Dernière cigarette à Ajaccio
Le « transport » de la Cour d’assise spéciale de Paris à Ajaccio, sur les lieux de l’assassinat du préfet Erignac, s’il réjouit les avocats du prévenu, ne devrait rien changer à l’affaire. Le berger de Cargèse aura sans doute besoin de plus pour dissiper les doutes.
A huis clos, loin des regards,
des caméras ou des micros, la Cour d’assise spéciale de Paris va se déplacer,
un jour, ou peut-être une nuit, à Ajaccio, sur quelque trottoir en pente douce,
pour se faire une idée, humer l’ambiance, savoir ce qu’il subsiste de ces
quelques secondes de mort qui stoppèrent net l’existence du préfet Claude
Erignac, en 1998. Yvan Colonna souhaitait ce déplacement, presque cette
reconstitution, lui qui jure les grands dieux qu’il « n’y était
pas ». Presque cette reconstitution, oui, parce qu’en fait de
reconstitution il n’y en aura point. Juste une « observation » :
« Ce transport montrera que la géographie des lieux ne permet pas de valider
l’implication d’Yvan Colonna », déclare
l’un des défenseurs de Colonna, tandis que Me Chabert, un des avocats de la
partie civile, se moque : « On va regarder une rue, une gendarmerie,
et on reviendra ici pour plaider (...) Cela n’apportera rien. C’est beaucoup
d’argent et beaucoup d’émissions de gaz à effet de serre pour rien ». Un transport pour polluer les débats ?
Avant l’annonce du déplacement de la Cour sur l’île, Colonna a tenté, hier, de justifier ce qu’il appelle pudiquement sa « prise de recul », à savoir sa fuite, quatre ans durant, loin de la justice, des questions, des témoins, des aveux et de la vérité. Quatre ans planqué, avec quelque séjour mystérieux dans un hôpital (chirurgie esthétique ?) et des chèvres par ci, par là, le tout au cœur et dans le silence très muet d’un maquis toujours commode. « Durant le temps de ma prise de recul, on m’a proposé de partir à l’étranger et de refaire ma vie. J’ai refusé parce que je pensais que j’aurais la possibilité de pouvoir m’expliquer sereinement »(...) « J’étais innocent et je ne voulais pas aller en prison ». J’étais innocent, si on chipotait, on pourrait lui demander pourquoi l’emploi de cet imparfait. Sans chipoter en revanche, on reste dubitatif sur l’utilisation de la fuite chez un « innocent », sur la tactique de la carapate chez un homme qui n’a rien à se reprocher, de la même façon qu’on peut s’interroger longuement sur l’obstination que met un accusé à se rendre absolument sur une scène du crime dont il jure qu’il était absent... Yvan Colonna a du mal à convaincre. Depuis le début de son procès, s’il a incontestablement bénéficié des quelques tâtonnements de l’enquête, il a surtout donné l’impression de ne s’appuyer que sur l’absence de preuves formelles pour se dédouaner. Non coupable par défaut.
Le plus flagrant dans cette molle défense, était l’audition des autres membres du commando. Tous sont revenus sur leur déclaration, sur leurs aveux, tous disent aujourd’hui que « M. Colonna » n’est pas celui qui a tiré. Mais comment le disent-ils ? Les mots, toujours les mots, comptent beaucoup dans un procès. Ainsi ceux d’Alain Ferrandi, qui interrogé par Colonna qui lui demande d’être « plus clair » sur son innocence, ne peut que répondre : « Je sais que tu es un homme d’honneur. Si tu avais participé, tu l’aurais revendiqué. Par conséquent, je confirme que tu n’y étais pas », réponse pour le moins tortueuse, qui laisse même le président du tribunal sur sa fin. Celui-ci demande du coup au témoin pourquoi il n’a pas disculpé l’accusé plus tôt, et Ferrandi de répondre : « Je n’allais pas passer mon temps à disculper des gens qui ne faisaient pas partie du groupe », autre sidérante réponse. Didier Maranelli, lui aussi accusateur rétracté longtemps après se dédouane ainsi du temps qu’il aura mis à finalement dégager de toute responsabilité Colonna : « J’avais une peur irrépressible, et il n’y a pas de date limite à la peur. Mais je ne pouvais pas laisser clôturer ce dossier en accusant un innocent ». Pas de date limite à la peur... là aussi on entend comme une sorte de formule travaillée, préparée, calculée, rien de très sincère, rien de probant. Pierre Alessandri, lui, ne se plaint pas de la garde à vue, n’évoque pas de pressions des policiers, mais déclare : « Dans ma tête, la mise en cause d’Yvan Colonna était une porte de sortie temporaire. Mais j’ai choisi, moi, d’être le tireur pour plusieurs raisons ». Et la cour de nager là dans le flou artistique. « Porte de sortie », « plusieurs raisons », encore du vague, de l’à peu près, rien sur quoi Colonna puisse vraiment s’appuyer pour affirmer son innocence.
