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Des modalités de la reproduction dans la société technicienne

 

Aucune étude sérieuse quant à la nature et aux finalités d’une société ne peut faire l’économie d’un questionnement sur la façon dont les gens s’y unissent et s’y reproduisent. Le mariage et l’accouplement sont les institutions les plus rigoureusement encadrées dans toutes les sociétés primitives. C’était aussi le cas en Grèce, à Sparte, à Rome, en Orient, où la législation dans ces domaines était très stricte. Qu’en est-il dans notre société ?

Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Les hommes sont malheureux, ils s’agitent, ils rêvent de victoire contre les nantis (gilets jaunes) ou au contraire de retour à un ordre antérieur, à la chrétienté médiévale par exemple. Ils réfléchissent. Ils écrivent. Et pendant ce temps-là rien ne change, le monde continue de tourner. Les utopies foisonnent, et pourtant jamais nous ne nous sommes sentis aussi peu libres, aussi déconnectés de l’espérance politique qu’à notre époque. Pourquoi ? D’où vient le paradoxe ?

 La réponse est simple. Les flots d’encre déversés par les utopistes et intellectuels de tout poil ne pèsent rien, c’est un amusement d’oisifs, de chômeurs et de retraités. Pendant que les hommes s’écharpent sur les forums de discussion, le sort du monde se joue ailleurs : chez les femmes. Vous ne trouverez pas de jeunes femmes sur Agoravox. Elles ont plus important à faire. Elles ont à préserver l’ordre d’aujourd’hui, et à construire le monde de demain.
 
 L’axiome que je défendrai dans cet article est le suivant : Qui possède les leviers de la reproduction façonne le monde selon ses désirs.
 Qui procédait aux choix en matière de reproduction aux siècles passés ? C’était celui qui tenait les cordons de la bourse. La reproduction était un outil aux mains des possédants pour préserver leurs prérogatives sociales. Le mariage était une affaire sérieuse. Il y avait des dots, des contrats, etc. C’est ainsi que l’ordre bourgeois de la société se perpétuait. Bien entendu, la nature se rebellait parfois, d’où les innombrables histoires d’adultères que l’on trouve dans la littérature de cette époque, de Balzac à Mauriac en passant par Flaubert. (Aujourd’hui, on peut noter que l’adultère a complètement disparu en tant que thème romanesque : quand la femme en a marre, elle s’en va et l’homme écrit un livre pour exprimer sa douleur : Lettres à Joséphine de Nicolas Rey, Rompre de Yann Moix.)
 
 Pour de multiples raisons historiques sur lesquelles je ne reviendrai pas ici, l’ordre bourgeois s’est effondré (le mot qui revenait à toutes les pages encore chez Roland Barthes n’est plus du tout employé). Ce qui lui a succédé, plusieurs penseurs l’ont mis en évidence, c’est un ordre nouveau : l’ordre technicien. Et dorénavant, dans cet ordre nouveau, qui choisit le reproducteur ? Réponse : c’est la jeune femme fertile, et elle seule. La femme choisit le père, et elle le fait selon ses propres critères. Et de quelle nature sont ces critères ? Réponse : ce sont des critères exclusivement techniques. La jeune fille peut s’amuser avec le rocker ou le bad boy, quand l’horloge biologique se manifeste, quand il s’agit de passer aux choses sérieuses, elle choisira le professeur, le fonctionnaire, le banquier, le bureaucrate, l’homme installé. C’est un schéma que j’ai vu se répéter mille fois. En un mot : l’homme qui fait preuve d’une certaine dextérité dans l’univers technicien, et surtout qui accepte et soutient le monde tel qu’il est. Tout sauf le rebelle, l’utopiste. Le penseur peut exprimer son désarroi et ses théories brillantes sur Agoravox, ce n’est pas lui qui se reproduira. Celui qui se reproduira, c’est celui qui accepte le capitalisme, la technique, l’Etat doté de pouvoirs de contrainte, les impôts, bref ce monde dont chacun se plaint sans cesse. Et c’est logique. Lorsque le père de famille détenait le pouvoir de choisir les acteurs de la reproduction, le monde reflétait les désirs du père de famille : propriété, ordre bourgeois, État policier, étanchéité des fortunes, raffinements artistiques réservés à une élite, etc. Maintenant que c’est la femme de trente ans qui procède seule au choix du reproducteur, le monde reflètera les désirs de la femme de trente ans : fonctionnalité, sécurité, confort technique, pas de morale, pas d’abstraction, multiplicité des stimulations sensorielles – des macarons aux vacances au ski, etc.
 
