Changement d’heure : une consultation nationale réussie
« Nous affirmons tous, le plus souvent dans de beaux discours, que nous voulons être plus ambitieux sur les grands enjeux et plus modestes sur ceux de moindre importance. Pourtant, les Européens n’applaudiront pas si nous continuons à devoir changer d’heure deux fois par an à cause d’une réglementation européenne. La Commission propose aujourd’hui de changer cela. Le changement d’heure doit être aboli. Les États membres, conformément au principe de subsidiarité, doivent décider eux-mêmes si leurs citoyens doivent vivre à l’heure d’été ou à l’heure d’hiver. J’espère que le Parlement et le Conseil auront la même perception et trouveront des solutions compatibles avec notre marché intérieur. Le temps presse. » (Jean-Claude Juncker, le 12 septembre 2018 à Strasbourg).
Dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 mars 2019, la France passera à l’heure d’été, comme depuis quarante-trois ans, depuis le 28 mars 1976 (décret du 19 septembre 1975). Le changement d’heure est un sujet très important qui touche directement la vie quotidienne des gens, qui impacte tout le monde. Mais aussi, c’est un sujet économique également très important, car de nombreuses industries sont basées sur une heure ou plusieurs heures références (notamment les transports, en particulier aérion, et l’énergie, mais pas seulement).
Si le changement d’heure en France provient d’une décision purement française (sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing après le premier choc pétrolier), il s’est européanisé à partir de l’année 2002 afin d’harmoniser les heures dans tout l’espace de l’Union Européenne. L’harmonisation, c’est que tous les États membres changent d’heure (été et hiver) et le font aux mêmes dates (dernier dimanche de mars et dernier dimanche d’octobre), conformément à la directive européenne 2000/84/EC du 19 janvier 2001 (qu’on peut télécharger ici).
On conçoit que, pour les raisons pratiques, le changement d’heure doit être pour tous les États membres et au même jour, ou qu’aucun État membre ne change d’heure, afin d’avoir des fuseaux horaires constant toute l’année dans l’espace européen. C’était la raison de cette directive européenne.
On note cependant que lorsque le gouvernement français a signé le décret instituant en France l’heure d’été, c’était seulement pour une année, 1976, et cette mesure était considérée comme provisoire, toutefois reconduite chaque année par décret jusqu’en 2001 (ensuite, ce fut la directive européenne en question qui a servi de base juridique).
Le changement d’heure est-il positif ou négatif ? globalement positif ou globalement négatif ? C’est difficile à dire : le changement d’heure réagit négativement sur toute matière vivante, notamment (en premier lieu), sur les humains et aussi sur les animaux (d’élevage par exemple), mais a des conséquences positives sur la consommation électrique (en ce sens que le changement d’heure s’adapte aux changements d’heure du lever et du coucher du soleil dans l’année). Mais cet intérêt économique a diminué au fur et à mesure des avancées technologies (ampoules basse consommation, capteurs photoélectriques, etc.). Rappelons aussi que proche de l’Équateur, le changement d’heure n’a aucun intérêt économique car il y a très peu de différence d’heure de lever et de coucher du soleil dans l’année (c’est pour cela par exemple qu’il n’y a pas de changement d’heure aux Antilles).
Depuis de nombreuses années, le changement d’heure est un sujet bateau, un marronnier, qui revient périodiquement, deux fois par an, au moment où il faut changer l’heure. Au-delà de la difficulté de certains (assez nombreux ?) à savoir spontanément s’il faut ajouter ou retrancher une heure à la date concernée, il y a généralement un déluge de critiques sur ce changement d’heure qui casserait le biorythme, le sommeil, la santé, etc. Il est vrai que comme avec le sommeil, certains sont plus souples que d’autres et que le moindre changement peut déstabiliser un équilibre de vie déjà fragile.
Répondant à la résolution P8-TA-2018-0043 adoptée par le Parlement Européen le 8 février 2018, la Commission Européenne a réalisé une grande consultation publique pendant l’été 2018. L’opération a eu un grand succès puisque 4,6 millions de citoyens européens ont répondu au questionnaire sur Internet en ligne entre le 4 juillet et le 16 août 2018. Il faut rappeler que d’autres consultations du même genre avaient déjà été réalisées, mais avec beaucoup moins de participation : sur les directives Oiseaux et Habitant (550 000 réponses) et sur la réforme de la politique agricole commune (322 000 réponses).
Et le résultat, publié le 31 août 2018 (rapport du 12 septembre 2018 qu’on peut télécharger ici), fut sans appel : 84% ont exprimé leur souhait d’en finir avec le changement d’heure. Certes, pas beaucoup de citoyens français ont participé à cette consultation (seulement 8,6% des participants soit 393 000 réponses) qui n’a pas eu beaucoup de publicité dans les médias en France. D’ailleurs, 70% des participants à cette consultation (3,1 millions de réponses) étaient …des citoyens allemands. C’était donc principalement une consultation allemande !
Le résultat a donc conduit le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, lors de son dernier discours sur l’état de l’Union devant les députés européens réunis le 12 septembre 2018 à Strasbourg, à proposer de supprimer le changement d’heure à partir d’avril 2019, et à laisser à chaque État membre le soin de choisir son heure définitive. Finalement, la situation est plus compliquée que prévue et pour éviter trop de confusion, la décision de choisir son heure nationale a été reportée en 2021. Pourquoi ? Parce que malgré la liberté (retrouvée) des États membres, il y a un besoin évident de concertation, notamment entre États voisins. Les décisions ne doivent donc pas être prises à la légère.
En France, l’Assemblée Nationale, qui avait inauguré son système de consultation des citoyens en ligne en février 2015 avec la loi en préparation sur la fin de vie, a donc pris l’initiative de faire une grande consultation nationale. Plus exactement, c’est la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale (présidée par Sabine Thillaye) qui a pris cette initiative heureuse.
