Chut, je retourne vivre un temps chez papa et maman…
Ce phénomène est-il en croissance ?
Dans un article publié il y a deux ans, le 30 novembre 2008, nous lancions un petit pavé dans la marre avec un article « Au-revoir Tanguy, bonjour Tarzan ? » Ce papier commençait ainsi : « Et si le logement familial était la liane à laquelle se raccrocher en cas de pépin dans la vie ? Et si être SDF, aujourd’hui, signifiait surtout être « Sans Domicile Familial » ? Dans l’histoire et dans le monde, le logement a toujours été une affaire de famille. Aujourd’hui, les jeunes ont du mal à se loger, les enfants – surtout les fils – restent plus longtemps à la maison, et les filles y retournent davantage en cas de crise conjugale, et pourtant… Loin de « l’effet Tanguy » ces dernières années confirment l’indépendance croissante des jeunes. »
Moins de « Tanguy » mais plus de « Tarzan »
Voila comment pour contrebalancer les « Tanguy » l’expression « Tarzan », sensée définir celles et ceux qui se rattrapent à une liane de l’arbre généalogique pour retourner chez eux, était lancée. Depuis, ce phénomène n’a fait que se développer. Ainsi, dans le magazine « Envoyé Spécial » diffusé le jeudi 25 février 2010 sur France 2, était présenté un sujet sur les DJ (Disques Jockeys). Pour illustrer ce reportage, un DJ de province était suivi. Et très vite, il apparaissait qu’à 28 ans, il était obligé de retourner vivre chez ses parents pour pouvoir exercer son métier, aux revenus aléatoires. Cependant, à part quelques articles ou émissions, ce sujet reste méconnu, comme s’il s’agissait d’un « non-évènement ».
Un effet de la crise de l’emploi ?
Alors que l’on a observé ces dernières années un départ plus précoce de chez ses parents, il n’est plus rare, en Europe et sous les effets de la crise, de voir des jeunes adultes, voire des adultes dans la force de l’âge, revenir chez leurs parents. Cette situation devrait se multiplier avec l’augmentation considérable du nombre de chômeurs de longue durée (plus d’un an) et l’arrivée en « fin de droits » de centaines de milliers d’entre eux.
Il est vrais ces « Tarzan » sont loin de pousser un cri de victoire, ou de douleur : ils se cachent. Il est clair que la crise économique et son cortège de licenciements, conjuguée au durcissement des garanties de paiement des loyers demandées par les bailleurs fragilisent l’accès au logement ou au relogement des personnes seules ou en rupture de couple.
Se retrouver sans logement, une crainte largement partagée
Même si plus de la moitié des ménages français est propriétaire de son logement, il y a des cas où l’on peut se retrouver sans toit. Ainsi, six adultes sur dix jugent qu’il est possible qu’eux-mêmes ou un de ses proches se trouve un jour sans domicile fixe. [i]
De plus, selon une étude récente de l’INSEE[ii], une personne sur vingt déclare avoir déjà été privée d’un logement personnel. Un chiffre sous-estimé, car il ne prend en compte que les réponses des personnes qui avaient retrouvé un logement au moment de l’enquête. Dans 8 cas sur 10 (78%), ces personnes ont été logées par un tiers, selon la dénomination de l’INSEE. En réalité, c’est surtout la famille et surtout les parents qui ont offert un logement provisoire, qui peut très bien être l’ancienne chambre d’enfant. Pour les autres, 14% ont été pris en charge par un service d’hébergement, et 10% ont vécu dans un lieu « non prévu pour l’habitation » c’est à dire un logement de fortune (caravane, squat), une situation qui, avec des facteurs psychologiques, peut conduire à la rue. Voila pourquoi nous parlons de « Sans Domicile Familial » à propos des SDF.
Des périodes transitoires mais « lourdes ».
Une situation le plus souvent provisoire : La durée médiane de séjour dans un logement d’urgence ou temporaire était d’un an. Elle était légèrement plus courte en cas d’hébergement par un tiers (304 jours), contre 243 pour les « squats » et 152 pour les autres lieux comme la rue.[iii] Mais cela reste une situation qui affecte durablement les personnes victimes, qui, pour la grande majorité, ne retrouvent pas de réelle stabilité après.
La famille est donc une sécurité ?
