Charlie Tunisie
Avec l'attentat du musée du Bardo, la Tunisie voit une de ses principales ressources économiques fortement diminuée et se trouve devant une difficulté énorme de poursuivre le processus démocratique.
A la recherche du meilleur constat. Au plus près des choses. Selon le mot de Jean-Charles Vegliante, rapporté par Sylvie Kauffmann, dans le Monde du 14 mars 2015, pour tenter d'échapper au "couvre-feu mental".

Les morts du Bardo n'avaient pas dessiné le prophète Mohamed et cependant, ils sont morts sous les balles des kalachnikovs de terroristes djihadistes, tout comme celle et ceux de Charlie Hebdo. Il faudrait peut-être voir que cette motivation des meurtres par les dessins du prophète n'a eu pas le rôle déterminant qui a été admis par tout le monde.
On a lu des discours qui cherchaient la mesure d'un partage des responsabilités de la tuerie entre les victimes et les bourreaux, c'est-à-dire qui cherchaient la culpabilité des morts, parce que la culpabilité de tueurs ne fait pas problème : « Comment, dans une société de diversité, exercer sa liberté sans (...) offenser l'autre dans sa dignité ? » in « Certains usages de la liberté d'expression sont offensants » Ahmed Jaballah, Le Monde du 15.01.2015. Edgar Morin valide la question : « Il y eut un problème au moment de la publication des caricatures... » Abd Al Malik, dans Télérama, écrit : « Charlie Hebdo a fait preuve d'irresponsabilité en multipliant ces caricatures. Même si le but était de montrer du doigt les intégristes, et même s'ils en avaient le droit au sens légal. » On a lu dans ces colonnes des discours analytiques pour déterminer si Charlie-Hebdo était bien anti-islam, ou non, ou un petit peu comme si cela pouvait constituer des circonstances atténuantes aux tueurs. Jean-François Mignot et Céline Goffette (sociologues) comptent les couvertures de Charlie-Hebdo et trouvent que non. Damien Boone et Lucile Rouault (sociologie politique) disent que compter les couvertures n'est pas la bonne méthode, qu'il faut aller voir dans les pages et trouvent que oui !
La peine de mort est abolie en France. Il est question d'interdire la fessée, on ne donne pas de coups, quand on a reçu des mots ou des dessins, rien ne permet de donner des coups, c'est la loi née de nos principes. Sauf là : On discute du fait que tuer pourrait avoir des justifications dans le comportement des tués, que les tués pourraient être un peu responsables de leur mort. Avec une telle perception, il vaut mieux s'abstenir de toutes sortes de choses qui pourraient amener d'autres à nous tuer... comme les victimes sont coresponsables des actes terroristes, il faut s'abstenir. On annule des expositions ou des œuvres (Sleep (Al Naim) de Mounir Fatma à la Villa Tamaris, centre d'art de la Seyne sur Mer ; Silence de Zoulikha Bouabdellah au Pavillon Vendôme centre d'art de Clichy-la-Garenne...) ; on obéit aux terroristes en théorisant que l'on fait bien, qu'ils ont droit au respect de leur croyance.
Tout se passe comme si la conciliation de ces oui-mais résidait dans le fait de claironner qu'on est pour la liberté d'expression, mais sans la pratiquer : pas de loi, autocensure et déni de l'autocensure.
Il y a peu de chance que les dits-djihadistes se montrent satisfaits de ce respect nouveau et cessent leur harcèlement terroriste. D'abord parce que c'est le propre du harceleur de monter la puissance de sa charge sans fin, que le rapprochement de la victime et du bourreau, qui peut aller jusqu'à l'identification, ce qu'on appelle le syndrome de Stockholm, ne diminue jamais la pression du bourreau, elle diminue la souffrance de la victime qui devenant mentalement un peu bourreau, devint fantasmatiquement un peu moins victime.
Les djihadistes, devant l'obéissance, augmenteront leur niveau d'exigence, continueront à se déclarer victimes en diminuant leur niveau de tolérance, et donc, en droit de tuer, avec un niveau de critique plus bas... jusqu'à obtenir l'allégeance. Nous savons cela depuis longtemps, les universités nous ont fourni la connaissance de ce type de logique.
La tuerie du Bardo pourrait montrer que dessiner le prophète Mohamed ne joue pas de rôle essentiel dans les tueries, qu'il a été surtout un prétexte.
La Tunisie et la France se trouvent mis dans une situation semblable : continuer à faire société alors que certains membres de ladite société sont capables de s'affranchir des lois communes pour tuer selon des jugements qui leur appartiennent et selon des logiques de harcèlement (fatiguer l'adversaire, lui miner le moral, casser sa confiance en lui, lui faire faire des erreurs, le mettre dans une faiblesse structurelle indéfinie...) Il n'est pas aisé de savoir ce qu'il faut faire. Écarter les principales erreurs seraient déjà un effort utile. Ne pas discuter de la valeur des mobiles affirmés par les tueurs. Et voir que les mobiles affirmés ne sont pas les mobiles réels, en tout cas, pas les principaux. Que les principaux mobiles sont tus.
Il faut constater ce qui est : celles et ceux qui sont morts au Bardo n'avaient pas dessiné le prophète Mohamed. Rien n'était retenu contre eux par les tueurs. Et ils ont été tués, tout paisibles et désarmés qu'ils étaient.
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON