Cris de poussins dans la volière aux rapaces
Horreur, malheur et putréfaction : voilà qu’un groupuscule de vils députés rouges du sang des honnêtes laborieux a tenté de passer en loucedé un amendement perfide pour empêcher de s’auto-exploiter en rond !
- Une adorable créature qui se bat pour attraper les miettes sous la table.
Aussitôt c’est le branlebas de combat chez les poussins autoproclamés qui n’aiment rien tant que de se jeter tout cru dans la gueule du renard auquel ils ont déjà filé les clés du poulailler :
Malheureusement à la mi-avril le sénat a adopté un amendement qui vise à supprimer cette présomption de non-salariat. Dans la pratique cela signifie qu’en cas de contrôle de l’URSSAF, un indépendant ou autoentrepreneur serait présumé en infraction et devrait lui-même apporter les preuves qu’il n’y a pas salariat déguisé, qu’il ne pratique pas son activité dans les conditions d’un salarié.
Le second problème est que cet amendement risque fortement de limiter l’envie de certains clients de travailler avec des indépendants ou des autoentrepreneurs de peur de devoir faire face à des procédures de contrôle systématique de l’URSSAF.
Je rassure tout de suite les auto-exploités : l’amendement a été prestement rangé sous le boisseau par le gouvernement et tout le monde reprendra le cours sordide de ses (toutes) petites affaires, comme c’est le cas depuis la loi Dutreil.
Oups… j’en vois (mentalement, cela va de soi !) quelques-uns arborer l’expression à nulle autre pareille de la plus totale hébétude qui n’est pas sans évoquer la placidité bovine d’une belle blonde au passage du train. C’est que je parle de veilles lunes, d’un monde frappé depuis longtemps d’obsolescence mémorielle : la question épineuse de la présomption de non-salariat et de son pendant logique et nécessaire, le salariat déguisé :
La présomption de non-salariat a été ensuite établie par la loi Madelin du 11 février 1994 : toute personne régulièrement immatriculée était présumée non-salariée. Puis cette présomption a été supprimée par la suite par la loi dite « Aubry II » du 19 janvier 2000 sur la réduction négociée du temps de travail.
La Loi sur l’initiative économique du 1er aout 2003, article 23 (voir plus loin), renverse à nouveau la charge de la preuve en établissant une présomption d’indépendance pour les sous-traitants. Ce sera donc à l’administration désormais de prouver l’existence d’un contrat de travail lorsque le travailleur indépendant fournit ses prestations dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de son donneur d’ordre : il ne pourra y avoir « dissimulation d’emploi salarié » que s’il est prouvé que le donneur d’ordre a voulu éluder ses obligations en tant qu’employeur.
Cette règle nouvelle introduit un élément de sécurité pour l’indépendant : il pourra exercer son activité sans faire prendre de risques aux entreprises qui recourent à ses services. Mais cette analyse, celle de l’APCE et du Secrétariat d’État aux PME, est trop courte. Elle ignore la réalité des rapports contractuels entre de nombreux « indépendants » et leurs donneurs d’ordre. Le client, l’entreprise donneuse d’ordre, est souvent seule à avoir accès aux marchés : c’est elle qui prend le marché, puis distribue le travail et sélectionne les indépendants disponibles et dociles à la fois.
Les indépendants et la présomption de non-salariat : les risques
De quoi parle-t-on, finalement, avec cette histoire de poussins kamikazes, si ce n’est que d’un prodigieux bond en arrière dans le monde du travail, quelque chose qui renvoie directement au travail à façon si bien raconté par Zola et ses contemporains, grand pourvoyeur de misère.
Marche et crève
Que l’autoentrepreneuriat ait explosé en même temps que les chiffres du chômage n’a rien d’un hasard tombé du ciel : les petites entreprises de la crise ont aimablement participé au maquillage des chiffres réels du chômage et à la précarisation accélérée du monde du travail. Pensez : tous ces gueux éjectés définitivement du système de protection sociale, jetés dans les bras de patrons enfin débarrassés des affreuses contraintes du droit du travail, en voilà une bonne affaire !
Bien sûr, j’exagère ! J’exagère toujours… comme chacun le sait, ici.
Tous patrons ! Tous libres ! Tous profession libérale : comme les médecins, les avocats ou les architectes. Sauf que ce statut pourri a toujours été calculé pour bien scotcher les gens sous le seuil impalpable de la véritable et unique indépendance : celle du portemonnaie. Et là, les chiffres sont bien plus implacables que les rodomontades des Poussins montés en grade :
Au bout de trois ans, 90 % dégagent un revenu inférieur au SMIC au titre de leur activité non salariée
En 2009, 328 000 personnes ont créé une autoentreprise, dont la moitié exerce une activité économique effective. Ces autoentrepreneurs actifs sont proches des créateurs d’entreprises « classiques » par leurs caractéristiques, mais ils tirent de leur activité un revenu très inférieur : en moyenne, 4 300 euros de revenu annualisé la première année, soit trois fois moins que les créateurs classiques. Ils exercent souvent en parallèle une activité salariée. Deux ans plus tard, fin 2011, 102 000 sont toujours actifs économiquement, mais seuls 79 000 ont pu dégager un revenu positif de façon continue sur les trois ans. En moyenne, le revenu qu’ils tirent de leur activité a progressé, mais pour neuf sur dix, il demeure inférieur au SMIC. Si une petite moitié a pérennisé son activité en développant son chiffre d’affaires, moins d’un sur dix perçoit un revenu comparable à celui des autres non-salariés de son secteur. Peu ont quitté l’auto-entrepreneuriat pour rejoindre le régime non-salariés classique.
