Déni et transgression écologiques
Le refus manifeste de l’opinion publique internationale de hisser le souci écologique aux premières loges de ses préoccupations, voire de ses inquiétudes, de conférer à nos relations écosystémiques un cadre prééminent, représente sans doute l’insouciance la plus insensée depuis que l’homme a surpeuplé sa Maison Terre, oubliant qu’il la partage en colocation avec les autres espèces.
En matière environnementale, tout acte foncier est une illusion et nous ne sommes propriétaires de rien. Au nom de notre suprématie illusoire, avec l’alibi de notre effectif surnuméraire sans cesse croissant et de l’idée d’un progrès efficacement ravageur, nous n’avons de cesse d’évincer, d’expulser, d’éliminer les autres locataires animaux et végétaux. Comme si de rien n’était, nous ôtons ainsi, chaque fois plus vite et davantage de pierres angulaires à notre milieu de vie et de subsistance. Il est consternant que l’on nous impose un état des lieux avant et après avoir loué un quelconque domicile provisoire, et qu’une telle prérogative ne soit pas de mise lorsque nous utilisons la planète de façon minière. J’entends par mode minier tout processus qui vise à une exploitation jusqu’à son terme, sans le moindre cahier des charges portant sur la part qu’il conviendrait de ménager pour le futur ou de partager avec d’autres espèces et organismes.
Le vocable exploitation pourrait d’ailleurs tout aussi bien se décliner comme mise en valeur, et non appropriation, destruction, déconstruction de systèmes hérités de la genèse des temps. On l’oublie trop souvent. Lorsque nous exploitons, nous nous accaparons la ressource visée jusqu’aux moindres restes, nous nous l’attribuons jusqu’à la lie. C’est à l’instar des mineurs qui videront l’essentiel d’une carrière, ou des pétroliers qui pomperont jusqu’à la dernière goutte rentable d’un gisement, que la sylviculture ou l’agriculture agit selon une recette agronomique admise mais pourtant erronée. Il suffit de faire le bilan avec inventaires de nos forêts ou de nos sols pour se rendre à cette évidence.
Il est bien possible que le grand public puisse ignorer tout cela. Pourtant, les docus du genre ne manquent pas… aux heures creuses de la téléfaction.
Tendance n’est pas conscience !
Vous me rétorquerez que l’écologisme, le plus souvent sous le nom fourre-tout d’écologie, ou sous des labels dévoyés comme ceux de développement durable ou d’économie verte, est entré dans la vie citoyenne et politique. Sans doute, mais comme cache-sexe, à l’usage d’effets de justifications sociétales ou en guise de nouveau créneau mercantile.
Écoutez discourir les personnalités politiques, candidats ou élus : l’écologie vraie est toujours un sujet à peine effleuré, la plupart du temps escamoté. L’écologi(sm)e fâche ou lasse. Même les partis dont c’est l’étendard et la soi-disant cause emblématique ne peuvent faire exception à la règle, ils se doivent d’édulcorer leur message, d’embrayer sur le social et l’économique pour ne pas perdre leur auditoire. L’écologie fait de l’ombre aux écologistes et plonge la société dans la gêne ou l’ennui.
Sauf catastrophe dite naturelle, ce qu’elles sont rarement, la presse ne fait jamais sa une avec une actu écologique, aucun journal télévisé n’ouvrira ses titres sur… la mort biologique des sols ou sur la disparition d’un lémurien. Sauf si un Greenpeace salutaire s’emploie à une mise en scène musclée. N’importe quel fait divers des plus subsidiaires et temporaires, genre du prix du lait, grève dans une usine ou encore mariage princier, voire résultat sportif du délire collectif des stades, revêtira une importance sans égal !
Le lobby pour Gaïa n’est pas vendeur, il ne hante pas – quoi qu’on en dise - les couloirs de l’assemblée, il est perçu comme un hobby, c’est là son moindre défaut. Les informations inhérentes à l’état de la planète sont reléguées. En se foutant de la Nature, les gens se foutent de leur futur. C’est clair. C’est tant surréaliste qu’il est assez difficile d’en appréhender les raisons.
