De la décadence au suicide collectif
Qu’y a-t-il de commun entre le déni démocratique permanent, la lamentable prestation du pouvoir en place sur l’affaire Polanski, les révélations de « Bakchich » sur la scandaleuse affaire des « frégates de Taïwan »et celle des sous-marins pakistanais, et la promotion éclair imméritée du prince héritier dans les Hauts-de-Seine ? L’aboutissement de la décadence de notre civilisation originale qui prétendit promouvoir l’égalité entre les hommes et l’universalité de ses valeurs humanistes.

Cette époque est caractérisée par une maîtrise, et parfois une avance technologique dans de nombreux domaines (recherche fondamentale, aéronautique, TGV, énergie atomique, etc..), une existence intellectuelle originale et vivante ( De Beauvoir et Sartre, Deleuze, Bourdieu et d’autres), un régime politique fort représenté par un homme exemplaire ( les citoyens le voyaient ainsi, mais de Gaulle tolérait les magouilles des coquins et les copains), les promesses d’une ère de paix avec les débuts de l’Europe Unie, le sentiment populaire de l’existence de valeurs morales et l’ascenseur social reposant sur la méritocratie républicaine.
Aujourd’hui, au début du 21ème siècle, la civilisation française est à l’agonie.
Pour comprendre cette dramatique situation, il faut renoncer à chercher un bouc émissaire étranger et à mettre notre décadence sur le dos de forces extérieures, comme l’Union des Etats européens ou américains, ou sur des forces naturelles potentiellement cataclysmiques.
Le développement de notre civilisation était la résultante des actions de l’ensemble des Français. Son déclin a la même origine. Toutes proportions gardées, la dynamique observée est semblable à ce qui se passe dans une entreprise. Une période d’expansion jusqu’à être florissante, puis le déclin jusqu’à sa disparition éventuelle. Les causes de ces évolutions sont à rechercher dans les actes des êtres formant cette mini société humaine qu’est l’entreprise et non pas dans ceux de ses concurrents.
Les différences sont multiples entre une civilisation et une entreprise. Les buts de cette dernière sont restreints et connus. Elle agit dans un cadre formel sur lequel elle a peu ou pas d’influence, les personnels qui la font fonctionner entrent et sortent à volonté, etc..
Il y a toutefois quelques ressemblances dans le parcours de la naissance à la mort. Prenons le schéma classique de sa création par le grand-père, de son expansion par le père et de sa consommation par l’héritier. En caricaturant, le premier réalise à l’âge d’homme un projet personnel, en s’appuyant sur les dures leçons que la vie lui a données et en risquant son avenir et celui de sa famille. Le second, éduqué et influencé par un père dynamique et courageux, a suivi son exemple et s’est attaché à améliorer son œuvre ; Le dernier a bénéficié dès sa naissance d’un milieu aisé et d’une éducation protectrice. Comblé avant de désirer, rien ne l’intéresse que lui-même et son ennui. L’entreprise n’est plus alors qu’une source de revenus pour un héritier promu dirigeant malgré lui.
Cette phase conduit inexorablement au déclin de l’entreprise et c’est sur ce point qu’un parallèle peut être fait avec la décadence de notre civilisation.
Montesquieu (1) énumérait dix sept causes à la chute de l’empire romain et parmi celles-ci, le discrédit du pouvoir dont la production législative avait pour but principal de confisquer le maximum de ressources au profit d’une classe oisive et hédoniste sans fournir de réels services à la population. Ces pertes du sens du bien public et des réalités des difficultés économiques rencontrées par le peuple entraîne un discrédit général de la classe dirigeante accompagné du sentiment d’une perte des valeurs morales d’antan.
C’est à peu près ce qui se passe en France depuis les années « Giscard ». Les « affaires » donnent l’impression d’une classe dirigeante amorale au-dessus des lois. Une classe qui se goberge et se coopte alors que le peuple se débat désespérément dans des difficultés économiques, lutte contre les fermetures d’usines ( Lip et Manufrance à l’époque) et subit la hausse inexorable du chômage.
A cela s’ajoute ce que j’appelle « la fin de l’illusion démocratique ». L’impression que quoi que l’on vote ou que l’on fasse, rien ne change. La trahison des élus avec la négation du référendum sur le traité européen n’a fait que révéler cette réalité à tous.
Aujourd’hui, les événements en cours marquent l’aboutissement du déclin de la civilisation française. Depuis plus de trente ans, l’indifférence et les fins de non recevoir comme réponses aux doléances du peuple conduisent à un sentiment d’injustice et d’abandon. Comme de Rougemont (2) l’écrivait à propos de décadence, celle-ci commence quand l’homme ne se demande plus « Que puis-je faire ? » mais « Que va-t-il arriver ? ».
La décadence découle de la fin des illusions. L’illusion démocratique marquée au fil du temps par la concentration des pouvoirs conduisant à sa confiscation par un groupe uniquement préoccupé de lui-même, et l’illusion du dessein intelligent du Marché entretenue, malgré ses conséquences désastreuses du point de vue humain, par la même clique.
Entre l’anarchie des marchés et l’autoritarisme impuissant et grotesque d’un agité caractériel revendiquant tous les pouvoirs sans assumer aucune responsabilité ; entre les affaires mafieuses jamais résolues jetant un doute légitime sur la probité des dirigeants et les difficultés de la population ; entre les annonces de réformes prétendument palliatives, le vote de lois indignes souvent partiales et les attentes réelles des citoyens, s’installe le sentiment général d’une grande confusion malsaine.
Il apparaît clairement que le développement souhaité, par et pour, notre société vers l’apaisement des conflits de classes et la résolution des contradictions systémiques connues dans l’intérêt public, sont contrariés par la volonté d’un petit groupe organisé pour confisquer le pouvoir et interdire toute alternative remettant en cause les privilèges de l’aristocratie financière.
Si nous les laissons faire, ces gens là nous entraîneront dans leur fuite suicidaire en arrière.
Ne votez pas pour vos ennemis.
1) Montesquieu (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence,1734)
2) Denis de Rougemont (L’avenir est notre affaire, 1977)
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON