Commerce parallèle de tabac à Marseille : une proposition de la députée LREM Alexandra Louis qui interroge
Depuis le début du mois d’août, articles et reportages se multiplient sur le commerce parallèle de tabac à Marseille : Journal Du Dimanche (JDD), Le Monde du Tabac, BFMTV, France Info, France bleu Provence, Valeurs Actuelles, tous mettent en exergue la création d’une unité de police spécialement dédiée à la traque des vendeurs de cigarettes de contrebande à Marseille, et la proposition de la députée LREM des quartiers nord Alexandra Louis de punir les acheteurs de ces cigarettes d’une amende de 35 euros.

Tant sur le fond que sur son traitement médiatique et politique, ce sujet suscite des interrogations : absence de recul et de mise en perspective, aucune relativisation des chiffres énoncés, contexte juridique existant oublié, mélange des causes et des conséquences, cela sent l’opération de lobbying à plein nez !
Rappelons quelques chiffres : il y a 18 milliards de cigarettes qui nourrissent chaque année le commerce parallèle en France, pendant que les 24 000 buralistes vendent un peu moins de 40 milliards de cigarettes.
18 milliards de cigarettes, cela représente 900 millions de paquets de 20 cigarettes, ou 90 millions de cartouches chaque année. Ainsi, quand la Provence datée du 21 août 2019 sous la plume des journalistes Laurent d’Ancona et de Yacine Zehani nous explique que la fameuse unité de police dédiée a « déjà » récupéré 12 000 cartouches, ils devraient préciser qu’il s’agit seulement de 0,01% du commerce parallèle national, ou de 1% si on ramène ce chiffre à l’échelon départemental sur une année.
C’est encore moins bien que le résultat des saisies de la douane dont se gargarise pourtant régulièrement Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des Comptes Publics, qui se situent elles à 2% du commerce parallèle.
Ces articles ou reportages ne précisent pas non plus que ces 18 milliards de cigarettes du commerce parallèle sortent à 98% des usines des 4 majors du tabac que sont Philip Morris International, British American Tobacco, Japan Tobacco International et Seita-Imperial Brands. Et qu’à Marseille, comme le montrait très bien l’étude EPSY de British American Tobacco France jusqu’en 2011, les cigarettes qui alimentaient le commerce parallèle de tabac venaient pour l’essentiel de Corse, et plus précisément de la dernière usine de fabrication de tabac française située à Figari, et dont les Marlboro alimentent le commerce parallèle du sud de la France.
Si 98% du commerce parallèle sort des usines des cigarettiers, pourquoi la députée Alexandra Louis n’envisage-t-elle de punir que les acheteurs de ces cigarettes, et pas les fabricants de tabac qui les fournissent ? D’où lui vient cette idée ? Ne lui a-t-elle pas été soufflée par l’une quelconque des agences de communication d’un des cigarettiers susmentionnés ? Les députés de La République en Marche, sous la houlette de Gilles Le Gendre, s’étant engagés à faire connaitre l’origine de leurs amendements, il ne serait pas inintéressant de savoir qui se cache derrière celui qu’annonce vouloir déposer la députée LREM des Bouches-du-Rhône, et qui vise de manière évidente à cacher la responsabilité de l'industrie du tabac dans l’alimentation du commerce parallèle de tabac. Quand le Sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt.
Alors que les industriels font porter la responsabilité des trafics aux petites mains ("le Trafic de fourmi”) – selon eux des voyageurs qui ramèneraient l’écrasante majorité des paquets de leur voyage, notamment d’Algérie –, les experts s’accordent à dire qu’il est impossible de concevoir qu’une telle quantité de produits soit ramenée uniquement par des particuliers. En réalité, la quantité massive et la provenance de ces produits ne pourrait s’expliquer que par un trafic de conteneurs entiers depuis les usines de production des fabricants de tabac.
Une surproduction qui serait organisée sciemment par les fabricants de tabac contre laquelle seuls le contingentement des livraisons de tabac par pays et la traçabilité indépendante et sécurisée comme définis par les articles 7, 8 et 10 du Protocole de l’OMS seraient en mesure de produire des résultats. Car sanctionner les vrais responsables, qui vendent des produits destinés à la contrebande, implique de pouvoir identifier avec certitude leur provenance et de donner au pouvoir judiciaire les armes suffisamment solides pour les condamner.
A l’heure où les articles se multiplient pour dénoncer les manques d’effectifs au sein de la police nationale, il est en outre étonnant qu’élus et journalistes ne s’interrogent pas sur l’intérêt de mobiliser des policiers pour un résultat si médiocre. Alors que dans le même temps le directeur Général de la Douane Rodolphe Gintz se félicite de la mise en place depuis le 19 mai 2019 d’un système européen de traçabilité des produits du tabac censé mettre fin aux trafics. C’est pour le moins paradoxal. Est-ce une anticipation de l’échec annoncé de cette pseudo-traçabilité au moment où la fédération d’association internationales de santé publique vient de montrer que le système retenu par la France et Bruxelles n’est pas conforme au droit international du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac » entré en vigueur le 25 septembre 2018 ? Nombre d’associations avaient déjà clairement mis en exergue l’incongruité de mettre un système européen géré aux trois-quart par l’industrie du tabac et ses affidés (les sociétés ayant conçu et mis en place le système de l’industrie du tabac Codentify : Atos/Worldline et Dentsu Aegis/Isobar, ou celles qui intègre ce système à leur offre comme si elle le contrôlait elle-même, comme De LaRue…) ? Au sein des ONG à Bruxelles, si on s’est longtemps fait balader par la Commission, on ne s’y trompe plus : le système européen est un contre-exemple des mesures à mettre en place pour indépendamment contrôler les industriels.
Certes, nous sommes au cœur de la trêve estivale, et les médias n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. Tous les politiques savent que c’est le bon moment pour « tenter des coups médiatiques ». Mais tout de même il faut savoir raison garder. Une information se vérifie, et cette histoire de tabac marseillais ressemble à s’y méprendre à celle de la sardine du port.
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