Délinquance sexuelle : « Village Miracle » ou village mirage ?

Comme chaque année, les habitants du « Miracle Village » de Pahokee qui désiraient partager un moment de convivialité pour fêter la Nativité ont participé au banquet de Noël. Des habitants pas tout à fait comme ceux – principalement des retraités – que l’on rencontre habituellement dans les résidences de Floride : au « Miracle Village », la moitié des résidents est en effet constituée de délinquants sexuels...
Pahokee est une bourgade de Floride située au bord du Lac Okeechobee, à environ 40 km à l’ouest de la célèbre Palm Beach. La majorité de ses 6 000 habitants vit, de manière directe ou indirecte, des plantations de cannes à sucre, de citronniers et de maïs qui prédominent dans la région. C’est dans ce cadre rural, au milieu des plantations, qu’a été créé en 2009 Miracle Park, à environ 4 km du centre-ville de Pahokee. Généralement surnommée Miracle Village, cette localité communautaire est constituée d’habitations préfabriquées naguère destinées aux employés des plantations de canne à sucre. Particularité du lieu : même si d’anciens résidents y habitent encore, il est principalement dédié à l’accueil des délinquants sexuels n’ayant pas commis de crimes de sang.
L’initiative est due à un nommé Richard Witherow. L’homme, aujourd’hui âgé de 79 ans, est un ancien détective privé devenu pasteur à 45 ans. Dick Witherow a passé 30 ans de sa vie dans les prisons comme aumônier, et c’est pour venir en aide aux délinquants sexuels qu’il a si souvent rencontrés et soutenus durant leur détention dans les pénitenciers qu’il a émis cette idée de communauté dédiée. Le Miracle Village est placé sous l’autorité de « Matthew 25 Ministries », une organisation religieuse dont le nom fait référence au 25e chapitre de l’Évangile selon Matthieu. Les valeurs promues par cette communauté sont résumées dans un slogan universel : « Ne faites pas à autrui ce que vous n’aimeriez pas que l’on vous fasse ! » Et cela au service d’un projet lui aussi des plus simples : les atteintes sexuelles étant des péchés, c’est dans la parole du Christ qu’il convient aux résidents de trouver la solution à leur problème.
La morale religieuse comme thérapie, notamment par le biais de séances de « purification sexuelle » organisées en complément de groupes de parole, pas sûr que l’efficacité soit au rendez-vous ! Mais au moins les 150 délinquants sexuels (dont quelques femmes) qui ont choisi de trouver refuge là pour tenter de se débarrasser de leurs pulsions trouve-t-ils un lieu d’accueil dans un État où le rejet des déviances sexuelles est particulièrement marqué et se traduit par des mesures drastiques. Un délinquant sexuel a en effet l’interdiction absolue d’habiter à moins de 300 m d’un lieu où des enfants vivent, vont à l’école ou pratiquent une activité culturelle ou sportive. Sans oublier les parcs publics et les lieux de culte où ces personnes sont également indésirables durant la journée. La distance minimale d’exclusion a même été portée à 750 m dans des villes comme Miami et Jacksonville ! En pratique, ces contraintes interdisent toute possibilité d’habitat d’un délinquant sexuel dans une agglomération, de quelque taille qu’elle soit.
Encore faut-il savoir ce que l’on nomme « délinquant sexuel » aux États-Unis. Et là, force est de reconnaître que, dans un contexte le plus souvent dominé par le puritanisme et l’anathème, l’on procède très souvent à des amalgames aberrants. Sont en effet mis dans le même sac, non seulement les violeurs de femmes et d’enfants, les possesseurs d’images pédopornographiques et les coupables d’atteintes à la pudeur, mais également les jeunes condamnés pour avoir eu des relations sexuelles avec des mineures consentantes, en l’occurrence des petites amies âgées parfois d’un à deux ans de moins que leurs prétendus « agresseurs » ! La photographe Sophia Valente a même rencontré, parmi les reclus de Village Miracle un homme condamné pour avoir... uriné en public et qui, à ce titre, a été enregistré par l’administration comme prédateur sexuel !
Le Canada et les Pays-Bas, nations pilotes
Or, compte tenu de la rigueur des lois, de la publication de l’identité des délinquants sexuels sur les sites du web dédiés à leur dénonciation, mais aussi de l’animosité du voisinage dans la majeure partie des villes américaines, nombre de ces délinquants sexuels sont de facto privés de travail quand ils ne sont pas réduits à grossir le nombre des SDF, ce qui, paradoxalement, les remet en contact au cœur des villes avec une population dont on cherche à les isoler. C’est pour pallier cette déchéance sociale que les promoteurs du Village Miracle ont entrepris de regrouper dans ces bâtisses quelques dizaines de ces « parias » en cultivant l’espoir, très religieux, d’une possible rédemption. Encore faut-il que ceux qui aspirent à vivre là, fût-ce pour quelques semaines ou quelques mois, attestent d’une foi chrétienne.
