Conspiration des masses contemporaines contre l’Art
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L’Art qui s’écrit avec un A majuscule n’a cessé d’interroger les penseurs. Ne me demander pas ce qu’est l’Art en vérité, je ne saurais que vous aiguiller vers des philosophes d’époques différentes où les conceptions, compréhension et finalités de l’Art sont distinctes. Platon, Baumgarten, Kant et Nietzsche pensent différemment sur cette question. Et je vous dirais que moi-même j’ai aussi un avis tranché, qui cherche la vérité mais qui ne prétend pas l’atteindre. Sans doute, la quête de la vérité dans l’Art ressemble à la quête de Dieu. Celui qui a trouvé le divin non seulement continue à le chercher mais ne peut prétendre détenir une expérience ayant valeur d’absolu. L’Art, c’est peut-être un ensemble de productions culturelles désignées comme œuvres par une communauté d’individus dont on peut penser qu’ils ont une certaine expérience esthétique. Si bien que l’Art fait partie de la culture mais sans s’y amalgamer. Cette suggestion recèle son cortège de débats et surtout polémiques. Car qui décide qu’il s’agit d’Art ou bien de culture sans prétention, voire contenu, artistique. Et là, les « vieux démons » de la vulgate démocratique sont prêts à donner de la voix. Non, mon bon Monsieur, l’Art n’est pas réservé à une élite et s’offre à tous, moyennant quelques conditions d’accès, et puis, ne mégotons pas, tout individu peut décider s’il s’agit d’une œuvre d’Art. Il y a en chaque homme un Marcel Duchamp qui sommeille. « Eh Maurice ! Enfile ton marcel et suis-moi, on va voir les vaches en plastique sur les quais de Bordeaux, l’art c’est pour nous, et le cochon c’est après l’apéro chez Jojo ! »
Il nous est plus aisé de définir la culture que l’Art. La culture se conçoit en opposition à la nature. La culture peut aussi être définie comme une production spécifique de l’homme, une invention de quelque chose qui n’existe pas dans la nature et surtout, ne l’oublions pas, un partage. Car sans adhésion d’un ensemble d’humains à des productions culturelles, il n’est pas de culture. Inversement, la culture est aussi ce qui permet l’adhésion des hommes en les reliant à travers des expériences communes, appréciées et partagée par le nombre. La culture, c’est ce qui commencé lorsque des hommes se sont mis à peindre des figures animales sur la paroi d’une grotte, ou bien de cuire les aliments avant de les consommer. Maintenant, la culture a envahi l’existence. L’image d’un Manet exposé au Louvre peut être envoyée à Tokyo grâce à un smartphone et c’est culturel. Si dans la culture il y a partage, alors l’extension des moyens de diffusion et communication ont considérablement modifié le phénomène culturel. Une analyse fine permettrait de déterminer également l’influence des communications de masse sur le devenir de l’Art, avec les deux faces, celle des œuvres crées et celle des expériences artistiques vécues. Mais pour l’instant, rien n’a été dit sur la spécificité de l’Art et l’expérience résultant de sa perception.
La ligne de partage entre l’Art et la culture repose sur deux critères. La spécificité des œuvres et la singularité de la perception et l’expérience esthétique. La controverse classique oppose (i) la thèse dite élitiste de l’accès singulier et sélectif de l’œuvre à quelques personnes qualifiées d’initiées et (ii) la thèse qu’on dira démocratique voire relativiste qui place sur un même niveau toutes les œuvres et les expériences esthétiques. Si on opte pour la première solution, alors la compréhension de l’Art suivra un chemin parallèle à l’étude du religieux telle qu’elle s’est présentée chez un Jan Assmann avec le concept de double religion, l’une populaire servant en plus de théologie politique et donc de religion d’Etat alors que l’autre est réservée comme expérience spirituelle et compréhension philosophique à l’initié. Dans le même ordre d’idée, on peut supposer une double culture, l’une qu’on dira démocratique et qu’on pourra associer sans doute à une culture d’Etat mais aussi et surtout à une culture servant d’instrument pour le marché et le profit. D’aucun disent qu’il existe un marché de l’Art. C’est exact mais est-ce encore de l’Art qui se négocie avec les œuvres contemporaines ? Le marché de l’Art est réservé à une élite mais il ne se distingue par en essence avec l’industrie culturelle qui reproduit les œuvres et les diffuse à millions d’exemplaires pour satisfaire le désir de « culture mainstream » et de « culture pop ».
Pop, comme populaire, le pop a enseveli l’Art sous un déluge de formes sonores et visuelles intempestives afin de rendre la vie plus divertissante, gaie et légère mais l’Art ne perçoit qu’à l’écart du vacarme, dans le recueillement d’une émotion qui gagne l’esthète lorsqu’il laisse flotter son esprit face à l’œuvre. L’Art se distingue de la culture plus au niveau des émotions et intuitions dues à l’influence sur le sujet que des contours objectif de l’œuvre. Pour percevoir l’Art, il faut s’abandonner face à l’œuvre, quitter les catégories prosaïques et surtout mettre entre parenthèse son ego. De même que l’expérience religieuse est personnelle et élitaire, l’expérience esthétique est singulière et pas forcément accessible à tous. C’est une question d’orientation, d’initiation, d’écoute, d’attention, accessible à plus de gens mais bridée par des habitudes sociales, des normes systémiques, des facilités consuméristes. L’émotion esthétique est par essence différente du simple plaisir. Ce sont les circuits supérieurs de la conscience qui sont mobilisés. L’énergie spirituelle si l’on veut, celle que la musique peut influencer en contournant les pesanteurs matérielles.
Les masses conspirent contre l’Art mais sans le savoir. Conspirer, aspirer en ensemble. Les masses ne sont pas inspirées par l’Art ; elles n’aspirent qu’à consommer de la culture industrielle. Il faut défendre les artistes, les soutenir, les apprécier et bien entendu savoir les reconnaître et les distinguer de tous ces opportunistes qui savent jouer des médias de masse pour se faire une place sous les feux des rampes de studio et aussi beaucoup d’argent. Mais rien n’est perdu, en chaque homme sommeille un esthète, il suffit de le réveiller, ou plutôt de l’éveiller.
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