Déferlement et instrumentalisation des peurs

Les peurs envahissent la société au point de s’interroger si ce besoin instinctif de peur n’est pas un moyen de s’en prévenir.
Au-delà de l’actualité (terrorisme, immigration) et des menaces sur l’environnement, ces peurs foisonnantes concernent surtout les nouvelles technologies et l’alimentation.
Les technologies issues des progrès scientifiques ont largement contribué à l’allongement de l’espérance de vie et au mieux vivre, mais elles sont souvent contestées aujourd’hui alors qu’elles envahissent notre quotidien.
Aucune discipline scientifique n’y échappe : la chimie (pesticides, nitrates, gaz de schiste, parabènes, bisphénol A, aspartame, métaux lourds, …), la physique (énergie nucléaire, ondes électromagnétiques, …) la biologie (OGM, cellules souches, clonage, vaccins, …) ou les nanotechnologies.
Ces technologies sont évaluées et contrôlées par les experts scientifiques de plusieurs instances françaises et européennes, mais la peur est si prégnante ou instrumentalisée que les avis scientifiques sont parfois rejetés et les experts eux-mêmes fustigés.
La nourriture n’a jamais été aussi saine, diversifiée, contrôlée, tracée, cependant les peurs alimentaires sont de plus en plus présentes et suscitent débats, règlementations hâtives, étiquetages intempestifs, scoops médiatiques et imprécations de gourous en mal de notoriété.
Il est vrai que l’urbanisation a éloigné le consommateur des agriculteurs et de leurs pratiques, laissant la place aux marchands de peurs.
Comment ne pas déplorer l’absence de hiérarchisation des risques et la distorsion entre les risques ressentis et les risques objectifs ?
L’opinion se focalise sur les OGM, l’huile de palme, les nitrates dans l’eau, les ondes électromagnétiques, le désherbant Roundup®, alors qu’ils n’ont jamais provoqué le moindre problème sanitaire. Mais elle s’accommode par ailleurs, du tabac, de l’alcool, des maladies nosocomiales, de la drogue, tous ces fléaux responsables de milliers de décès.
Les pesticides, soumis à des contrôles stricts avant leur mise en marché et destinés à protéger les cultures sont jugés indésirables et cloués au pilori. En revanche des toxines synthétisées par les plantes pour se défendre contre ses agresseurs sont rarement évaluées et couramment consommées sans la moindre appréhension.
Le « naturel » serait-il moins dangereux que le « synthétique » issu de l’intelligence humaine ?
Des agents cancérigènes néoformés (amines hétérocycliques, benzopyrène, acrylamide) que l’on peut retrouver dans les grillades et les frites sont absents du hit-parade des peurs.
Peut-être pour ne pas gâcher une bonne tradition culinaire française !
Les nitrates dans l’eau sont toujours jugés dangereux (un seuil de potabilité a été fixé à 50 mg/litre il y a plus de 30 ans) alors que les études récentes démontrent que les nitrates présentent pour la santé, plus d’avantages que d’inconvénients, notamment sur le plan cardiovasculaire et anti-infectieux.
Les ondes électromagnétiques sont redoutées alors qu’elles sont moins dommageables que l’exposition à la lumière solaire.
Si les produits chimiques de synthèse sont stigmatisés, il n’en est pas de même pour les contaminants biologiques. L’importante crise sanitaire qui a frappé l’Allemagne en 2011 faisant 33 morts et de nombreux malades, provoquée par des graines germées infectées de la bactérie E.coli provenant d’une ferme allemande « bio » n’a eu droit qu’à un très discret et bref traitement médiatique. Pourquoi ?
Les mycotoxines, autres contaminants biologiques, dont le caractère cancérigène est avéré pour certaines d’entre elles, suscitent moins d’intérêt que le Nutella®, tout au moins pour les parlementaires et la Ministre de l’Ecologie.
La hiérarchisation des risques est-elle du ressort des médias, des politiques ou des scientifiques ?
Les peurs conduisent à des comportements dépourvus de tout discernement.
Il est courant d’entendre « on est contre les OGM ou contre les pesticides » alors que chaque OGM ou chaque pesticide est singulier et a ses propres caractéristiques, en particulier sur le plan toxicologique.
Qu’y a-t-il de commun entre un riz GM (génétiquement modifié) enrichi en bêta-carotène pour soigner les enfants atteints d’avitaminose A et un maïs GM résistant à des insectes ou tolérant à la sécheresse ?
Ces postures sont-elles idéologiques ou relèvent-elles d’une paresse intellectuelle ?
La peur est largement instrumentalisée par différents acteurs marchands d’angoisse.
- les médias, jouent souvent sur la peur dans l’espoir d’un gain d’audimat ou de meilleures ventes. Ce travers journalistique devient dérive grave en cas de mensonge, manipulation de l’information et abandon de toute éthique journalistique.
Ce fut particulièrement le cas pour France 2, chaîne de télévision publique, dans l’émission « Envoyé spécial » d’avril 2007 ou « Spécial investigation » de Canal + du 2 août 2015 où, pour discréditer les OGM, des images effrayantes d’animaux ou d’enfants malformés ont été utilisées sans vergogne.
- les écologistes sont généralement allergiques aux nouvelles technologies, de l’énergie nucléaire aux pesticides et aux OGM. Pour ces derniers et contre l’évidence, ils contestent toujours leurs bénéfices environnementaux.
En revanche, ils paraissent beaucoup plus conciliants avec les projets de dépénalisation de la drogue.
- des organisations politiques, altermondialistes notamment, associent progrès technologiques et société capitaliste. Dans le déni de la réalité, les OGM sont devenus le symbole d’une agriculture productiviste au service d’entreprises multinationales prédatrices.
- au lieu d’éclairer les citoyens, les gouvernements successifs utilisent parfois imprudemment les peurs pour quelques bénéfices politiques ou électoraux. C’est le cas des schistes bitumineux et surtout celui des OGM où, à l’occasion du Grenelle de l’environnement, a été négocié sur le dos des agriculteurs, la neutralité des écolos sur le nucléaire contre l’interdiction des OGM !
La règlementation et l’étiquetage, sensés protéger et informer la population s’avèrent aussi des vecteurs de peur lorsqu’elles deviennent excessives et superflues créant ainsi un doute chez le consommateur.
- la grande distribution alimentaire, experte en « marketing du sans », joue habilement sur la peur à travers l’étiquetage et la publicité pour valoriser ses produits ou pour promouvoir les produits « bio » générateurs de meilleures marges commerciales.
Elle propose des produits « sans huile de palme », « sans gluten », de la viande, des œufs ou du lait étiquetés « sans OGM » sans susciter la moindre réaction de la DGCCRF, alors qu’un produit alimentaire issu d’animaux nourris avec des aliments issus d’OGM, ne peut en contenir la moindre trace !
- les faux lanceurs d’alerte qui assoient leur notoriété sur la peur, bénéficient du relais bienveillant de nombreux médias plus enclins à s’intéresser à des informations fracassantes d’un chercheur militant isolé qu’à l’avis consensuel d’une instance d’évaluation avec son collège d’experts indépendants.
Cette idéologie malsaine de la peur s’appuyant sur un principe de précaution dévoyé, conduit inexorablement à une société anxiogène, qui perd ses repères, se replie sur elle-même, se réfugie dans le retour au naturel ou la pensée magique et devient réticente à l’innovation et à la prise de risques sans laquelle la société ne pourra plus progresser.
Gérard Kafadaroff
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