 Alors bien sûr les hommes sont malheureux, une telle société est invivable pour eux, et ils l’écrivent, ils rêvent d’un retour à la verticalité, que ce soit sous une forme catholique, ou d’une politique autoritaire, ou des diverses nostalgies du néo-paganisme, etc. Mais tout cela ne compte pas. Qui détient le pouvoir de reproduction façonne le monde. La totalité de l’humanité de demain sera le fruit des volontés féminines, du moins dans le monde occidental. Le monde de demain sera le reflet du désir des femmes d’aujourd’hui, comme le monde d’aujourd’hui est le reflet du désir des femmes d’hier. Et dans ces conditions, il est aisé de prédire ce que sera le monde de demain : ce sera un monde fonctionnel, utilitariste. Le système est clos, la coïncidence entre accroissement des droits des femmes et développement de la dimension technicienne de la société se poursuivra, et l’étau de la technique sur nos vies ne fera que se resserrer, encore et encore, inexorablement.

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12 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 2 mai 2019 09:24

    Intéressante réflexion.

     

     En attendant, je note que c’est une femme, Monique Canto Sperber qui n’a plus 30 ans certes, qui dénonce la fin des libertés.

     

     De fait, le néolibéralisme qui a institué la liberté économique et la concurrence libre et non faussée en valeurs fondatrices a produit un système profondément inégalitaire et qui produit de l’insécurité. Pas de sécurité pas de liberté.

     

    La liberté économique tue les libertés individuelles : le libéralisme économique est un illibéralisme  !

     

    CQFD


    • Francis, agnotologue JL 2 mai 2019 10:23

      @JL
       
       Ces êtres ne sont pas corrompus. Ils sont la corruption
       
      « Ils croient à la compétition et à la compétitivité. Ils méprisent la coopération, la générosité et l’altruisme. Ils ont réussi à faire passer la bienveillance pour de la naïveté, la solidarité pour de la faiblesse, l’empathie pour de la lâcheté.
       
      « Il est de plus en plus clair qu’il n’y a pas de place pour nous et nos enfants dans l’utopie néolibérale en construction, sinon comme esclaves ou comme pièces détachées.

       »
       
       Comment croire en l’UE quand le pays qui en tient les rennes est un paradis fiscal ?


    • Pale Rider Pale Rider 2 mai 2019 10:43

      @JL
      Les rennes : seulement en Scandinavie. Ici, ce seraient plutôt les rênes... smiley


    • Pale Rider Pale Rider 2 mai 2019 10:39

      Merci pour cet article. Il faut ajouter que les pouvoirs, qui n’ont que le mot « bioéthique » à la bouche, font semblant de résister un peu avant de tout entériner. Par exemple la GPA, la PMA, et tous les sigles que vous voulez et dans tous les sens, le tout aggravé par le Mariage pour Tous qui est la porte ouverte au droit à l’enfant au mépris du droit de l’enfant à ne pas naître dans un contexte artificiel et, précisément, technicien. On prépare même (et ça existe déjà) la possibilité de faire des enfants sans le délicieux plaisir qui va avec et qui, contrairement à ce qu’on enseigne encore trop souvent, fait partie de la création « très bonne » et n’est pas un péché quand il est pratiqué dans le cadre d’un amour qui a l’intention de durer.

      Bon enfin, bien qu’un peu intello et sévissant sur AgoraVox, je suis très heureux d’avoir eu le temps de me reproduire, et dans un partenariat fort plaisant à tous égards, y compris sur le long terme. Je souhaite le même bonheur à tout le monde. Mais la reproduction, c’est comme l’alcool : avec modération (on est déjà 7 milliards !). smiley


      • Francis, agnotologue JL 2 mai 2019 11:19

        @Pale Rider
         
         ’’on est déjà 7 milliards !

        ’’
         
         Chic planète


      • Paul Leleu 2 mai 2019 17:20

        @Pale Rider

        vous noterez que ce sont les femmes qui imaginent « le droit à l’enfant »... ça correspond tout à fait à leur psychologie, où elles choisissent un père de façon assez fonctionnelle, selon leurs seuls besoins et désirs...

        d’ailleurs l’article est très juste (et assez amusant)... mais au fond, est-ce si grave ? Comme le dit l’auteur, cela ne dépend pas de nous... dès lors, pourquoi lutter contre cette tendance historique ?


      • George L. ZETER George L. ZETER 2 mai 2019 12:38

        excellent article, fort instructif. La femme n’est plus vraiment l’avenir de l’homme ; mais plutôt son carcan...


        • Paul Leleu 2 mai 2019 17:26

          @arthes

          « Et d’ailleurs, il en résulte que les femmes aussi sont malheureuses ».

          oui, je le remarque aussi... mais elles ne changeront jamais... c’est un déterminisme... Et puis ce n’est pas très grave... si c’était vraiment grave, alors elles changeraient... c’est donc que ce n’est pas si grave.

          en fait, le bonheur n’est pas nécessairement dans le couple... en tout cas pas dans ce genre de couple...

          laissons les femmes se reproduire comme elles le veulent (« faire un enfant toute seule », comme on dit). Qu’est-ce qu’on en a à faire ? Ca ne nous empêche pas de vivre. Et dans le futur, grâce à cette sélection sociale et génétique, il sera né des hommes adaptés à ce nouveau monde, donc tout ira bien. Et nous on sera plus là.

          le vrai drame serait de s’obstiner contre le mouvement de l’époque, à reproduire des hommes inadaptés...


