• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Société > Comprendre HADOPI, ses enjeux, ses risques (1/6)

Comprendre HADOPI, ses enjeux, ses risques (1/6)

HADOPI ? Loi « Création et Internet » ? Vous en avez forcément entendu parlé, mais qu’en savez-vous au juste ? Que faut-il en penser ? Et quels enjeux pour votre quotidien d’internaute ?

Un authentique débat de société se dissimule derrière cette loi d’apparence technique et manichéenne. Le gouvernement voudrait discrètement poser les premières briques d’un projet orwélien.

À 8 jours à peine d’un vote crucial à l’Assemblée Nationale, cette série d’articles fait un point complet sur tous les aspects de ce projet de loi, ses enjeux et surtout ses dangers.

Chapitre I : la marche forcée du projet de loi
 
Il est indispensable en préambule de reconstituer le parcours de ce texte, mené tambour battant par le gouvernement qui en a fait un objectif prioritaire de son action. Il illustre en effet à merveille l’obstination, le refus de toute analyse ou concertation, le mépris des consommateurs et de la démocratie, et la soumission à des intérêts privés qui ont prévalu à chaque étape.
 
Le 30 juin 2006 est adoptée la loi dite DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information), qui vise essentiellement à sanctuariser les verrous numériques que les industriels appliquent aux fichiers qu’ils vendent, afin de contrôler et limiter l’usage qu’en font les acheteurs. Très contestée à l’époque, en particulier par une pétition du Nouvel Observateur, cette loi est demeurée pour l’essentiel sans effet, d’autant que les industriels de la culture qui l’avaient tant souhaitée ont tardivement réalisé le caractère contreproductif de ces systèmes et ont fini par les abandonner. Pour autant, ces mêmes industriels n’ont nullement renoncé à lutter contre les téléchargements illégaux et surtout à contrôler la distribution de la culture.
 
Dès sa prise de fonction en mai 2007, Nicolas Sarkozy leur déclare qu’« ils pourraient compter sur lui ». En Juin, il reçoit les lobbys de l’industrie du disque à l’Élysée et dès juillet charge Denis Olivennes de lui faire des propositions pour lutter contre le piratage informatique. Le choix de l’homme n’est pas anodin, il était à l’époque le patron de la FNAC, premier disquaire de France. C’est dire s’il est indépendant et à quel point les conclusions de cette commission sont connues d’avance !
 
La copie très prévisible qu’il rend en novembre 2007 débouche immédiatement sur des accords interprofessionnels (« Accords de l’Élysée ») entre ayants droit de la musique, du cinéma, de la télévision et fournisseurs d’accès internet (FAI), pour mettre en place un dispositif basé essentiellement sur la répression (baptisée riposte graduée), censée cornaquer les consommateurs vers les offres payantes sous la menace d’une suspension d’accès à Internet. C’est clairement une vision consumériste de la culture qui est ainsi prônée. Même la commission Attali n’hésite pas à critiquer le projet, affirmant sans détour que « La mise en place de mécanismes de contrôle des usages individuels (filtrages généraux, dispositifs de surveillance des échanges) constituerait un frein majeur à la croissance dans ce secteur clé », que « même sous le contrôle d’une autorité indépendante ou d’un juge, ces mécanismes introduiraient une surveillance de nature à porter atteinte au respect de la vie privée et aux libertés individuelles, tout à fait contraire aux exigences de la création et à la nature réelle de l’économie numérique » et qu’« il est possible de concilier développement économique et liberté de téléchargement ». Cet aspect de son rapport ne sera pas retenu ! En mars 2008, Denis Olivennes quitte la Fnac pour diriger le Nouvel Observateur… le journal qui avait tant combattu la DADVSI.
 
En mai 2008, le projet de loi final est soumis au Conseil d’État. Le texte est lapidé par l’ASIC, qui regroupe les principaux acteurs professionnels du web, par le principal magazine informatique français, SVM, qui lance une pétition contre. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et la CNIL remettent un avis critique au gouvernement. En juin, les FAI – pourtant signataires du projet – commencent à critiquer le projet de loi ; l’un des principaux, Free, ira jusqu’à signer la pétition de SVM, arguant qu’on lui avait « fait signer une feuille blanche » à l’Élysée. La presse (sauf le Nouvel Observateur et Les Échos) se fait critique.
 
Parallèlement, les institutions européennes vont s’opposer à de multiples reprises aux principes fondateurs du projet de loi HADOPI. En janvier 2008, la cour européenne de Justice juge que la protection des droits d’auteurs ne justifie pas les atteintes à la vie privée des internautes. Le 10 avril 2008, le parlement européen adopte à 51% une résolution qui encourage les états membres à ne pas interrompre l’accès à Internet de citoyens européens, au nom des droits fondamentaux, une résolution qui s’oppose directement au projet de riposte graduée porté par la France, mais ne suscite que les moqueries de Christine Albanel. Le 27 juin 2008, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen adopte une résolution non contraignante qui soumet tout filtrage obligatoire d’Internet à une autorisation de la Commission Européenne. Le 24 septembre 2008, le parlement européen vote à 88% l’amendement 138 dit « Bono » du « Paquet Télécom », qui s’oppose à la riposte graduée. Pour autant, Christine Albanel maintient son projet, chiffres alarmants à la clé (établis par les industriels et repris tels quels par le ministère) et l’UMP demande l’examen en urgence du projet de loi, alors même que le parlement doit déjà se pencher sur la réforme de l’audiovisuel public, la loi HPST (Hôpital Patients Santé Territoires) et la réforme pénitentiaire (presque deux suicides par semaine dans nos prisons en 2008). Le 4 octobre 2008, Nicolas Sarkozy, président de l’Union Européenne, exige le retrait de l’amendement 138 et se heurte à une fin de non-recevoir. La commissaire européen Viviane Reding, en charge du « Paquet Télécom », tourne même casaque pour devenir hostile au projet français. La présidence française de l’Union parviendra tout de même à manœuvrer pour repousser les effets des votes du parlement européen et obtenir un revirement de la commission européenne.
 
Mi-octobre, le sénateur Bruno Retailleau (sans étiquette mais proche de Philippe de Villiers), rapporteur du projet au Sénat, juge le texte « déséquilibré, c’est-à-dire répressif sans contrepartie pour le consommateur ». Le 21 octobre, l’amendement 138 du « Paquet Télécom » qui pose un obstacle majeur à la mise en œuvre de la riposte graduée est accepté par la commission européenne, ce qui a pour seul effet de pousser le gouvernement français à déclarer l’urgence du texte pour prendre de court un probable obstacle européen. Malgré ce contexte, le Sénat adopte en moins de 24 heures le 30 octobre un texte modestement amendé. Presque simultanément, le ministère de la culture se fait épingler lorsque les véritables partenaires privés de son site de propagande sur le texte de loi (www.jaimelesartistes.fr) sont démasqués, une bourde qu’il corrigera sans délai. Le 3 novembre, la CNIL en appelle au Conseil Constitutionnel pour censurer l’HADOPI et regrette que son avis n’ait pas été communiqué au Sénat. Face à la grogne qui s’organise et se structure sur Internet, le gouvernement n’hésite pas faire appel au spam pour diffuser sa propagande pro-HADOPI. Dans son édition du 7 novembre, le Monde révèle la méthode calcul pour le moins discutable qui sert à mesurer l’importance du piratage ; une analyse poussée d’un consultant en stratégie Internet va plus loin encore, démontrant le caractère totalement fantaisiste des chiffres mis en avant par l’industrie et invoqués sans recul ni critique par le ministère de la culture. Très récemment, l’UFC-Que choisir a rappelé l’origine douteuse de ces chiffres et demandé des « études d’impact sérieuses ».
 
Au terme d’un bras de fer avec la commission européenne, Nicolas Sarkozy, encore président de l’Union, parvient fin novembre à faire retirer du « Paquet Télécom » le fameux amendement 138. Lors de ses vœux à la culture en janvier 2009, il redit son souhait « d’aller aussi vite que possible » sur la loi Création et Internet alors même que le contexte économique voudrait décemment que le président se préoccupe plutôt des façons de relancer le pouvoir d’achat de l’ensemble des citoyens que celui de ses amis personnels. Dans cet esprit, et forte d’une méthode éprouvée avec la fin de la publicité décidée sur France Télévisions avant même que le projet de loi audiovisuel soit étudié au Sénat, Christine Albanel dit souhaiter que la loi sur la riposte graduée soit anticipée par les FAI. Fort heureusement, il n’en sera rien.
 
