Comment on méprise les chercheurs
Témoignage : comment un jeune agrégé de philosophie, normalien se voit retenu en otage dans l’enseignement secondaire qui refuse son détachement ou sa mise en disponibilité et lui interdit de fait de poursuivre une thèse déjà bien avancée ? ... Combien sont-ils dans ce cas là ? Combien de nos jeunes intellectuels ont-ils à subir les brimades et le mépris d’une société qui ne reconnait que le roi fric et les salaires dorés des traders ?
Qu’est-ce que cette société qui détruit la pensée ?
Entendu récemment sur France-Culture, madame la Directrice de la prestigieuse Ecole Normale Supérieure de la Rue d’Ulm qui vantait comme il se doit l’excellence de son établissement et sa vocation à la recherche tant scientifique que littéraire. A ses dires, la grande majorité des élèves, à leur sortie se lancent dans la recherche et dans la rédaction de leur thèse.
C’est bien, sauf que dans la réalité les choses ne semblent pas se présenter de façon aussi idyllique.
En voici un témoignage.
C’est un jeune agrégé de philosophie, Normalien qui depuis quelques années travaille dûr à sa thèse. Malheureusement , l’année dernière faute d’avoir trouvé (suppressions obligent) un poste en Université, un tout petit poste, un poste d’ATER, enseignant chercheur au plus bas de l’échelle, bien mal rétribué mais offrant une disponibilité pour le travail de recherche, il a accepté, erreur fatale, un poste en secondaire, dans un Lycée de l’Académie de Lille. Il a pensé que ce contact lui apprendrait quelque chose qu’il en retirerait une expérience enrichissante, ce qui a été le cas.
Mais voilà, faute de temps, il a dû remiser sa thèse en arrière plan..
C’est pourquoi cette année, il a été tout heureux de se voir proposer un poste d’ATER dans une Université de l’Ouest. Il a, comme il se doit demandé son détachement à l’Académie de Lille, ce qui est très généralement une simple formalité, compte tenu des pratiques de bienséance entre universités et secondaire, de la priorité affichée de la recherche et de l’encouragement gouvernemental à la mobilité des fonctionnaires..
Confiant le gars ! Il dépose sa demande en Mai et signe son contrat universitaire..
Et les mois passent sans réponse du rectorat. Malgré ses appels et ses relances. Rien .
C’est en Septembre au moment de la rentrée qu’il apprend que Monsieur le recteur de Lille s’oppose systématiquement à toute demande de détachement ou de mise en disponibilité. Ah mais !
Notre agrégé consulte l’administration, les syndicats, les associations. Tout le monde lui promet son aide et trouve l’attitude de ce haut fonctionnaire parfaitement incompréhensible.
Chacun envoie son courrier, bien entendu sans réponse, la simple politesse n’est pas le fort des notables de l’Education Nationale.
Les jours passent l’angoisse augmente. La rentrée universitaire approche. Que faire ? Malgré toutes les interventions, malgré les demandes de l’Université en question rien ne se débloque.
Tout le monde, à commencer par celui qu’il faut bien appeler un otage, se trouve confronté à la décision autoritaire et butée d’un personnage pour qui ses subalternes comptent pour du beurre, qui se fiche éperdument de leurs projets, de leurs carrières, de leurs travaux.....
En désespoir de cause il va falloir renoncer au contrat tant attendu, et sans doute sacrifier définitivement une recherche déjà bien avancée. Le désastre. Tout cela pour un poste de remplacement sur l’Académie de Lille, avec tout l’aspect aléatoire de ce genre d’activité. Ici ou ailleurs pour des durées indéterminées.
Un recteur pour le moins obtus, qui ne reçoit personne (c’est tellement plus facile), brise d’un trait de plume l’avenir d’un jeune.
Et l’on voudrait que ce jeune là qui s’est battu, qui s’est obstiné, qui a franchi tant d’obstacles pour arriver n’en sorte pas meurtri, humilié, dégoûté, à la fois révolté et dépressif ?
Toutes les hypothèses ont été envisagées y compris celle d’une démission pure et simple. D’autres l’ont fait. Mais là encore il n’y a aucune garantie. Outre que Monsieur le Recteur peut fort bien refuser la démission, il peut aussi, selon son bon vouloir, faire traîner, laisser dans l’incertitude le temps que les postes convoités passent sous le nez du démissionnaire. Une sorte de vengeance sadique de l’EN vis-à-vis de ceux qui oseraient envisager de l’abandonner..
Le cas que nous venons d’évoquer n’est pas le seul. On pourrait citer parmi bien d’autres l’exemple d’une agrégée nommée dans une section spécialisée de collège réservée aux handicapés, évidemment sans aucune compétence ni formation pour cette tâche, et d’autres encore, sans parler de tous les jeunes qui se consacrent à la recherche et à l’élaboration d’une thèse, souvent brillamment soutenue et qui finalement ne voient aucune porte s’ouvrir devant eux.
On est loin du monde des traders dorés sur tranche..
Indifférence ou mépris d’une société pour ses cadres, ses intellectuels, ses enseignants, ses chercheurs ? Effets pervers d’une décentralisation qui ne permet plus de contrôler les abus des potentats locaux ?
Tout cela ne peut conduire qu’au dégoût, à la démission , au désinvestissement de ceux qui portent pourtant l’avenir.
L’entreprise France serait-elle en voie de « francetélécomisation » ?
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