Dans le projet de loi relatif à la garde à vue, la dangereuse audition libre devient le principe...
Tout se bouscule ces derniers temps autour de notre bonne vieille garde à vue "à la française" ; les attaques contre elle émanent d’un peu partout aussi bien sur le territoire national qu’au delà des frontières.
Calmons nous, reprenons notre souffle et respirons un bon coup.
Ne précipitons pas les choses et concentrons nous pour le moment sur le projet de loi pondu par le Gouvernement.
Il est difficile de ne pas savoir que le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 30 juillet 2010, déclaré le régime de droit commun de la garde à vue contraire à la Constitution tout en retardant les effets (l’abrogation des dispositions concernées) au 1e juillet 2011 afin de laisser le temps aux parlementaires d’adopter une réforme mettant fin aux lacunes constatées.
Début septembre, Michèle Alliot-Marie annonce que sa copie est prête ; elle l’envoie pour avis au Conseil d’Etat.
La semaine dernière, elle présente son texte au Conseil des ministres et le dépose au bureau de l’Assemblée nationale.
La lecture un peu trop rapide du document pourrait donner une envie prématurée de se réjouir mais l’ensemble laisse plutôt à penser qu’ en France, parfois, quand l’Etat est condamné, la loi ne sert pas à mettre la législation en conformité avec les grands principes qu’il a omis de respecter ; au contraire, elle constitue plutôt un moyen de contourner les décisions gênantes.
En effet, de nombreuses voix, à commencer par celles des avocats, s’élèvent pour demander plus de garanties pour les personnes placées en garde à vue et notamment le retour de la notification du droit de se taire l’assistance effective de l’avocat dès le commencement de la mesure ; les batailles menées dans les prétoires à ce sujet étant parfois victorieuses.
Soyez rassurés : le Gouvernement le promet ; son chef d’oeuvre prendra en compte tout cela et même plus encore.
D’ailleurs, le futur article 63-3-1 du code de procédure pénale commence par ces mots : "Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier."
Le futur article 63-4-2 qui prévoit que l’avocat peut assister aux auditions et la nouvelle rédaction de la notification des droits prévus par à l’article 63-1 semble également constituer des points supplémentaires à mettre au crédit du pouvoir exécutif ; il serait toutefois intéressant de s’attarder en détail sur le contenu de ces dispositions.
Mais, il y a plus urgent à noter pour le moment car, si le Gouvernement se félicite tout au long de l’exposé des motifs des "avancée(s) particulièrement significative(s) pour les libertés individuelles et les droits de la défense" permettant à la procédure pénale de "respecter pleinement les exigences d’un État de droit en matière de garde à vue", une petite phrase vient remettre en cause tout ce beau discours :
"Est en premier lieu expressément posé le principe, absent du code de procédure pénale actuel, de l’audition libre d’une personne suspectée, et du caractère subsidiaire du placement en garde à vue."
(assez marrant de constater qu’un projet de loi relatif à la garde à vue vise en fait à en faire une simple exception en contradiction totale avec l’intitulé choisi.)
Une idée qui trouve sa traduction dès le premier article du projet de loi avec la présence de cette simple phrase :
"Art. 62-2. – La personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, présumée innocente, demeure libre lors de son audition par les enquêteurs. Elle ne peut être placée en garde à vue que dans les cas et conditions prévus par les articles 62-3, 62-6 et 63."
Dès les premières annonces du texte par la Garde des Sceaux, une majorité de commentateurs ont été au moins intrigué et ont soulevé quelques craintes en raison de l’instauration de l’audition libre ; et voilà maintenant qu’elle devient le principe.
Quelques précisions sont données.
On apprend notamment que l’officier de police judiciaire devra recueillir le consentement de l’intéressé et que ce dernier pourra "à tout moment [...] mettre un terme à son audition"
Presque un rêve en comparaison de l’image d’enfer à laquelle fait penser la bonne vieille garde à vue qui est d’ailleurs qualifiée de "mesure de contrainte."
Sauf que la notification des droits et , à fortiori, leur éventuel exercice ne concernent que "la personne placée en garde à vue" et pas celle entendue dans le cadre d’une audition libre
En revanche, dans ce cas, non seulement rien n’oblige les forces de police à vous annoncer que vous avez le droit de vous taire, mais vous n’aurez pas, de manière obligatoire, l’assistance d’un avocat pour venir vous le dire ; d’ailleurs, aucune garantie spécifique n’est fixée par le projet de loi.
Or le besoin de disposer de ces informations, pour la personne entendue, est exactement le même qu’elle vienne et reste librement dans les locaux de police, ou qu’elle y soit placée en garde à vue afin qu’elle ne puisse pas en sortir. La liberté ou le placement en garde à vue n’est en rien le critère de référence.
Ajoutons à cela que, contrairement au système de la garde à vue, aucune limite temporelle n’est prévue par le texte.
Le choix de la liberté commence à se payer cher sans que rien ne vienne le justifier.
Bien des personnes, impressionnées par la notion de garde à vue et par ses conséquences pratiques préféreront parfois opter pour l’audition libre sans se rendre forcément compte des conséquences pour leurs droits ; en prenant le risque de les perdre sans s’en rendre suffisamment compte.
Voici donc un petit tour de passe-passe par lequel on laisse penser qu’on élargit les garanties afin d’être en conformité avec les textes tout en créant un cadre de principe qui réduit quasiment à néant les changements proposés ; voire même qui fait perdre les droits existants auparavant.
L’audition libre n’a donc pas fini de susciter, à juste titre, interrogations et craintes.
Il est notamment permis de se poser quelques questions sur sa conformité à la Convention européenne des droits de l’homme.
En effet, l’article 6, en particulier dans son paragraphe 3, ne fait pas expréssément référence à la garde à vue mais liste toute une série de garanties dont doit bénéficier un personne faisant l’objet d’une accusation pénale au sens de la Convention pour que la procédure puisse être considérée comme équitable.
A partir de l’analyse de la jurisprudence strasbourgeoise, il doit être noté qu’il s’agit d’une notion autonome entendue indépendamment du sens qui peut lui être donné en droit interne.
De plus, la Cour a une tendance à avoir une conception large en regardant "au delà des apparences" et en analysant "les réalités de la procédure en litige" ; l’accusation pourrait ainsi se définir comme "la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale", elle implique notamment "des répercussions importantes sur la situation du suspect."
Dès lors que le projet de loi prévoit que "la personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction" doit être en principe entendu dans le cadre d’une audition libre, n’y a-t-il pas là la notification du reproche d’avoir commis une infraction pénale et par conséquence une accusation en matière pénale ; ce qui impliquerait de devoir respecter les garanties du procès équitable parmi lesquelles se trouvent le droit de garder le silence et l’assistance effective d’un avocat.
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