Début février, la « Quadrature du Net », un collectif citoyen, publie un dossier à charge largement argumenté : « HADOPI, Riposte graduée : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème ». Le site numerama.com ouvre un groupe Facebook pour réclamer non sans arguments l’ouverture d’une enquête parlementaire contre Christine Albanel. À ce jour, il réunit près de 10 000 internautes ! Le fournisseur d’accès Free adresse aux parlementaires ses critiques contre la loi et Google annonce redouter « une forme de censure »
 
Le 17 février, la commission européenne décide de geler tous ses projets en matière de lutte contre le piratage, notamment devant la pression populaire, et la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du parlement européen adopte à l’unanimité un texte qui invite les états membres à mieux respecter les libertés fondamentales et notamment la vie privée des citoyens, il demande par ailleurs à ce que l’accès à Internet ne puisse pas être refusé à titre de sanction, comme le prévoit la riposte graduée à la française. Le 6 mars, le parlement européen réintroduit l’amendement 138 dit « Bono » au « Paquet Télécom », celui-là même qui avait été supprimé sous la présidence française de l’Union européenne. Le 11 mars, le débat parlementaire s’engage brièvement en France, avant d’être suspendu jusqu’au 30 mars, possiblement en raison des dissensions qui se font jour dans la majorité. Le 26, les députés européens adoptent par 481 voix contre 25 le rapport Lambrinidis qui dispose que l’accès à Internet « ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées ». C’est la troisième fois que le Parlement européen se prononce ainsi contre la riposte graduée à la française.
 
Dès la reprise des débats à l’Assemblée, la CNIL est exclue de l’HADOPI. Le 3 avril, la loi HADOPI est votée à la sauvette par 16 députés. Le collectif La Quadrature du Net soulève au moins 50 points anticonstitutionnels et un député PS affirme la détermination de son parti à saisir le Conseil Constitutionnel. La commission mixte paritaire, dont la composition est verrouillée par l’UMP, durcit encore un peu plus le texte en retirant les rares amendements qui le nuançaient. Le Sénat adopte la loi sans difficulté même si cette fois-ci, les Socialistes s’abstiennent. Enfin, par un coup de théâtre totalement inattendu, le parlement rejette la loi ! C’était le 9 avril. Le réexamen du texte est promis le 29 avril !

Moyenne des avis sur cet article :  5/5   (19 votes)




Réagissez à l'article

10 réactions à cet article    


  • patroc 21 avril 2009 10:39

     Bon, rien de neuf pour résumer...


    • Lisa SION 2 Lisa SION 2 21 avril 2009 11:16

      « l’un des principaux, Free, ira jusqu’à signer la pétition de SVM, arguant qu’on lui avait « fait signer une feuille blanche » à l’Élysée. La presse (sauf le Nouvel Observateur et Les Échos) se fait critique. » Je suis contre les articles qui incluent plus de dix liens, mais je suis pour les musiques qui jouent plus de quarante deux notes en même temps et pendant une seconde, ou en arpège, une par une. Rien que la page SVM ouvre sur quinze articles différents et cinquante liens vers d’autres sites pleins d’articles à ce sujet. Une feuille blanche qui est devenue vingt mille sites en relayant qhacune dix liens vers d’autres sieteste qui....allez une pause : http://www.musicme.com/#/Level-42/albums/Level-42-0602498435717.html .Bon, je clique sur presse et a+ ;L.S.



        • alphapolaris alphapolaris 21 avril 2009 13:16

          Saluons le formidable travail de Thomas qui a enrichi son article de plus de 60 liens venant étayer son argumentation ! Ce bel effort méritait d’être signalé. Bravo, j’attends avec impatience la suite smiley


          • Thomas Thomas 21 avril 2009 15:53

            Merci. Les 6 volets sont écrits et soumis à validation.


          • pendragon 21 avril 2009 17:27

            La loi s’impose surtout à ceux qui la refusent.


            • mr.muscade 21 avril 2009 21:09

              Bravo, excellent article très bien documenté. De plus, vous avez très bien mis en évidence un fait que de nombreux français ne veulent pas admettre, je parle du fait que ne nous sommes plus dans une démocratie.


              • Sandrine Muller sodfra 21 avril 2009 21:35

                Bravo effectivement pour ce beau travail. Cela dément les prétendus fausses allégations que les anti-hadopi feraient à tours de bras !

                Le projet Hadopi : un constat qui fait honte, moins détaillé et pédagogique, mais tout aussi militant :)


                • Thomas Thomas 21 avril 2009 22:02

                  Merci, j’attends avec impatience la validation de la suite de l’article.
                  Les modérateurs doivent être en vacances...


                • masique.com 23 avril 2009 17:07

                  Rien de neuf sous le soleil. L’Hadopi ne mérité qu’apostasie !
                  Masique.com

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès