Construire écolo à moins de 100 €/m², la réalité post-industrielle au Pays de Galles
Vous doutez de la catastrophe post-industrielle ? De l'effondrement financier et industriel ? de la chute vertigineuse de la croissance dans les pays industrialisés après le peak-oil ? L'écovillage de Lammas, dans le Pays de Galles, est prêt.
Je viens de passer une semaine avec Simon Dale et un groupe d'une dizaine de personnes pour collaborer à la construction de sa deuxième maison sur le site de Lammas. Le mérite indiscutable de ces pionniers est de joindre l'action à la parole, ce qui est sans doute la seule façon de faire tomber les illusions et les tabous.
Il est difficile d'échapper à une première impression catastrophiste : la pauvreté, les caravanes, les dreadlocks, un univers zadiste... La catastrophe industrielle est passée ici, à environ 140 km à l'ouest des aciéries Tata de Cardiff. La décroissance, cela paraît peu dire, le sport consiste à faire avec très peu d'argent et avec le maximum d'autonomie possible. Donc, on y retrouve la permaculture, la construction autonome, off-grid bien sûr, avec une bonne partie des principes du mouvement des earthship lancé par l'architecte américain Reynolds, un mélange d'écologie, de renoncement à la protestation et la volonté de faire par soi-même.
Les gallois ne sont pas les seuls, il y a d'autres éco-villages, y compris en France. Ce qui est particulier dans le modèle gallois, c'est d'abord le programme urbain ouvert par le welsh Government en faveur de l'expérimentation écologique. Le principe est d'autoriser les constructions écologiques sous réserve d'atteindre certains niveaux d'autonomie en alimentation et en énergie, dans la logique d'un rapport remis en 2011 portant sur le potentiel de durabilité d'un éco-village de Sicile et promu par l'Union Européenne. Les autorités publiques galloises suivent de près le cas de Lammas, les inspecteurs de l'administration y sont très présents. Il y a de nombreuses difficultés liées aux normes, toutes liées à une logique et des intérêts industriels. La semaine dernière, le sujet portait sur les baignoires obligatoirement fixées au sol et la ventilation mécanique également obligatoire... Cette particularité est aussi importante qu'abstraite.
Think what you do, and do what you think
La seconde particularité galloise beaucoup plus concrète et visible, c'est le style, la charpente et les toits végétalisés. Simon Dale utilise le mélèze brut, il enlève uniquement l'écorce. Ce qui donne une première impression déroutante de cabane bricolée, tant nous sommes habitués au bois scié rectiligne. Cet usage est tout à fait symbolique des problèmes de perception que nous pouvons avoir vis-à-vis d'un mode de pensée alternatif par rapport à nos habitudes calibrées, normées, industrielles.
La première impression d'improvisation que nous ressentons s'avère assez vite fausse, et même complètement fausse. La philosophie générale des Dale, aussi bien côté éco-construction que côté permaculture, peut se résumer par le principe suivant : think what you do, and do what you think. L'un des plus graves problèmes que nous ayons aujourd'hui dans les activités industrielles et de service, c'est de réussir l'empowerment, autrement dit c'est de faire participer chaque salarié ou agent public à la définition du processus de travail pour optimiser l'utilisation des ressources et augmenter la productivité. Les difficultés sont moins dans les méthodes, lean management ou autre, que dans l'impossibilité de partager les questions du sens quand on est exclu du partage de la définition de finalités. Or précisément, chez les Dale, la conception (design) a beaucoup d'importance et ils anticipent beaucoup. Franchement, cela a de quoi faire rêver n'importe quel manager quand on connaît les blocages actuels dans nos entreprises et nos administrations. En l'occurrence, pour la réalisation de la charpente ensuite recouverte de terre végétalisée, le bois est choisi et coupé au moins 2 ans à l'avance, et on utilise les rondins de mélèze parce qu'en gardant leur forme ronde naturelle tout leur potentiel de solidité et maximisé. Le travail se concentre les liaisons de charpente réalisées avec précision et efficacité.
Il est nécessaire de modifier notre regard pour bien comprendre. Entre la vue et le regard, il y a notre interprétation. Nous sommes pervertis par l'idéologie industrielle, nous pensons qu'une belle maison bien finie a des formes parfaitement droites ou parfaitement rondes et que des belles tomates sont parfaitement rouges avec des formes toujours régulières. Jacques Ellul disait à ses étudiants que la pollution des signes est la plus grave des pollutions qui soient. Ellul, qui est l'un des pères de la pensée écologiste, était aussi un grand spécialiste de la propagande, un parfait anti-Séguéla qui croit qu'on a raté sa vie si l'on n'a pas les moyens de s'acheter une Roleix à 50 ans et qui a voulu nous faire croire au bonheur par la publicité qui rend la ville plus gaie et plus belle.
Déjouer la pollution des signes, retrouver de l'autonomie
Nous percevons tout ce qui n'est normé pas par l'industrie comme laid, la nature elle-même est laide de ces « mauvaises herbes » si les plantes ne sont pas taillées et calibrées, et tous les objets non standardisés suivant les canons des images publicitaires artificielles deviennent hors de beauté compréhensible alors même que le contenu est frelaté, incontrôlé, recomposé par des intérêts économiques. Nos premières perceptions de la beauté sont construites et sous influence idéologique, le premier regard spontané que nous portons sur la maison en construction nous trompe.
La pollution des signes est dans nos cerveaux, pour moins souffrir de l'exclusion au revenu en contradiction avec la demande boulimique de consommation vers laquelle on nous a entraîné, il est nécessaire de modifier notre regard et donc nos désirs pour retrouver davantage d'autonomie. Ne croyez pas que Simon Dale est un extrémiste de l'auto-construction écologique parce qu'il construit à moins de 100 €/m² : il dépense peu parce que c'est une nécessité, il récupère les produits industriels (par exemple du polystyrène pour l'isolation au sol), il passe des compromis constamment entre l'achat d'outils et leur fabrication, entre la garantie écologique et la récupération. Il vit dans l'aventure d'un pionnier qui invente des solutions tous les jours, il les analyse et les adapte. La maîtrise est dans les moyen et long terme et l'improvisation est au contraire quotidienne, c'est-à-dire que sa vie est à peu près l'antithèse de nos contemporains intégrés à la société industrielle.
Dans la question des signes, il y a aussi la sociabilité. Moins il y a d'argent, plus il y a de sociabilité. L'entraide est une dimension importante de Lammas, il y règne une grande gentillesse. On y trouve des marginaux, souvent plus âgés, et des jeunes avec des têtes bien faites qui viennent observer et qui s'interrogent vraiment sur l'intérêt de travailler pour un salaire. Au début du stage consacré à la construction, chacun est informé que nul n'est obligé, qu'on peut arrêter le travail quand on veut, quand on est fatigué ou simplement quand on n'est plus motivé par une tâche pénible.
Sans doute moins développée aujourd'hui que la permaculture, l'éco-construction commence également à faire apparaître un corpus de savoir-faire identifié : l'usage de la terre pour isoler, l'usage du verre incliné pour récupérer la chaleur, de la masse d'inertie pour la conserver, les toilettes sèches et les traitements des eaux grises, etc... Pourtant le logement est aussi indispensable que l'alimentation et il pèse désormais plus dans le panier des ménages. Sur le plan écologique, il est également la première source de consommation d'énergie carbonée.
Sur le site web de la famille Dale , on peut se procurer la brochure Wild by design où Jasmine Dale raconte sa décision de changer de vie au moment de l'accouchement de sa fille. C'est une petite page d'anthologie : doit-on préférer ses forces naturelles et animales à la prise en charge par la technique médicale dans l'acte du don de la vie ? Cesser de laisser les techniciens, les industriels, les banquiers et les publicitaires penser pour soi, c'est sans doute cela la révolution, elle commence au fond de soi-même.
- Le hobbit de la famille Dale
- Détail de charpente
- Simon Dale (à droite) dans son jardin
Quelques références sur l'éco-construction :
- Vidéo sur le hameau des Buis
- La série de 55 vidéos de Living in the future
- Site de la maison autonome
- La technique de la terre en sac de Nader Khalili, la variante Kerterre d'Évelyne Adam.
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