Plusieurs pistes peuvent être abordées pour tenter de comprendre pourquoi la cause cardinale qu’est le souci pour notre Maison du Quaternaire n’est pas prise en compte à sa juste valeur. Dans l’inconscient collectif, la question écologique développe des vérités si vraies, si évidentes qu’elles dérangent et blessent. Le concept met mal à l’aise, il culpabilise et il y a de quoi tant notre irresponsabilité est coupable et criminelle. En gardant la tête dans le sable, l’autruche humaine fait acte de lâcheté écologique. On ne veut pas avouer un crime commun comme celui du viol de la Terre nourricière. C’est plus qu’incestueux. Il s’agit donc d’un tabou ordinaire, d’une schizophrénie quotidienne. Un peu à l’instar de la sexualité, seule sa gadgétisation amuse, distrait, confère à l’apprenti écolo de service un modeste succès de comptoir. D’où la relative accroche de l’écologisme de pacotille dont l’emblème est la formule ménagère et domestique : écologie égale économie ! Quand il ne désespère pas ou ne fout pas les jetons, loin de toute écosophie, le Vert fait vendre. C’est tendance, mais pas conscience ! La Terre qui existe est le self-service… du bon dieu qui n’existe pas, c’est bien connu. Dès l’âge des saintes écritures on nous a inculqué l’habitude de nous servir, de puiser à notre guise. Faut dire qu’à l’époque les Homo sapiens n’étaient que quelques dizaines de millions sur une planète sauvage. C’est moins gratos quand on est des milliards, armés de techniques redoutables. Mais nous continuons à ignorer le prix de nos outrances, la facture sera payée par nos descendants. Et peut-être bien plus cher encore que les plus perspicaces ne l’imaginent. La Nature est un puits sans fond. Si bien que lorsqu’une ressource vient à manquer, quand quelque chose se dérègle, on en appelle à un gouvernement, à la prière ou à la fatalité.
La planète ne jouit d’aucun droit, on peut donc en disposer, en abuser. « En justice, votre pays existe, mais notre planète, elle, n’existe pas. Votre pays peut se défendre, il a des représentants qui parlent pour lui, le défendent et lui donnent vie. Notre planète, elle, est une réalité qui n’a pas d’existence juridique unifiée. Elle ne peut donc pas être entendue devant la justice humaine et les organisations multinationales qui la perturbent n’ont pas de résistance à la mesure de leur agression. Il semble donc de toute première instance de conférer une reconnaissance légale internationale à la Terre sous une seule identité dans tous les pays et lui constituer un patrimoine et des droits qui pourront lui permettre de se faire reconnaitre et de se défendre en toute indépendance et ce, pour son bien et celui de tous ses occupants. Cette reconnaissance peut-être obtenue sur la durée, par la reconnaissance progressive de la Terre en tant qu’entité indépendante au même titre que tout autre pays, en négociant indépendamment avec les instances représentatives des différentes nations qui seront sensibilisées à l’intérêt d’une telle démarche ». Extrait de la déclaration d’un projet légitime dénommé Libertero.
Une autre raison du détournement de la cause est celle de l’impuissance. On n’y peut rien, la machine est lancée, tout geste individuel ne sera qu’une goutte d’eau dérisoire. C’est l’inverse des œillères, nous sommes au fait mais dépassés par le rapport de force. Moi contre Total ou Monsanto, il est vrai que cela fait rire ! C’est comme pour la faim dans le Monde, il n’est nul besoin d’adhérer pour continuer à se regarder dans le miroir. Une froide lucidité mathématique, celle des statistiques, des probabilités liées au rapport de force, nous susurre à l’oreille que hurler avec les loups n’est qu’une insurrection de Panurge qui fera rire ceux dont nous ne sommes que les marionnettes. On ne peut jouer les colibris parcimonieux qu’en ignorant le carnage des charognards. À moins d’être maso. D’ailleurs, les fameux Indignés sociaux sont très généralement des résignés écologiques. On a la niaque contre la banque et le grand patronat, mais on bouffe des fraises en hiver et la disparition des abeilles nous laisse de marbre.
Le refus des limites constitue un autre argument franchement psychanalytique du déni écologique et de la cécité imaginaire qui y est liée. L’interdit exacerbe le désir et quand il n’y en a plus, nous en voulons encore. C’est la transgression jubilatoire. Ceci n’est pas glaner, c’est voler, mais peu importe. Primeurs pour tous, toute l’année, en direct des antipodes et jusque dans les couloirs du métro. L’époque scélérate où seuls les parisiens nantis achetaient des cerises en hiver chez Fauchon ou Hédiard est révolue. La bourgeoisie gustative a libéré le kiwi pour en faire le clone fadasse de nos démocraties factices. Fauchon est en vitrine dans les étales de Carrefour. Idem pour notre plein de carburant. Nous aurons toujours l’occasion d’un 11 septembre ou l’ombre patibulaire d’un dictateur qui justifiera un remodelage des régions où nous continuerons à puiser… en important notre fameux modèle démocratique. Et quand les alibis viennent à manquer, on en invente par média-mensonges. Les journalistes conformes sont là pour servir la soupe.
En 1950, nous pensions pouvoir faire reverdir les déserts.
En 2050, nous aurons réussi à désertifier la Terre entière.
Survivre sera bientôt un luxe, eh oui mon cher Bruckner :
http://www.youtube.com/watch?v=k1y7niVJSnI&feature=share
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