Dépénalisation des violences : le point de vue des victimes
Les violences volontaires sont, théoriquement, sanctionnées plus ou moins lourdement selon la gravité des blessures infligées à la victime et l’existence ou non de circonstances aggravantes.
On distingue ainsi :
- Les violences contraventionnelles, pour lesquelles l’auteur encourt une peine maximale de 1 500€ d’amende ;
- les violences délictuelles, pour lesquelles l’auteur encourt une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans en cas d‘aggravation ;
- les violences criminelles, pour lesquelles l’auteur encourt une peine de réclusion criminelle de 20 ans portée à 30 ans en cas d’aggravation.
Voilà pour la théorie.
En pratique, et les victimes ne le savent que trop bien, sauf dans les cas les plus graves, les auteurs de violences ne sont généralement pas poursuivis.
Dans le meilleur des cas, mais on est déjà là dans l’exception, une procédure alternative aux poursuites, aboutissant par exemple à un rappel à la loi, sera engagée.
Cela tient à plusieurs facteurs, ou plus exactement à plusieurs maillons de la chaine judiciaire, des policiers au parquet en passant même par les avocats, qui voient tous trop souvent ce genre d’affaires, qui deviennent pour eux tout ce qu’il y a de plus banal, et qu’ils finissent par traiter comme de simples incivilités.
Les parquets ne publient pas leurs chiffres par type d’infraction, mais on peut déjà se faire une bonne idée de l’absence de réponse pénale en observant les chiffres généraux relatifs au classement sans suite (I), après quoi je vous présenterai un cas concret (II), avant de m’interroger sur les conséquences que l’on peut attendre de cette dépénalisation de la violence (III).
- Les chiffres
A lire les chiffres clés publiés par le ministère de la justice [1], la situation paraît plutôt bonne, voire très bonne.
On apprend ainsi que le taux de réponse pénale aux infractions est de 88,5%.
Si on regarde trop rapidement ces chiffres, ont peut donc se bercer dans l’illusion que la justice pénale fonctionne plutôt bien.
Oui mais : en réalité, si on compare le nombre d’affaires poursuivies au nombre d’affaires traitées, on tombe à 19,65%. Si on veut comparer le nombre d’affaires qui ont plus généralement reçu une réponse pénale (poursuites ou mesures alternatives) au nombre de ces affaires traitées, le résultat est de 26,91%.
De même, sur les affaires dites poursuivables, où l’auteur est identifié et l’infraction caractérisée, le taux de poursuite proprement dit est d’environ 45%.
En réalité pour obtenir le chiffre, certes plus sexy, de 88,5%, il faut éluder les affaires classées pour des motifs autres que d’opportunité (défaut d’élucidation par exemple) et gonfler le chiffre en ajoutant aux affaires poursuivies celles qui ont fait l’objet de mesures alternatives (rappel à la loi par exemple).
- La pratique
Rien de tel qu’un exemple pratique et concret, tiré du témoignage d’une victime, pour mesurer combien il est difficile à une victime de violences de parvenir à obtenir une réponse judiciaire.
Après avoir vainement tenté de discuter avec une voisine particulièrement bruyante, Mademoiselle X. a fini par être contrainte un soir d’appeler la police pour qu’elle fasse cesser le tapage causé par cette voisine.
Dans les 5 minutes qui ont suivi le départ des policiers, un homme d’environ 1m80, 100 kg, qu’elle ne connaît pas (elle n’apprendra que par la suite qu’il s’agissait d’un des frères de sa voisine), frappe à sa porte et la menace en lui disant que si elle si faisait de nouveau appel à la police, il saurait où la trouver et qu’elle le regretterait.
Après une discussion houleuse, l’individu a sorti un couteau, contraignant Mademoiselle X. à fermer la porte pour se protéger et à.. rappeler la police.
Ceux-ci se sont déplacés mais n’ont bien entendu même pas relevé l’identité de l’individu, privant la victime de la possibilité de porter plainte pour menaces.
Soyons honnêtes : de toute manière la victime m’a confié qu’elle n’aurait de toute manière pas porté plainte, consciente déjà que ce serait vu comme une banale affaire de voisinage et qu’elle avait peu de chances que les policiers acceptent de recevoir la plainte qui de toute façon serait très certainement classée sans suite par le procureur.
Quelques temps après, arrive ce qui devait arriver : Mademoiselle X. se fait violemment agresser par deux membres de la famille de la voisine.
Les policiers se déplacent et.. ne relèvent même pas l’identité des deux agresseurs.
Résultat : plus d’une heure dans le bureau de l’officier qui l’a reçue le lendemain pour prendre sa plainte, et qui connaissant bien la famille, lui a montré plusieurs photos d’identité judiciaires de la fratrie.
Les individus qui l’ont agressée dûment identifiés, elle sort confiante du commissariat.
Confiante et surtout mieux armée pour surmonter le traumatisme dû à son agression, forte du sentiment que les auteurs seront punis.
Ce qui n’a pas été l’avis des avocats qu’elle contactés. L’un lui a tout simplement dit qu’elle s’était donné beaucoup de mal pour rien en portant plainte, puisque le procureur de son département (le Val-de-Marne) ne poursuit plus les faits de violences, même avec circonstances aggravantes comme c’est son cas.
L’autre a tout simplement refusé de la recevoir, arguant d’un agenda trop surchargé.
De fait ils avaient raison… porter plainte a été peine perdue
III-Conséquences
Dans son rapport sur les infractions sans suite[2], M Hubert HAENEL relatait une remarque ô combien juste du procureur de la république de la Cour d’Appel de Colmar lors de l'audience de rentrée de janvier 1998 consacrée au problème du taux élevé de classements sans suite :
" une situation de cette sorte est perverse, nuisible et dangereuse. La possibilité de passer à travers les mailles du filet de la répression ne peut qu'encourager les auteurs d'infractions à persévérer dans la voie délictueuse, les personnes et les biens de nos concitoyens ne sont plus suffisamment protégés, le sentiment d'insécurité se développe en se nourrissant d'exemples concrets, les services de police et de gendarmerie, constatant que leur action n'est pas vraiment relayée par celle de la justice risquent de se démobiliser, enfin un terreau favorable est fourni à des idéologies malsaines. ».
Le rapporteur évoque également la forte tentation des victimes de se faire justice.
De fait, après les menaces avec armes et ensuite l’agression en réunion dont elle a été victime, Mademoiselle X. est certaine que les policiers seront une troisième fois amenés à se déplacer dans son immeuble et elle n’espère plus qu’une chose aujourd’hui : être en mesure ce jour-là de se défendre efficacement, ce à quoi elle a veillé en achetant une arme blanche qui ne la quitte plus, pour être à armes à peu près égales face à ses agresseurs.
Il y a fort à parier que c’est un drame qui se produira ce jour-là, et qui aura comme tel les honneurs de la presse, et par conséquent d’une vraie réponse pénale, mais qui n’arrivera que bien trop tard.
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