Ainsi, les citoyens français ont pu donner leur avis du 4 février au 3 mars 2019 en répondant à un questionnaire mis en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale (www.assemblee-nationale.fr). En cette période de grand débat national, cette consultation nationale a été un grand succès puisque plus de deux millions de personnes y ont participé, exactement 2 103 999 personnes.
Sabine Thillaye (la présidente de la commission) a présenté les premiers résultats de cette consultation le mercredi 6 mars 2019 et les résultats détaillés seront présentés lors de la réunion de la commission le mardi 12 mars 2019 à 17 heures, réunion qui sera retransmise en direct sur le site Internet et aussi en Facebook live.
Ce qui est intéressant, c’est que les résultats sont très tranchés, ce qui, avec la grande participation (ce qui correspond à peu près à 5% du corps électoral), permet de connaître avec certaine précision la volonté populaire. 5% au lieu des 10% nécessaires à la pétition de demande d’un référendum d’initiative partagée prévue par la Constitution de la Cinquième République depuis la révision du 23 juillet 2008, c’est d’ailleurs ce que proposent beaucoup de parlementaires.
Il y a eu trois questions posées.
La première demande le retour d’expérience des participants : seulement 25,25% ont déclaré avoir une expérience satisfaisante ou très satisfaisante du changement d’heure, et 61,16% au contraire, une expérience négative ou très négative. La différence avec les 100% correspond aux "sans opinion".
La deuxième question découle de la première et les réponses sont encore plus tranchées : seulement 16,29% des participants souhaitent le maintien du changement d’heure deux fois par an, et 83,71% sont, au contraire, pour la suppression du changement d’heure.
C’est donc très tranché, d’autant plus que certains qui n’ont ressenti aucun problème au changement d’heure ne sont pas pour autant favorables à son maintien. Ce qui est assez étonnant, d’ailleurs, c’est que les 84% favorables à la suppression du changement d’heure, c’est la même proportion observée dans la consultation réalisée par l’Union Européenne en été 2018 (les participants français à la consultation européenne avaient répondu à environ 83% favorables à la fin du changement d’heure).
La réponse à cette question confirme, enfonce le clou sur le fait que la volonté populaire est d’en finir avec le changement d’heure. L’organisation d’un référendum (qui est un événement très politique) n’aurait donc aucun sens sur le sujet, car il y a peu de doute sur la connaissance de la volonté populaire. Une consultation nationale avec beaucoup de participants a une meilleure valeur statistique qu’un simple sondage avec des données vaguement corrigées.
Enfin, la troisième question est essentielle en cas d’arrêter du changement d’heure : quelle heure doit-on adopter pour la rendre définitive pendant toute l’année ? Là aussi, la question semble tranchée même si elle l’est moins unanimement que la question du maintien ou suppression du changement.
En effet, 59,17% des participants ont émis la volonté de rester toujours à l’heure d’été (UTC+2), tandis que 36,97% sont pour rester toujours à l’heure d’hiver (UTC+1). Là encore, c’est intéressant de constater que dans la consultation d’européenne de l’été 2018, 56% des citoyens européens avaient choisi l’heure d’été et 36% l’heure d’hiver (les citoyens français avaient répondu l’heure d’été à environ 51% et l’heure d’hiver à environ 39%).
En ces temps d’antiparlementarisme souvent généralisé, il est sain de rappeler que les députés (ici) ne sont pas déconnectés du monde réel et, au contraire, savent prendre le pouls de la volonté populaire. Cette consultation nationale n’a pas valeur de parole d’Évangile, bien sûr, mais donne une très bonne indication sur la direction à suivre pour les prochains mois.
Est-ce que cela veut dire que le 31 mars 2019 sera le dernier dimanche de changement d’heure ? Et que la France ne changera pas d’heure le 27 octobre 2019 ? Ce n’est pas sûr car la Commission Européenne a repoussé de deux ans la décision finale de suppression du changement d’heure, afin de donner plus de temps de concertation entre pays voisins.
Sur ce sujet du changement d’heure, il faudra vraiment être de mauvaise foi si l’on dit que l’Union Européenne ne tient pas compte de l’avis des citoyens européens. Au contraire, c’est la consultation européenne de l’été 2018 qui a motivé la Commission Européenne à mettre le sujet sur la table et c’est probablement la consultation nationale de février 2019 qui motivera le gouvernement français à prendre sa décision.
Réjouissons-nous que les citoyens soient écoutés, et peut-être faudrait-il imaginer un système de consultation régulière (mais informelle : hors référendum) sur des sujets qui sont débattus dans les instances parlementaires, que ce soit dans un cadre national ou dans un cadre européen. Cela ne voudra pas dire que le législateur suivra systématiquement l’avis des citoyens (ce qu’il devrait faire nécessairement en cas de référendum), mais il en tiendra compte dans sa décision finale.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Changement d’heure : une consultation nationale réussie.
Directive européenne 2000/84/CE du 19 janvier 2001 concernant les dispositions relatives à l’heure d’été (à télécharger).
Rapport du 12 septembre 2018 sur la consultation européenne sur le changement d’heure réalisé en été 2018 (à télécharger).
Gilets jaunes : Emmanuel Macron explique sa transition écologique.
Le changement d’heure à l'heure européenne.
Une catastrophe écologique ?
Amoco Cadiz (16 mars 1978).
Tchernobyl (26 avril 1986).
AZF (21 septembre 2001).
Fukushima (11 mars 2011).
L’industrie de l’énergie en France.
La COP21.
Le GIEC et son alarmisme climatique.
Vibrez avec la NASA …ou sans !
Le scandale de Volkswagen.
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