Crise : « Ceux que l’on considère à la marge sont les victimes de cette farce »
Quel est le sort réservé aux petites gens, aux personnes les moins bien loties, et notamment les personnes handicapées et malades, en ces temps de crise ? Stéphane Hessel, inspirateur des "indignés", revient sur cette grave question, et l'élargit, dans cette interview exclusive réalisée à l'occasion des 90 ans de la FNATH (Fédération des accidentés du travail et des personnes handicapées), dont il est le contemporain. Pendant ce temps, un énième projet de loi a été déposé à l'Assemblée nationale pour améliorer le sort des accidentés du travail, qui relèvent toujours d'un texte -discriminatoire- de 1898 ! Hessel, qui a traversé tant de combats et de périls, partage malgré tout une vision d'espoir.
Stéphane Hessel, 93 ans, ancien résistant et ancien diplomate est l’auteur notamment d’un petit opuscule, « Indignez-vous » (Éditions Indigène) qui a fait un véritable tabac en France et à l’étranger. De nombreux mouvements se sont créés sous ce vocable d’indignés.

Comment décrivez-vous l’époque dans laquelle nous vivons ?
On vit un moment de l’histoire où l’on rencontre une inquiétude assez générale. On se souvient des manifestations contre les retraites à l’automne 2010. Sans oublier la crise. Quand j’ai rédigé mon petit livre, nous pensions surtout, mes éditeurs et moi, à ces grandes valeurs de la Résistance et de Déclaration universelle des Droits l’Homme qui ne semblent plus former le socle des projets d’aujourd’hui. Nous faisons face à ces défis : affreuse pauvreté, grande richesse, écarts croissants de richesses, injustices sociales...
Régressons-nous selon vous ?
Il faut dire que nous constatons un recul qui, selon moi, ne date pas de plus d’une vingtaine d’années. Il est l’effet d’une modification de l’économie globale qui a conduit notamment à cette crise. D’un côté, certains peuvent choisir l’indifférence, de l’autre, d’autres se sentent découragés. C’est contre ces deux attitudes que nous essayons de lutter !
Pensez-vous que les personnes handicapées soient déconsidérées, surtout en ces temps de crise ?
On comprend bien que ce sujet ne « rapporte pas ». Pourtant, plus des personnes vivent une situation difficile, plus elles méritent notre sympathie. Les mieux lotis n’ont pas le temps de penser à ceux qui ont de vrais problèmes. Sur les plans mondial et national, ces dernières années ont connu des coupes franches dans les budgets sociaux. Au lieu de réaliser un équilibre où le social et l’humain l’emportent à l’évidence sur le profit, la sécurité et le budget, on fait savoir qu’on ne peut pas plus. Ceux que l’on considère à la marge sont les victimes de cette farce.
Ressources, accrocs à l’accessibilité, inégalités d’accès aux soins...
Oui, autant de raisons de s’indigner ! C’est sans doute un peu simple, je l’admets, mais rien ne marche comme on le voudrait et comme les dirigeants s’étaient engagés à le faire ! Mais après s’être indigné, il ne faut pas se laisser décourager. En se mettant ensemble, les peuples peuvent faire pression sur leur gouvernement. On peut faire progresser les questions qui se posent aujourd’hui :
c’est vrai pour la pauvreté, la Sécurité sociale, pour les personnes handicapées, pour la Terre... Les gens devraient se dire : « l’État c’est nous ! » On a vu des peuples considérer que leurs dirigeants faisaient ce qu’ils pouvaient jusqu’à ce qu’ils en concluent qu’ils étaient mal gouvernés. C’est là que ça bascule en général...
Vous-même, restez-vous optimiste ?
Sur le court terme, je ne suis pas optimiste. Nous sommes encore très bloqués. Je pense qu’il existe des amorces intéressantes, voyez de l’autre côté de la Méditerranée. C’est fascinant. Nous qui avons connu l’Occupation, assisté à la fin de l’apartheid... nous savons que les problèmes qui paraissaient insolubles finissent par se résoudre. Le témoignage du « petit vieux » que je suis peut être un témoignage de confiance et d’espoir.
Vous êtes en train de nous dire qu’il faut avoir confiance dans le temps ?
Oui tout à fait !
En témoigne ce combat depuis 1921 pour grignoter la loi de 1898 et obtenir
enfin la réparation intégrale dont sont privés les accidentés du travail...
Oui, il y a de quoi être déçu quand on n’obtient pas tout de suite ce à quoi on
a droit. Mais il faut s’accrocher, recommencer, cela viendra !
Propos recueillis par Pierre Luton
Article paru en partie dans le numéro spécial 90 ans de la FNATH, "A part entière" (Octobre 2011). Pour en savoir plus : www.fnath.org
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