Comme on peut l’imaginer, le maire de Pahokee, Wayne Whitaker, ne s’est pas montré enchanté de cette proximité. Pas plus que ses administrés dont certains n’hésitaient pas, en 2009, à comparer le Village Miracle aux léproseries médiévales. Le tout dans une ambiance pesante, ponctuée d’agressivité, de vives déclarations d’intolérance, et même de menaces de mort. Dans de telles conditions, la demande d’implantation déposée par Matthew 25 Ministries a donné lieu à quelques séances particulièrement houleuses du Conseil municipal de Pahokee, avec présence inhabituelle de forces de police en un lieu généralement paisible. Les autorisations n’en ont pas moins été délivrées, malgré le maintien au Village Miracle d’une moitié de population – y compris des enfants – n’ayant aucun rapport avec la délinquance sexuelle.
Depuis, les choses se sont calmées par rapport aux premiers temps de cette implantation. Les relations sont apaisées, et la présence de résidents du Village Miracle est désormais acceptée, y compris dans l’église méthodiste de Pahokee où l’on a pu voir l’un de ces résidents accompagner des offices au piano. Grâce à cette tolérance, inimaginable en 2009, l’expérience perdure année après année. Elle a permis, à ce jour, à plus de 500 délinquants sexuels fichés par les autorités de transiter par le Village Miracle. Et aucune récidive de leur part n’a été constatée, reconnaissent les responsables de la police du Comté de Palm Beach. Le shérif de Pahokee lui-même, pourtant très hostile à l’origine du projet, est obligé d’en convenir.
150 000 délinquants sexuels sont emprisonnés aux États-Unis ; 750 000 sont fichés comme tels par les autorités, et par conséquent soumis à des contraintes légales plus ou moins dures selon les États de l’Union ou les localités. Tout cela pour un résultat souvent désastreux en termes de réinsertion sociale. Malgré cela, les récidives restent en deçà des craintes de la population, avec des taux inférieurs à 15 % à 5 ans, et plafonnant à moins de 25 % à 15 ans, tous types d’agressions sexuelles confondus. Encore parle-t-on là de délinquants sexuels qui, à leur sortie de prison, se sont trouvés très largement livrés à eux-mêmes, y compris durant leur période de probation. La faute à des structures de prévention et d’accompagnement psycho-médicalisé pour le moins embryonnaires – et en de nombreux lieux carrément inexistantes – sur le territoire des États-Unis.
Cette situation est-elle figée ? Peut-être pas, car l’exemple du pays voisin, le Canada, pourrait bien inspirer l’administration américaine dans l’avenir. A l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas, le Canada a en effet entrepris depuis des années un effort tout particulier dans la prévention de la délinquance sexuelle et le suivi médico-psychiatrique des personnes concernées. Et cela dès en amont de la libération des prisonniers comme l’illustre, depuis 2010, le programme expérimental destiné aux détenus volontaires transférés à cet effet dans la prison dédiée de Percé (Gaspésie). À la clé de ces initiatives, des résultats incontestablement probants qui font du Canada l’un des pays les plus efficaces dans la réinsertion des délinquants sexuels.
Aussi respectables soient les objectifs du Village Miracle, cela reste une démarche empirique pouvant difficilement essaimer, et cela d’autant moins que le caractère confessionnel de la démarche se traduit de facto par l’exclusion d’une partie des délinquants sexuels. Qui plus est, compter sur l’aide de Dieu pour résoudre le problème des résidents ne peut constituer une base sérieuse de traitement généralisé du problème. À cet égard, le Village Miracle semble, en regard de l’universalité du problème à résoudre, n’être qu’un « village mirage ». Et pour cause : c’est de l’action publique qu’il faut attendre des améliorations significatives applicables partout sur les territoires des nations à toutes les catégories de délinquants sexuels. C’est d’ailleurs dans cette optique que les expériences conduites au Canada et aux Pays-Bas intéressent vivement de grands pays comme la France ou l’Italie. Encore faut-il, dans ces pays « intéressés », allouer des moyens suffisants pour ouvrir des structures spécialisées ou mettre en œuvre des actions de suivi médico-psychiatrique réellement efficaces.
Sur ce plan-là, force est de constater qu’en France, les inerties et le manque cruel de budget dans les milieux médico-judiciaires sont de puissants freins. Hélas !
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