Oui, bien sûr, la famille apparaît de plus en plus comme un refuge, où le don et la gratuité sont supposés l’emporter sur le calcul et l’intérêt, mais la recohabitation n’est pas une solution. Mais il ne faut pas confondre une image idéalisée des rapports familiaux, qui seraient protégés des conflits et des ruptures, avec leur réalité, et avec les contraintes de la vie quotidienne. Car, déjà, ce retour chez ses parents après avoir vécu seul voire créé un foyer, est souvent vécu comme une profonde régression par les enfants. Aujourd’hui, la règle, en ce qui concerne le logement familial, c’est l’autonomie. On ne voit quasiment plus de cohabitation de générations, et d’ailleurs, ce souhait n’est évoqué que par une infime minorité (autour de 3% de la population). De plus, et même dans le cas ou cela permettrait de s’occuper d’un parent âgé dépendant, cette « recohabitation » ne fait qu’ajouter une charge nouvelle au ménage accueillant. Loin de résoudre un problème social, le retour forcé chez ses parents peut très bien additionner les problèmes, en touchant aussi les parents confrontés à de nouvelles charges.
Le rôle de l’Etat
Il ressort de ces observations le fait que l’Etat Providence, avec ses APL et ses revenus minimaux, a permis aussi de renforcer les liens familiaux. [iv] Ces liens n’étant plus sous le poids de la dépendance financière pouvaient ainsi s’établir plus sainement. Les solidarités familiales sont naturelles mais ne peuvent venir en supplétif de services sociaux défaillants. Comme le rappelle la sociologue Agnès Pitou [v]« Les échanges financiers ou leurs équivalents en dons de biens et de services sont désormais bien recensés, même s’ils tardent à être réellement pris en compte, sous une forme quantifiée, dans le comptes nationaux : la solidarité au sein de la parenté relève encore largement de l’économie souterraine, alors que sa survivance est avérée, en particulier en temps de crise. Il serait utile de s’interroger sur cette occultation du poids des échanges de biens et de services familiaux au sein de l’économie nationale. Est-ce parce qu’ils mettraient en lumière le rôle qu’ils jouent dans l’accroissement des inégalités entre familles plus ou moins dotées en « capitaux » ? On ne peut échanger en effet que ce que l’on possède. Ou bien est-ce parce que le « familial » est par essence gratuit dans l’idéologie courante ? ».
Il doit exister aussi de fortes inégalités selon les milieux sociaux ?
Naturellement, et ces inégalités se manifestent déjà au moment du départ du foyer parental, en organisant l’indépendance des enfants. En effet, les parents accompagnent souvent cette indépendance, en soutenant leurs enfants durant leurs études par exemple. Une de ces aides est bien le fait d’accepter qu’ils restent si besoin au foyer parental le temps de trouver un emploi. C’est ce que l’on a appelé la « génération Tanguy », du nom du film du cinéaste Etienne Chatillez. Mais ce qu’il faut aussi observer, ce sont les parents qui achètent un studio ou en appartement à leurs enfants. Il s’agit là en effet des catégories les plus aisées. Et même si ce bien peut être vendu par les enfants au cours de l’existence, il s’agit d’une aide concrète. Il ne reste donc aux autres qu’à offrir le gite et le couvert chez eux, et un hébergement si nécessaire
Comment se passe cette recohabitation ?
Il n’y a pas de règle générale, à part celle d’une gène à l’assumer à l’extérieur, presque qu’une honte. Cette honte supportée par l’adulte retourné chez ses parents et qui est liée au sentiment de régression que j’ai déjà exprimé. Nous avons par exemple rencontré un ancien cadre supérieur retourné à plus de cinquante ans ans chez sa mère après un licenciement, et qui en garde une certaine irascibilité. Ou une jeune graphiste, qui à 28 ans, n’assume pas le fait d’habiter le grenier aménagé de la maison familiale, même dans une certaine indépendance. Certaines ou certains sont même retournés chez leurs parents en couple, et même en couple avec des enfants. Même pour un retour individuel, c’est ce qui explique aussi que, en moyenne, cette situation dure rarement plus d’un an.
Faire la part des bonnes relations entre les générations et de l’autonomie attendue.
Il peut bien sûr y avoir des exceptions. D’abord une très bonne entente, une complicité, entre les parents et les enfants, souvent entre une mère et sa fille. Et qui ne se souvient pas, par exemple, dans les fermes, du cadet des fils qui reste à demeure dans la bâtisse familiale, célibataire et dévoué à ses parents ? Et qui ne remarque pas non plus que dans les cultures méditerranéennes la cohabitation des générations est inscrite dans les traditions ? Le retour chez des parents âgés peut aussi contribuer à prendre soin d’eux.
