Des petites filles modèles aux petites filles précoces ?
Entre 13 et 20 ans, elles sont plus grande ( de 3 à 6 cm ) plus lucides , parfois plus rondes mais souvent plus coquettes que leurs mères au même âge. Sans complexes ni limites elles sont aussi sages et solides, fortes et fragiles, de vrais paradoxes, versatiles comme l’adolescence. Mais, si le gouvernement a eu la sagesse de ne pas proposer au parlement la prison pour les moins de 13 ans, le fait que le débat ait eu lieu au ministère de la justice, est révélateur. Alors que le nombre de mineurs impliqué dans des crimes et délits ne fait qu’augmenter, essayons de dépasser les constats d’échecs, et posons-nous une question : Sommes nous vraiment à jour sur les pratiques et sur la culture des très jeunes ? On sait aussi que les filles sont plus précoces que les garçons. Alors, une approche côté filles, par le sociologue Eric Donfu.

« Je veux tout » Quand la chanteuse Ariane Maufat chante ces paroles elles ont de l’écho chez elles. Elles n’échappent pas aux normes bourgeoises et aux clivages sociaux, mais elles se ressemblent plus qu’on ne le pense. Elles veulent tout, tout de suite. Le grand amour et les petits amours, l’argent et les loisirs, les plaisirs et le pouvoir. Elles ? Ce sont les jeunes filles d’aujourd’hui.
Ce sont elles qui donnent le ton dans la famille. Poil à gratter, incontrôlables, et pourtant si famille, si attachées, au fond d’elle-même, à un monde parfait et tendre, elles savent que c’est elle et personne d’autre, qui en détient la clé. Alors, oui, à 15 ans, elles ne peuvent ignorer que la société leur réserve du déclassement et de la précarité. Mais elles en on fait leur condition, à regret et même au prix d’un stress souvent difficile à supporter. Capables de se mobiliser pour lutter contre tout élitisme dans les études ou toute dévalorisation du travail des jeunes, elles sont avant tout ambitieuses et pensent toutes avoir leur chance.
Elles savent que leurs mères, avec qui elles vivent une relation faite plus de fusion que de raison, ont été les filles des grandes innovatrices, mais qu’elles sont aujourd’hui loin de l’esprit de ces combats féministes des années 70. Même si elles vivent encore chez leurs parents, elles sont impatientes de couper le cordon ombilical et de dévorer ce monde qu’elles connaissent mieux que toutes les générations qui les ont précédées. Les conduites déviantes, consommation d’alcool, de tabac, de drogues, conduites de violence, tentatives de suicide, dépressivité, fugue, sont souvent la conséquence du fait que l’on ne se supporte plus.
Faisant la part de la beauté – toujours adulée et recherchée - et de la sincérité perçue et réelle, elles distinguent le grain de l’ivraie. Sensibles à la cause du Tibet comme aux incendies en Australie par exemple, elles n’hésitent pas à revendiquer une nouvelle révolution sexuelle et goûtent le monde comme on goûte un bon vin. Fini le kir pour les demoiselles, le temps du Sauvignon et des bons Bordeaux est venu. Mieux que le vieux pétard, elles n’ignorent rien du « Champi », ce champignon hallucinogène séché qui se vend à Amsterdam.
Droit aux études, oui, mais on ne les laisse pas devenir ce qu’elles veulent.
En transmettant un combat légitime et toujours actuel pour les droits des femmes, les féministes transmettent-elles la société qui va avec ? Car cette société n’a rien pour les séduire. Orientation précoce, ne tenant pas compte de leurs désirs profonds, impossibilité de travailler tout en faisant ses études : Produire sa propre individualité n’est pas facile pour elles. De plus, le diplôme devient une illusion, tant le niveau augmente, tant le chômage reste élevé.
Egalité des salaires entre les hommes et les femmes, oui, mais encore faudrait-il avoir un salaire.
Si l’on considère que devenir adulte, c’est disposer d’un emploi et d’un logement, et bien pour la première fois depuis longtemps, les jeunes générations sont confrontées à une entrée dans la vie adulte plus difficile que celle de leurs parents. Niveau de vie en baisse, promotion sociale réduite : Jamais la situation des 15- 24 ans n’aura été aussi difficile pour trouver un emploi stable et se loger. Jamais les premiers boulots n’auront été plus précaires et sous-payés. Alors que l’écart de salaire qui prévaut entre un père et son fils est passé de15% en 1975 à 35% en 2000[i] Dans ce contexte, comment les sensibiliser à l’écart salarial entre les hommes et les femmes dans l’entreprise ?
Droit à la contraception et à l’avortement ? Oui, mais elles sont déjà passées à autre chose
IVG, le combat continu, oui, mais les jeunes filles d’aujourd’hui ont ouvert d’autres fronts, très loin de l’amour asservi de leurs grands-mères et plus loin encore que l’amour libre de leurs mères. Dès les premières règles, qui sont plus précoces, autour de douze ans aujourd’hui contre 15 ans en 1900, la pilule apparaît dans les discours. Mais toujours pour limiter, dans les faits, le nombre des poupées que des naissances… En effet, l’âge moyen du premier rapport sexuel reste stable, autour de 17 ans, après avoir fortement baissé dans les années 80. [ii] Mais, dans les quartiers, les affaires de mœurs qui impliquent de très jeunes auteurs se multiplient, traduisant, là aussi une précocité spectaculaire. Il existe toujours un nombre incompressible de grossesses non désirées. En France, le nombre d’IVG reste stable autour de 220 000 par an. Cela ne doit pas masquer des comportements qui se multiplient chez les 16 / 20 ans, préfigurant peut-être une révolution sexuelle qui arriverait sur des pattes de colombes.
Car si l’amour – ou l’enjeu sentimental - reste pour elles, plus que pour eux, au premier plan, les jeunes filles de 2009 ont dépassé les tabous des générations précédentes, tout en rejetant les abus sexuels de toutes sortes. Bisexualité, masturbation, amour à plusieurs, toutes les expériences ont court, à l’image de ces soirées « fucker wear ». Il s’agit pour une fille d’inviter ses copines à essayer des tenues sexys et des sex-toy lors d’une soirée entre elles. A la recherche du plaisir, elles sont sans illusion sur le grand amour, qui reste cependant une valeur sûre, avec une mise en couple de plus en plus précoce. Non seulement l’homosexualité n’est pas une pratique qui les choque, mais de plus en plus de jeunes filles revendiquent le fait d’être lesbiennes et heureuses de l’être. A 14 ans déjà, on peut désormais avoir une vie de couple et, notamment dans les milieux populaires, on devient maman avant vingt ans sans aucun complexe. Il serait hasardeux de généraliser ces comportement, mais ils peuvent faire figure de révélateur, et la minorité libérée peut influencer les plus sages.
Comment prétendre les informer alors que le monde est leur village ?
Elles sont toutes sur Facebook ou Myspace et pensent toujours pouvoir y rencontrer leur conjoint comme leurs grands-parents au bal du samedi soir… Pour elles, le réseau est une seconde peau, même si elles jouent moins que les garçons aux jeux en lignes. « Geek » est un terme qui désigne ces fous de jeux de rôles sur Internet, comme World of wordcraft, ou Second life, mais c’est un terme essentiellement masculin. Les filles cherchent à partager leur univers sur la toile et reçoivent leurs mails directement sur leur téléphone portable, tout en étant lucides sur ces amitiés virtuelles, qui ne remplacent pas les soirées entre filles, où l’on parle de tout, du boulot comme de la politique, de l’amour comme des fringues. Elles écoutent aussi la radio[iii], Nova comme les radios locales, et le monde parallèle de ce média « classique » est même l’égal chez elles d’Internet.
Leur profond désir ? S’assumer enfin, et s’assumer libre !