        • sylvain sylvain 2 mai 2019 16:19

          bof, moi je n’ai pas vraiment l’impression que les jeunes femmes tiennent la société, ni que se trimbaler des mouflets rendent en soit puissant.

          la plupart des jeunes femmes comme des jeunes hommes que je connais sont plutôt paumés face à cette question . On a remis en cause la famille tradi, qu’il a toujours fallu imposer à coups de triques, or les coups de triques sont aujourd’hui très mal vus, et on a rien mis à la place

          Or le rien n’est pas tenable, et la famille tradi repointe le bout de son nez, mais il faudra au moins une guerre pour la remettre en place et encore ... en tout cas elle se fera sans moi


          • Paul Leleu 2 mai 2019 17:42

            je trouve l’article assez bien vu... c’est d’ailleurs surtout vrai dans les classes bourgeoises ou petites-bourgeoises...

            J’ai dans la trentaine, et ça fait longtemps que j’ai renoncé (sauf imprévu). Je préfère justement refaire le monde en pure perte sur AVox avec des vieux schnoks savoureux, me consacrer à l’art classique, à la contemplation, à la jouissance de mon temps, aux voyages impromptus et à la méditation... sans me soucier de gagner sérieusement ma vie ni de respectabilité sociale.

            J’ai refusé certaines propositions sérieuses (pas beaucoup, mais quand même). Je ne suis pas un machin qu’on « annexe » le moment venu. J’ai pas envie de me transformer en chien de traineau soumis (c’est mon ressenti par rapport à mes rencontres). Une femme, si elle veut réellement partager ma vie, doit m’apporter quelque chose de spirituel (pas de danger que ça arrive, je dors sur mes deux oreilles). D’ailleurs, je ne vois pas ce que je pourrais transmettre à un enfant : mieux vaut justement un père en phase avec la société.


            • Paul Leleu 3 mai 2019 03:14

              @Jean De Songy

              c’est clair smiley ...mais comme disent les chinois, « le vide appelle le plein »... en fait cette société moderne m’offre une vie incroyablement libre... plutôt que de déprimer, je vois s’ouvrir devant moi une voie incroyablement libre... au début t’y crois à peine... j’ai l’impression un peu loufoque de marcher dans une ville vide, un peu surréaliste... je vois les gens qui s’agitent dans l’ancien-monde, ou bien les prolos de la reproduction qui galèrent à rejouer les 30 glorieuses après la saison...

              J’ai l’impression de vivre au coeur de la société post-moderne ultra-macronienne... mais que ça se passe surréalistement bien pour moi, je passe entre les goutes... je suis devenu « virtuel »... je n’ai aucune responsabilité sociale... en plus avec « la fin du travail », tu peux reconvertir ton intelligence dans l’économie quaternaire... A force d’être hyper hyper hyper ringard, tu finis par être dans le coup !

              Et comme j’ai la chance d’avoir des passions puissantes, j’ai pu en profiter pour vivre des choses que je n’aurais jamais pu vivre, et faire des rencontres que je n’aurais jamais pu faire. L’avantage d’être un peu exclu de la reproduction, c’est que tu n’en as plus rien à foutre de la société future... non pas que tu sois malveillant, mais c’est bien aux reproducteurs de s’occuper de leur monde... Et en fait, ça te libères de quantités d’énergie, de dispositions, de possibilités, et d’audace inimaginables


            • Paul Leleu 3 mai 2019 13:11

              @Jean De Songy

              oui je comprends... pour ma part j’ai la chance de le faire dans un domaine tellement particulier que ça nourrit mon âme. Justement, pas dans le sport ou l’informatique. Mais j’assume clairement de plus en plus un apartheid avec la société.

              Le « jardin intérieur » est aussi largement cultivé par des poètes anciens, de l’antiquité (y compris chinoise) et de l’âge classique... Quand tu es raffiné, c’est quand même un moyen de survie et de sociabilité. Tu vas « de château en château », dans un entre-soi, en évitant les barrages de gilets-jaunes. Tu n’es pas à proprement parler riche (loin de là), mais tu mets en valeur ton capital culturel et intellectuel pour échapper justement aux bi-smicards houellebcquiens.

              Sûrement que nous allons vers le fascisme. Qui est d’ailleurs une magnfique convergence entre Macron et les GJ. Mais que veux-tu y faire ? Mieux vaut faire profil bas, et consensuel. De toutes façons tu vas pas te sacrifier ou prendre des risques pour un ramassis de médiocres gogochons (prolos et bobos) français, qui ne rêve que de retrouver Johnny et Jacques Chirac après la révolution

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