidente ne l’était donc pas vraiment, car elle entraînait des inconvénients majeurs.
L’emploi, une évidence ?
L’emploi, justement. L’emploi, ce problème lancinant, très grave en France depuis trois décennies. Le sous-emploi chronique, constituant probablement la source majeure du sentiment général de pessimisme morose qui ronge les Français. Problème énorme, problème fondamental, problème non résolu depuis si longtemps que tout le monde le croit inguérissable et se désespère.
Eh bien là aussi, c’est évident. Tellement évident qu’on persiste depuis des décennies à traiter le problème par une solution évidente.
Suivez-moi bien, ce n’est pas sorcier.
Aucun jour ne passe, aucun média ne paraît, sans que ne soient mentionnés telle suppression d’emploi, tel plan social, voire telle fermeture d’usine quelque part. Notons au passage que, voici quelques années, on faisait la Une avec les « licenciements ». Aujourd’hui, faute sans doute de pouvoir se mettre suffisamment de licenciements sous la dent, on étend la source d’émotion, celle qui fait vendre, aux « suppressions d’emploi ». De la sorte on augmente le nombre des difficultés prises en considération, même si les dites « suppressions d’emploi » sont réalisées sans le moindre licenciement. Elles peuvent l’être, par exemple, par « non remplacement » de départs en retraite. Oui, mais « suppression d’emploi » offre un aspect plus dramatique, non ?
Donc on supprime des emplois. Parmi ces suppressions figurent, hélas, de vrais licenciements. Alors c’est tout simple, c’est même évident. Vous supprimez les licenciements, et le chômage va diminuer. Hourrah, c’est la solution !
Et c’est ce qu’on a fait. Soit par une véritable interdiction légale de licencier, soit par le biais d’une autorisation obligatoire de l’inspection du travail, soit encore par la voie de l’agrément officiel d’un « plan social » qu’il faut négocier et faire accepter par la Direction du Travail. Autorisation ou plan social qui ne sont pris en compte que pour causes « réelles et sérieuses ». Reste, « offerte » à la décision du chef d’entreprise, le licenciement pour faute lourde. Laquelle est en général quasi impossible à prouver.
De tout cela il ressort que licencier quelqu’un revient à exécuter un parcours du combattant dont l’arrivée est toujours incertaine et lointaine même si les lois nouvelles de Muriel Pénicaud en 2018 ont levé quelques obstacles.
Résultat ? Grande ou petite, mais surtout petite, l’entreprise considère l’embauche d’un salarié comme un acte pouvant entraîner à terme des conséquences désastreuses. Dans le cas improbable mais possible où ce salarié s’avère, après la période d’essai, inutile parce qu’incompétent ou fainéant, voire nuisible parce qu’incapable de travailler en harmonie au sein d’une équipe, eh bien il faudra quand même le supporter et le payer pendant trente années. Deux ou trois personnes de ce type, dans une PME, cela met en péril la survie de la boîte.
Résultat du résultat ? L’embauche d’un nouveau salarié, qui constituait une décision normale voici deux générations en cas de charge de travail croissante, est devenue aujourd’hui l’ultime solution de secours quand on a épuisé toutes les autres. Le responsable, patron ou directeur, pense d’abord sous-traiter où il peut, en France ou hors de France. Il peut penser aussi à proposer des heures supplémentaires, ou à prendre des intérimaires. En désespoir de cause, effrayé par le risque afférent à une embauche, il ira jusqu’à refuser une commande s’il n’a pas la certitude absolue d’en avoir d’autres à la suite.
Et les chômeurs ? Eh bien ils chôment. Les salariés qui ont un emploi sont protégés…mais ils sont de moins en moins nombreux. Et les salariés potentiels, en quête d’un emploi, restent en quête.
Interdire les licenciements : la solution était donc évidente, certes. Evidente mais fausse.
Certaines évidences ressemblent à celle du pilote qui, se voyant descendre en vrille, veut cabrer son avion pour remonter. Juste le contraire de ce qu’il faut faire.
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