Mais s’il n’y avait que la pauvreté, on pourrait toujours se gargariser des sempiternels : c’est toujours mieux que rien !
Sauf que la misère des uns fait toujours la prospérité des autres, de ceux qui ont comme fonds de commerce de profiter aux dépens des autres.
Le précariat absolu
C’est une situation délicate…. dans laquelle je me suis mise toute seule par peur de voir mon unique client me dire » non ». Tout simplement pour conserver ce boulot qui me plait énormément.
En bref : je travaille depuis un an et demi pour cette agence en freelance, à temps plein, pour eux dans leur locaux tous les jours. Je fais environ 50h à 60h par semaine, je bosse aussi le week end quand il faut . j’ai à peu près 2 à 4 boulots par mois pour environ 400 euros le boulot qui correspond à 3 semaines de travail.
Je suis payée selon le barème de mon agence.Au début je me disais c’est une bonne école, le boulot est super j’ai des responsabilités, parfait en somme….pour débuter, tout en sachant qu’il va falloir un jour trouver du temps entre 2 boulots pour démarcher ailleurs.
Depuis à peu près 6 mois, je fais du forcing pour les bdc à chaque fois » j’ai pas eu le temps » » Je sais pas faut que je fasse le devis au client » ect…. toujours une excuse.
Jusqu’au jour ou j’ai commencé à hausser le ton…. ce qui n’ a pas été une bonne chose
je leur ai fait comprendre que les retards accumulés ne me satisfaisaient pas…
que ce n’était pas comme ça que je souhaitait travailler avec eux. Aucun effort depuis.Il ya deux mois, gros clash j’ai pas pu rendre un boulot à l’heure car à force de changer d’idées toutes les 5 minutes j’ai pas tenu le coup physiquement et me suis effondrée.
Depuis c’est la dégringolade, surchargée de boulot, changement d’orientation au jour le jour, je passe mon temps à revenir encore plus sur mes dossiers.bref de l’élément efficace et operationnel, je suis passée à la stagiaire incompétente.
Témoignage de Aliane,
graphiste indépendante, Forum Kob-One, juin 2008
Ça, c’est la face B du statut d’autoentrepreneur, ce qui fait que dès qu’on évoque les questions de salariat déguisé, on a le brave MEDEF, grand redresseur de torts devant l’éternel, qui tout de suite, vole au secours des pauvres poussinets aux plumes ébouriffées par le vent du boulot du boulet. Des témoignages de ce calibre, dans le joyeux monde de la com’ et des médias, j’en ai des caisses. Vraiment.
On a donc des travailleurs indépendants qui n’ont qu’un client, chez lequel ils bossent comme des chiens. Pas de droit du travail = pas de revenu minimum, pas d’horaires maxi, pas de WE, des jours fériés, de maladie… pas de droits, quoi ! Mais beaucoup de contraintes : j’ai déjà lu des témoignages de freelance
s qui se demandaient comment acheter le modèle d’ordinateur et les logiciels exigés par le client ! Parce qu’en plus de n’être protégé par rien, l’autoentrepreneur doit fournir son outil de travail. Et il est virable par simple SMS…
Dans un monde de la presse moribonde, y a bon aussi, l’autoentrepreneur journaliste, sans contrat, sans statut, sans carte et sans garanti :
Une jeune femme passionnée dont on découvre le nom.
Quelques grands médias n’en font qu’une brève.
D’autres ont l’air sincèrement émus, mais ils sont rares.Que faisait-elle là-bas, à cet âge ?
Des photos, pour les vendre.
En fait pour en vivre et vivre sa passion.Elle était en « freelance ».
C’est-à-dire à son compte.
Devant tout financer par elle-même.Son matériel.
Son voyage, sa vie là-bas.
La promotion de son travail.De belles photos qui pouvaient rester invendues.
Ou achetées une bouchée de pain, sous forme de droits d’auteur.
En attendant une utopique célébrité.Ils sont maintenant fiers de dire qu’elle a été maintes fois publiée.
New York times, NYT Lens Blog, Time Lightbox, Le Monde, Der Spielgel, Libération, Le Nouvel Observateur, La Croix, The Sunday Times The Guardian, BBC, Wall Street Journal, Washington Post, Le Monde, Vice Magazine, Al Jazeera.
Mais pourquoi était-elle freelance alors ?L’avenir de ces jeunes qui aiment leur métier, qui veulent changer le monde.
C’est maintenant de travailler sans moyens, puis d’espérer.
Espérer pouvoir retirer de leur travail quelques fifrelins.Les grands groupes dits de presse, les chaînes d’info, les agences…
Ne commandent plus, n’engagent plus, n’accompagnent plus.
Non, il faut tout leur amener sur un plateau avant qu’ils n’envisagent d’acheter.
Piou, piou, piou… font les gentils poussins !
Et nous ne parlerons pas des poussins maçons, charpentiers, électriciens, externalisés par leur entreprise du bâtiment et engagés ensuite comme autoentrepreneurs qui mettront un point d’honneur à ne pas emmerder leur tout nouveau client avec des questions aussi triviales que leur sécurité, leurs accidents, leurs blessures de guerre, celle qui s’exercent chaque jour un peu plus contre les laborieux, les prolos, ceux qui louent leurs bras ou leur jus de cerveau pour bouffer… juste un peu.
Non, ne parlons pas de la grande marche des poussins vers l’équarrissage économique dans lequel le gouvernement et nos députés les ont, une fois de plus, laissé tomber. Non, unissons plutôt nos applaudissements avec ceux du MEDEF pour ce modèle de société qui célèbre chaque jour la liberté, celle du renard dans le poulailler !
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