Du coup, quand il prend la parole, Colonna exprime sa déception, sinon son abattement : « L’attitude des gens définitivement condamnés. Ils sont venus dire que je n’y étais pour rien, mais ça ne me convainc pas. Je l’ai dit à Versini : vous étiez ensemble en prison, et vous n’avez pas pris l’initiative de dire : "Ce type est innocent, il faut le faire sortir". Visiblement, il y a une stratégie. C’est moi le coupable, ça arrange tout le monde. M. Alessandri, c’est bien beau, ce qu’il dit, mais il n’y a aucune explication sur ses mises en causes initiales. Franchement, ça me satisfait pas. Alain Ferrandi a dit que j’étais un homme d’honneur. Il me connaît un peu, il sait très bien que j’ai jamais tué personne. Je les accepte pas, les propos comme ça ! (...) Ils ne veulent pas s’expliquer sur le nombre des membres du commando, ceci, cela. Ils ont fait un choix : prendre le risque de me laisser condamner pour protéger quelqu’un d’autre. Moi, j’ai pris la fuite, je l’assume. (sic) Mais rien n’empêchait les juges de faire les vérifications élémentaires, d’aller au fond des contradictions ».
On le voit, Colonna n’est pas content de sa « défense », en quelque sorte, en tout cas très mécontent de l’attitude de ceux qui, les premiers, même tardivement, l’ont « excusé ». Ces témoins-là, partie prenante de l’assassinat, devaient dans l’esprit du berger peser lourd dans ses audiences, devaient apporter enfin une certaine forme de dissipation du brouillard qui entourait l’enquête soi-disant à charge menée par les policiers. Au lieu de cela, les membres du commando ont murmuré les désaveux de leurs premiers aveux, juste murmurés, ni convaincants, ni peut-être convaincus. Les observateurs du procès ont noté que certains ne croisaient même pas le regard de Colonna en lui répondant. Pourquoi ? Machination, explique Colonna, qui voit là l’ombre d’un complot à grande échelle. Ils protégeraient « quelqu’un d’autre ». Qui ? Pas l’ombre d’une piste, mais pourquoi pas ? On peut être prêt à croire bien des choses dans cette drôle d’affaire. Si Colonna est tellement mécontent, ou déçu de ces témoignages censés à la base le tirer d’affaire, c’est peut-être parce qu’il réalise qu’il est en train de se faire piéger par plus malins que lui, ou peut-être aussi parce qu’il se rend compte que ses ex-accusateurs ne sont pas crédibles. Comme s’ils jouaient mal, en quelque sorte. Soit qu’ils ont mal appris leur texte, soit qu’ils n’y croient pas.
Et dans ce procès, Colonna avait déjà eu matière à s’irriter, quelques jours auparavant, des déclarations des épouses du membre du commando, toutes aussi alambiquées que les retournement de vestes de leur mari. Les unes ne se souviennent pas, les autres ne se rappellent plus, et Colonna s’irrite notamment des déclarations de Mme Alessandri. Cette dame, épouse de Pierre Alessandri, avait beaucoup chargé Colonna lors de ses premières auditions, et déclare aujourd’hui avoir cédé sous les « coups de bottin » des enquêteurs et les « hurlements » qu’elle entendait. Aujourd’hui son mari s’est accusé de l’assassinat du préfet, et à la question de savoir si elle croit son mari capable de tuer quelqu’un, elle a cette extraordinaire sentence : « Je suis sa femme, je ne peux pas répondre à cette question ». Elle ne peut d’ailleurs aujourd’hui répondre à rien, ou presque, et quand l’avocat général lui demande qui lui a volé son droit à la vérité, elle répond : « Personne ». Là aussi, Colonna espérait mieux que ce style de dialogue de sourd. Le lendemain, d’ailleurs, il le fait savoir : « J’ai trouvé le témoignage de Mme Alessandri pas clair, pas précis. Pourquoi elle ne dit pas franchement que je n’étais pas le 7 février 1998 au matin chez Alain Ferrandi ? Je ne comprends pas son attitude. Je vis un calvaire depuis huit ans et demi. Je n’ai pas vu grandir mon fils, je suis en prison depuis quatre ans et demi. Je n’étais pas au départ chez Pierre Alessandri le 6 février à 17 h 30, ni le matin suivant chez les Ferrandi. Je ne comprends pas Mme Alessandri, je ne l’accepte pas. Elle le sait, elle, que je n’y suis pas ! », diatribe énervée qui se situe entre la déception et la colère, entre la frustration et la menace (« je ne l’accepte pas »).
Yvan Colonna n’est pas idiot, pas innocent au sens « niais » du terme. Pas un schpountz. Il sent bien que sa défense est fragile, si ce n’est maladroite. Il sait que le temps ne joue pas pour lui. Aussi s’est-il senti obligé, deux fois déjà, d’exprimer son mécontentement. Rien ne fonctionne comme prévu : ceux qui l’accusent n’y vont pas par quatre chemins (Marion en tête) et ceux qui l’ont « blanchi », ses principaux atouts, manquent singulièrement de conviction, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est pourtant capital, dans nos palais de justice, la conviction. C’est fondamental. Il faut ne chercher à gagner que cela : l’intime conviction, qui seule l’emporte.
Que peut-on donc espérer Colonna du transport de la Cour à Ajaccio ? On ne voit pas. Pas de reconstitution, juste la vision d’un décor, d’une scène de crime, sans plus. Rien qui puisse éclairer les débats, plutôt une sorte de version « romantique » de la funeste dernière cigarette du condamné.
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