L’intergénération n’a rien à voir avec les recohabitations des générations
La dynamique des solidarités intergénérationnelles (contacts, échanges de services, soutiens affectifs et aides diverses) n’est pas affectée par la généralisation de la décohabitation et l’augmentation du nombre de personnes vivant seules. 20% des Français ont accompagné un parent dépendant dans une sortie au cours de l’année passée, 11% ont apporté une aide lors dans des ménagères et 5% ont passé des vacances avec elle.[vi]
Face au vieillissement de la population, il serait illusoire et dangereux de penser qu’une augmentation des recohabitations pourrait aider à la prise en charge des parents âgés. Comme le soulignent Serge Clément, Eric Gagnon et Christine Rolland, [vii] « il est certain que les services publics ont contribué à redéfinir les liens familiaux. Ils ont accompagné et soutenu un ensemble de transformations culturelles, démographiques et économiques (salariat, égalité des hommes et des femmes, aspiration à l’autonomie, taille des familles, scolarisation de la population), qui ont favorisé l’autonomie individuelle et rendu problématique le mode de prise en charge des personnes âgées par les familles. »
« Cette émancipation des individus n’a pas détruit les solidarités familiales, mais elle a modifié en profondeur les liens familiaux, en renforçant l’autonomie et l’égalité de ses membres, qui négocient et réfléchissent davantage leurs responsabilités, en centrant la relation sur la subjectivité et l’affectif, et en déplaçant les lieux d’intérêt sur lesquels se focalisent les liens et le soutien (l’affectif, l’identité). Elle a conduit à une demande toujours grandissante de services de l’Etat, et a placé les individus dans une sorte de tension entre une volonté d’autonomie et une volonté de prendre soin de leurs proches ».
Le nouvel esprit de famille et le « système D ».
Il est indéniable que la quasi-totalité des familles consacrent, dans la longue durée ; une partie de leurs ressources à la mise en place d’un dispositif familial de sécurité, qui permet de disposer d’un peu d’argent pour aider momentanément un chômeur, un malade, un invalide, ou un étudiant. Dans le même temps, la notion de « privatisation de la vie » à l’intérieur de la famille, cette capacité d’être soi-même tout en étant avec les autres, est bien devenue la règle. L’autonomie des générations est inscrite dans le nouvel esprit de famille, et les difficultés à assumer ce retour au foyer le démontre. Mais il faut bien reconnaitre que maintenant, la crise a libéré la parole, et avec, tous aveux de systèmes D. Et les a peut-être aussi décomplexés. Et, pour surmonter les « galères », s’il existe bien un système D, c’est bien le D comme Domicile parental !
Savoir lutter contre une blessure narcissique
Alors, comme nous l’avons démontré, retourner un temps chez ses parents, à la suite d’un « accident » dans la vie, n’est pas exceptionnel, et ne préjuge en rien de sa capacité d’autonomie. S’il existe un risque de régression, il est surtout psychologique. En effet, et comme le rappelle la psychiatre Marie-France Hirigoyen,[viii] « Quelques uns de ceux qui craignent la solitude se sentent coupables d’être seuls. C’est comme si leur situation était le résultat d’une faute : « je suis seul parce que je ne suis pas ce qu’il faudrait être, parce que les autres ne me supportent pas. » Et quand ces personnes consultent, le danger est que beaucoup de psychothérapeutes actuels, au lieu de les aider à aimer leur solitude et à l’enrichir, leur proposent des techniques pour augmenter leur narcissisme : ils les amènent à se fuir dans de multiples rencontres, plutôt que d’apprendre à s’accepter et à s’aimer. Car leur vrai problème, c’est qu’elles ont en général une image pathologique d’elles-mêmes ».
Mais ne jamais oublier le rôle de l’Etat et les valeurs d’autonomie dans la famille
Donc, sachons faire la part du conjoncturel et du structurel, c’est-à-dire d’une période de la vie et de la vie elle-même. Aidons toutes celles et tous ceux qui peuvent avoir recours aux solidarités familiales, et notamment à une solution de logement provisoire dans le foyer parental, à mieux l’accepter pour pouvoir mieux se reconstruire, dépassant ainsi ces accidents de la vie, de plus en plus fréquents. Mais faisons le en rappelant toujours l’Etat à ses responsabilités, et en tenant compte des valeurs contemporaines d’autonomie et d’indépendance qui fondent le nouvel esprit de famille.
Eric DONFU, 26 février 2010
[i] Etude Sofres réalisée pour le ministère de la ville et du logement, octobre 2008.
[ii] INSEE, 2008.
[iii] Francoscopie 2010. Gérard Mermet, Larousse, Paris, 2009, page 171.
[iv] Les solidarités entre générations. Vieillesse, familles, Etat, Claudine Attias-Donfut (dir.) Nathan. Paris (1995),
[v] Les politiques familiales, approches sociologiques. Agnès Pitou, Syros, Paris, 1994 , page 212.
[vi] CREDOC, février 2007.
[vii] Prendre soin d’un proche âgé. Sous la direction de Serge Clément et Jean-Pierre Lavoie, Erès, pratiques gérontologiques, Ramonville Saint-Agne (33), 2005, page 143 « Dynamiques familiales et configurations d’aide ».
[viii] Les nouvelles solitudes. Marie-France Hirigoyen, La découverte, Paris, 2007, page 17.
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