S’assumer c’est entrer dans une logique d’émancipation individuelle. Problème, elles ont le sentiment que la société raisonne en groupes, en catégories, mais pas à la mesure de chaque individu. Donc, elles se replient dans leur bulle, et c’est leur façon d’assumer leur autonomie, faute de pouvoir assumer leur vie en société. Autonomie scolaire, en gérant son planning, autonomie financière en gérant ses dépenses, autonomie de déplacement en pouvant aller et revenir à son heure, autant d’étapes clés dont elles dosent l’urgence et les opportunités dès la préadolescence. Mais comment, à 22 ou 24 ans peut-ont rester chez ses parents, prisonnière d’une ambigüité de dépendance ? Attention, si, sous les effets conjugués de la crise et des politiques salariales, l’accès au travail, au logement et à la vie de couple n’est plus assurée avant trente ans, le taux de frustration deviendra explosif. La clé réside sans doute dans une politique publique d’équité entre les générations. Les jeunes sont exclus du RMI. Si l’on veut que les droits des femmes soient défendues, il faut aussi que l’autonomie financière des jeunes filles soit compensée, comme il faut que les loyers des moins de 25 ans puissent être garantis.
Comment être libre dans une société de consommation ?
La dictature du look vaut celle du genre. Dans la société de consommation, les tribus se parent d’apparences coûteuses, les idoles poussent à la dépense. Mais il y a plus sérieux, sa propre « mise sur le marché » de la relation. Selon une étude réalisée auprès des adolescents en 1991[iv], si 62% des garçons estiment avoir du charme, ce chiffre tombe à 45% si l’on interroge les filles. Autre révélateur de ce mal-être, selon cette même enquête, si 6% des garçons disaient qu’ils voudraient plutôt être une fille, 21% des filles, soit une fille sur cinq, déclaraient vouloir plutôt être un garçon. Cette étude confirme le fait que, derrière des maquillages hésitants ou soulignés, les jeunes filles sont bien le révélateur des doutes et de l’énergie de la jeunesse toute entière. Peur de ne pas être aimée, doute de soi, elles se trouvent à la croisée de toutes les espérances et de tous les malaises. Des accidents de moto aux vols, des voyages aux blogs intimes, de la meilleure amie à la sœur, tout en en double ou en triple dimension chez elles, les joies comme les peines.
Pour le reste, mais aussi pour son avenir, la société peut leur faire confiance. Quel que soit leur « éloge du mariage, de l’engagement et d’autres folies »[v] ce n’est pas avec elles – seules 3% se voient femmes au foyer dans l’avenir- [vi]que les conquêtes des femmes devraient reculer. Mieux, elles nous préparent un autre monde, où chacun et chacune pourra être son champion[vii]. Etre soi-même avec les siens, en couple et en famille, être seule et entourée d’ami(e)s réels et virtuels, ce sont les paradoxes d’un âge qui est d’abord celui de la recherche de soi.
Eric DONFU
16 mars 2009
[i] Sources, Presses de Sciences Po, 2004
[ii] Il y a cinquante ans, l’âge médian des femmes au premier rapport sexuel, âge auquel la moitié d’entre elles avaient vécu ce passage, était de 20,6 ans, soit deux ans de plus que les hommes. Dans les années 1960 et 1970, l’âge des femmes au premier rapport a baissé fortement et s’est rapproché de celui des hommes. L’âge au premier rapport s’est ensuite stabilisé dans les années 1980 et 1990. Dans les années 2000, une nouvelle baisse s’est amorcée. L’écart entre femmes et hommes n’est plus que de quelques mois, 17,6 ans pour elles et 17,2 pour eux.
[iii] 53% des garçons et 68% des filles écoutent tous les jours la radio et même 17% des garçons et 13% des filles écoutent quotidiennement des émissions de radio « spéciales pour jeunes parlant de sexe ». Source « les 13 /20 ans et l’alcool en 2001, Comportements et contextes en France, IREB, 2003.
[iv] Enquête INSERM sur la santé de 4500 élèves du second degré, Académie de Lille, 1991
[v][v] Selon le titre du petit livre de Christiane Singer, Poche, 2007
[vi] Sondage, gouvernement, février 2009.
[vii] 8% des jeunes ont une pratique sportive intense « Jeunes et Pratiques Sportives » INJEP, 2001
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON