Deux manières de croire que la frontière nationale est un rejet de l’autre
Il y a un mythe des origines, très "peace and love", selon lequel au commencement, la Terre était un grand paradis sans frontières, dans lequel les hommes étaient tous frères. Un jour, quelques hommes mal inspirés auraient alors créé les frontières nationales, dans le but de séparer leurs semblables les uns des autres. Et c'est depuis ce temps que la Terre aurait perdu son unité originelle. Pour retrouver cette unité originelle, il suffirait de détruire les frontières nationales.
On n'attend pas d'un mythe qu'il nous raconte une vérité historique factuelle, mais on attend de lui qu'il nous dise quand même des vérités sur les choses dont il parle, qu'il nous permette de mieux comprendre ces choses et de mieux les juger. Ce mythe-là ne nous permet pas de comprendre les frontières nationales, ni de les juger correctement, il dit des contre-vérités sur elles.
Un mythe des origines qui permettrait de comprendre les frontières nationales et de les juger correctement, dirait au contraire qu'au commencement, il y avait autant de territoires que d'hommes sur la Terre. Chacun de ces territoires était un territoire individuel, délimité par des frontières qu'on pourrait donc qualifier d'individuelles. Ces territoires étaient sans cesse en guerre les uns contre les autres, et ces guerres étaient des querelles de frontières : chaque individu se battant avec ses voisins pour savoir à qui tel ou tel espace frontalier devait revenir. Un jour, quelques hommes bien inspirés ont eu l'idée de partager leurs territoires. Cohabiter sur un même territoire pose des difficultés, mais ils ont réussi à les surmonter. De plus en plus d'hommes les ont alors imités. Les territoires individuels ont ainsi fusionné les uns avec les autres, les résultats de ces fusions étant les territoires nationaux d'aujourd'hui, délimités par les frontières nationales.
Les frontières nationales n'ont donc pas été créées à partir de rien par quelques hommes mal intentionnés. Chaque individu avait dès l'origine des frontières autour de lui ; des frontières individuelles qu'il a élargies pour qu'elles englobent tous les membres de son pays, et ces frontières individuelles élargies, réunies les unes aux autres, constituent la frontière nationale du pays.
Les frontières individuelles.
Selon ce second mythe des origines, le Terre était donc au commencement, non pas sans frontières, mais au contraire saturée de frontières individuelles très marquées. A l'état originel, un individu n'avait pas aucune frontière qui l'entourait ; il avait au contraire autour de lui une frontière très marquée et on ne peut plus étroite : sa frontière individuelle dans son état originel.
La frontière délimite d'abord une chose plutôt abstraite : ce que l'individu considère comme un bien, ou son bien, quelque chose de plutôt abstrait qui mérite à ses yeux qu'il s'y investisse, qu'il l'aime ou qu'il le serve. Quand un individu n'a qu'une frontière individuelle, il n'y a pas à ses yeux de bien commun, pas de bien qui serait le sien et celui d'autres. Le seul bien est pour lui un bien qui n'est que le sien, un bien totalement individuel : il est totalement égoïste.
La frontière délimite ensuite des choses plus concrètes : que l'individu considère comme ses propriétés. Ce sont des choses plus concrètes qu'il considère comme nécessaires à son bien être : toucher à ces choses revient à toucher à son bien être ; ou ce sont aussi des choses dans lesquelles il a projeté son être, en les créant, en les façonnant, en les inventant, en y mettant sa sensibilité ou son cœur ; ou encore, ce sont des choses auxquelles il fait attention, dont il prend soin, qui lui ont demandé du travail. Comme exemples matériels de propriétés, il y a la maison d'un individu, son jardin, ses champs ou ses troupeaux, ses outils, ses réalisations artistiques. Quand un individu n'a qu'une frontière individuelle, il n'y a pas pour lui de propriété collective, qui soit à la fois la sienne et celle d'autres, comme un territoire partagé, un espace de vie commune : il ne partage rien.
Dans ses Politiques (livre I, chapitre 3), Aristote avait justifié le droit de propriété, par le fait que l'objet dont on devrait être reconnu comme propriétaire est nécessaire à notre bien être, et nous a demandé un effort pour l'acquérir, le créer, le façonner (Aristote est par contre plutôt hostile à la propriété superflue ou qui ne demande pas d'effort).
Et dans l'Emile (livre II), Rousseau justifie le droit de propriété par ces liens qu'il y a entre l'individu, et ces choses dont il devrait pouvoir être considéré comme propriétaire. Voilà comment il imagine qu'on pourrait expliquer les justifications du droit de propriété à Emile, son jeune élève :
« La première idée qu’il faut lui donner est donc moins celle de la liberté que de la propriété ; et, pour qu’il puisse avoir cette idée, il faut qu’il ait quelque chose en propre. [...] Il s’agit donc de remonter à l’origine de la propriété ; car c’est de là que la première idée en doit naître. L’enfant, vivant à la campagne, aura pris quelque notion des travaux champêtres ; il ne faut pour cela que des yeux, du loisir, et il aura l’un et l’autre. Il est de tout âge, surtout du sien, de vouloir créer, imiter, produire, donner des signes de puissance et d’activité. Il n’aura pas vu deux fois labourer un jardin, semer, lever, croître des légumes, qu’il voudra jardiner à son tour.
Par les principes ci-devant établis, je ne m’oppose point à son envie ; au contraire, je la favorise, je partage son goût, je travaille avec lui, non pour son plaisir, mais pour le mien ; du moins il le croit ainsi ; je deviens son garçon jardinier ; en attendant qu’il ait des bras, je laboure pour lui la terre ; il en prend possession en y plantant une fève ; et sûrement cette possession est plus sacrée et plus respectable que celle que prenait Nuñes Balboa de l’Amérique méridionale au nom du roi d’Espagne, en plantant son étendard sur les côtes de la mer du Sud.
On vient tous les jours arroser les fèves, on les voit lever dans des transports de joie. J’augmente cette joie en lui disant : Cela vous appartient ; et lui expliquant alors ce terme d’appartenir, je lui fais sentir qu’il a mis là son temps, son travail, sa peine, sa personne enfin ; qu’il y a dans cette terre quelque chose de lui-même qu’il peut réclamer contre qui que ce soit, comme il pourrait retirer son bras de la main d’un autre homme qui voudrait le retenir malgré lui.
Un beau jour il arrive empressé, et l’arrosoir à la main. O spectacle ! ô douleur ! toutes les fèves sont arrachées, tout le terrain est bouleversé, la place même ne se reconnaît plus. Ah ! qu’est devenu mon travail, mon ouvrage, le doux fruit de mes soins et de mes sueurs ? Qui m’a ravi mon bien ? qui m’a pris mes fèves ? Ce jeune cœur se soulève ; le premier sentiment de l’injustice y vient verser sa triste amertume ; les larmes coulent en ruisseaux ; l’enfant désolé remplit l’air de gémissements et de cris. On prend part à sa peine, à son indignation ; on cherche, on s’informe, on fait des perquisitions. Enfin l’on découvre que le jardinier a fait le coup : on le fait venir.
Mais nous voici bien loin de compte. Le jardinier, apprenant de quoi on se plaint, commence à se plaindre plus haut que nous. Quoi ! messieurs, c’est vous qui m’avez ainsi gâté mon ouvrage ! J’avais semé là des melons de Malte dont la graine m’avait été donnée comme un trésor, et desquels j’espérais vous régaler quand ils seraient mûrs ; mais voilà que, pour y planter vos misérables fèves, vous m’avez détruit mes melons déjà tout levés, et que je ne remplacerai jamais. Vous m’avez fait un tort irréparable, et vous vous êtes privés vous-mêmes du plaisir de manger des melons exquis.
- Jean-Jacques : Excusez-nous, mon pauvre Robert. Vous aviez mis là votre travail, votre peine. Je vois bien que nous avons eu tort de gâter votre ouvrage ; mais nous vous ferons venir d’autre graine de Malte, et nous ne travaillerons plus la terre avant de savoir si quelqu’un n’y a point mis la main avant nous.
- Robert : Oh ! bien messieurs, vous pouvez donc vous reposer, car il n’y a plus guère de terre en friche. Moi, je travaille celle que mon père a bonifiée ; chacun en fait autant de son côté, et toutes les terres que vous voyez sont occupées depuis longtemps.
- Émile : Monsieur Robert, il y a donc souvent de la graine de melon perdue ?
- Robert : Pardonnez-moi, mon jeune cadet ; car il ne nous vient pas souvent de petits messieurs aussi étourdis que vous. Personne ne touche au jardin de son voisin ; chacun respecte le travail des autres, afin que le sien soit en sûreté.
- Émile : Mais moi je n’ai point de jardin.
- Robert : Que m’importe ? si vous gâtez le mien, je ne vous y laisserai plus promener ; car, voyez-vous, je ne veux pas perdre ma peine.
- Jean-Jacques : Ne pourrait-on pas proposer un arrangement au bon Robert ? Qu’il nous accorde, à mon petit ami et à moi, un coin de son jardin pour le cultiver, à condition qu’il aura la moitié du produit.
- Robert : Je vous l’accorde sans condition. Mais souvenez-vous que j’irai labourer vos fèves, si vous touchez à mes melons.
Dans cet essai de la manière d’inculquer aux enfants les notions primitives, on voit comment l’idée de la propriété remonte naturellement au droit du premier occupant par le travail. Cela est clair, net, simple, et toujours à la portée de l’enfant. De là jusqu’au droit de propriété et aux échanges, il n’y a plus qu’un pas, après lequel il faut s’arrêter tout court. »
Les sciences humaines d'aujourd'hui ont aussi des choses à nous dire sur la manière dont l'individu s'investit dans des choses plus ou moins abstraites ou concrètes, extérieures à lui, et a besoin d'elles pour son bien être. Par exemple, la psychanalyse parle de la libido de l'individu, et de la manière dont il investit sa libido dans des choses, humaines, individuelles ou pluri-individuelles, inanimées, spatiales, extérieures à lui, qui se présentent à lui. La psychologie sociale parle aussi de la manière dont un individu s'approprie des choses inanimées, spatiales, s'investit dans des choses inanimées, spatiales, humaines, individuelles ou pluri-individuelles. La sociologie parle parfois du territoire d'un individu, en entendant par là les zones de l'espace qu'il considère comme son intimité, les choses inanimées nécessaires à son bien être.(1)
Des frontières individuelles aux frontières nationales.
L'action par laquelle des individus fusionnent leurs frontières individuelles en une frontière nationale, correspond alors assez bien au processus que décrivait Aristote, dans ses Politiques (livre I, chapitre 1), par lequel les familles se réunissent en villages, puis les villages en une Cité ; il dit aussi (livre III, chapitre 9) que pour lui, les membres d'une Cité devraient être investis dans un bien commun, le bien de tous les membres de la Cité. Pour lui, cela revient à dire que les membres de la Cité devraient s'investir dans une relation d'amitié entre eux.
L'action par laquelle les individus fusionnent leurs frontières individuelles en une frontière nationale, correspond aussi assez bien à ce que Rousseau, dans son Contrat social (livre I, chapitre 6), appelle le contrat social :
« Les clauses de ce contrat [...] se réduisent toutes à une seule - savoir, l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.
[...] Chacun se donnant à tous ne se donne à personne ; et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a.
Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants : "Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout."
A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif, composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. »
Pour Rousseau, ce qu'on perd en s'engageant dans le contrat social est : la liberté sauvage, qui n'a aucune loi à respecter ; la propriété sauvage, qui n'a aucune loi à respecter, propriété de ce qu'on parvient à créer ou à prendre et à ne pas se faire prendre ; l'absence d'obligation par rapport à la société. Et ce qu'on gagne est : la liberté civile, protégée par la société mais aussi contrainte par la loi ; la propriété civile, protégée par la société mais aussi contrainte par la loi ; et l'absence de soumission à un individu particulier, comme celle de l'esclave à son maitre, celle du faible au fort, ou celle d'un membre du clan à son patriarche.
Pour être précis, il faut dire que les individus ne fusionnent pas totalement leurs frontières individuelles originelles en une frontière nationale. C'est comme si leurs frontières individuelles originelles avaient de nombreuses couches. Ils vont conserver certaines couches de ces frontières individuelles, c'est à dire continuer à considérer qu'ils ont aussi un bien qui leur est propre, et des propriétés individuelles. Mais ils vont agrandir d'autres couches de ces frontières individuelles originelles, pour qu'elles englobent les autres membres de leur société, et fusionner ces frontières individuelles ainsi agrandies en une frontière nationale : ils vont partager avec les autres membres de leur société le territoire, l'Etat et l'espace public de leur société, qui sera leur propriété collective ; et ce sera une bonne chose s'ils s'investissent dans un bien commun à eux tous, le servent, l'aiment.
Fusionner toutes les nations en une seule est quasi-impossible.
La frontière nationale, qui s'obtient quand les individus agrandissent leurs frontières individuelles, pour qu'elles englobent d'autres qu'eux, est donc un peu comme ces colliers de fleurs que parait-il, les habitants de certaines îles du Pacifique passent autour du cou de leurs invités pour les accueillir. Mais alors, demanderont les plus babas cools, pourquoi ne pas agrandir aussi toutes les frontières nationales pour qu'elles englobent le monde entier, et les fusionner ?
La première raison de ne pas fusionner toutes les nations en une seule est que cela est aujourd'hui quasiment impossible, que l'on observe les sociétés nationales sous leur aspect économique, sociétal ou politique.
Du point de vue économique, les nations ont d'énormes différences de développement. Ainsi, pour les habitants d'une nation développée, fusionner leur nation avec une nation vraiment moins développée revient à perdre leur niveau de vie. Les habitants de la nation développée ne pourront accepter que leur propriété collective nationale devienne aussi celle des habitants de la nation moins développée. Il ne peut dès lors pas y avoir non plus d'investissement de la part des habitants de la nation développée, dans un bien commun avec ceux de la nation moins développée, qui serait aussi fort que leur propre bien commun : parce que l'investissement dans le bien commun suppose de réfléchir en ne cherchant à favoriser personne, donc si ce bien commun est fort, cela suppose d'être d'accord pour partager un même niveau de vie global.
Du point de vue sociétal, on sait que, quand des populations n'ont pas les mêmes ascendances, les mêmes codes de politesse et modes de sociabilité, le même patrimoine culturel, ne parlent pas la même langue, n'ont pas l'habitude de vivre voisins, d'appartenir à de mêmes groupes d'amis, de se marier entre eux : il sera alors très difficile et lent pour elles de s'accepter dans leurs intimités, au point de pouvoir se construire toutes ces choses en commun (qui sont des critères scientifiques majeurs d'unité d'une société). Ainsi, il ne suffit pas de fusionner les frontières nationales : encore faut-il qu'ensuite que les gens se mélangent, s'accueillent dans les intimités les uns des autres. Si cela n'a pas lieu, alors ces populations risquent fort de devenir hostiles et violentes les unes envers les autres, et elles n'auront pas non plus vraiment de bien commun. La fusion des frontières nationales aura en fait l'effet inverse de l'effet recherché. Car les biens communs nationaux disparaissent évidemment avec les nations auxquelles ils sont attachés. Les unités nationales, du point de vue groupes d'amis, mariages, voisinages, disparaissent elles aussi, et le climat de paix national disparaît. Se forment alors à nouveau des frontières individuelles beaucoup plus marquées au sein des sociétés qu'on a cherché à fusionner. Au lieu de réunir des gens, on aura en réalité désuni des gens.
Du point de vue politique enfin, il est évident que des sociétés qui n'ont pas prises ensemble, d'unité d'un point de vue sociétal ni d'homogénéité économique ne peuvent participer à un même espace de débat démocratique, faute d'un bien commun à elles toutes, et de la possibilité de se comprendre voir même simplement de communiquer. A nouveau, on perd des espaces démocratiques nationaux, sans qu'ils soient remplacés par un espace démocratique plus vaste.
Fusionner toutes les nations en une seule ne sert à rien.
La deuxième raison de ne pas fusionner toutes les nations en une seule est tout simplement que cela ne sert à rien.
D'abord, parce que le fait pour un individu d'être engagé dans une relation éthique forte avec les membres de sa nation, ne lui empêche pas d'être aussi engagé dans une autre relation éthique, avec tous les habitants de la Terre : l'amour de soi ou de ce qui se rapporte plus étroitement à soi n'étant pas un désamour des autres ou de ce qui se rapporte moins étroitement à soi. Même non fusionnées, les nations peuvent quand même se sentir collectivement responsables de la planète Terre, la considérer comme leur propriété collective. Elles peuvent de plus se sentir investies dans un bien commun à l'humanité, même si ce bien commun n'est pas aussi fort que le bien commun national.
Ensuite, à bien y réfléchir, cela n'a pas beaucoup de sens de dire que les habitants d'une nation et ceux d'une autre nation, feraient un acte d'amour les uns pour les autres en fusionnant leurs nations.
Car si aimer un être veut dire vouloir son bonheur, alors il est clair qu'un individu n'est pas plus heureux si la nation à laquelle il appartient est une partie du monde, ou si elle est le monde entier. L'important pour son bonheur est simplement d'appartenir à une nation, quelle que soit sa taille. Vouloir la fusion de sa nation avec les autres, c'est même vouloir des choses qui feront le malheur des habitants de ces autres nations, pour les raisons pour lesquelles on a vu qu'il est quasi-impossible de fusionner les nations. La tentative ratée de fusionner les nations européennes illustre aujourd'hui très tristement cela.
Et si aimer un être veut dire apprécier sa compagnie, il faut se rendre compte que : premièrement, quand deux nations fusionnent, si cette fusion réussit, alors chacune des deux va perdre une bonne part de sa singularité par rapport à l'autre, il sera donc impossible de jouir encore de sa compagnie comme avant ; et deuxièmement, dans toute notre vie, nous nous lions fortement avec quelques personnes voire quelques dizaines de personnes, et nous ne jouirons déjà donc pas de la compagnie de tous les membres de notre nation : donc encore moins de tous les habitants du monde ; habitants du monde que par ailleurs nous pouvons très bien rencontrer en voyageant, même s'ils ne font pas partie de la même nation.
Deux manières de croire que la frontière nationale est un rejet de l'autre.
Il y a donc deux manières de croire que la frontière nationale est un rejet de l'autre.
Il y a la manière de celui qui ne s'intéresse qu'au rejet de l'autre, mais pas au fait de partager un bien commun et un espace public avec l'autre. La seule chose qui l'intéresse dans la frontière nationale, et qu'il voit donc en elle, est qu'elle délimite une nation, la sépare des autres. On reconnaît là la manière du fascisme, qui ne sait s'aimer lui-même que contre les autres.
Et il y a la manière de celui qui ne voit dans la frontière nationale que le fait qu'elle délimité la nation, la sépare des autres, sans voir qu'elle est en même temps ce qui réunit les membres de la nation. Peu importe pour lui que la frontière nationale soit une condition de son bonheur, il ne connait pas les conditions de son bonheur ; peu importe qu'elle l'engage dans un bien commun et une propriété collective avec les membres de sa nation : parce qu'il croit que la seule chose à laquelle il faut s'intéresser est ce qui se rapporte le moins possible à lui-même. On reconnaît là la manière de l'anti-fascisme naïf, qui ne sait aimer les autres que contre lui-même.
Fascisme et anti-fascisme naïf sont opposés sur la question de savoir si les frontières nationales doivent être détruites ou non. Mais ils sont unis dans l'incapacité de voir dans la frontière nationale autre chose que quelque chose qui sépare, mais aussi quelque chose qui unit.
Notes.
1. Livres de sciences humaines sur la manière dont l'individu s'investit dans des choses extérieures à lui : Lagache, La psychanalyse ; (Tchou), Les stades de la libido : De l'enfant à l'adulte ; Eiguer, L'inconscient de la maison ; Kaës, Les théories psychanalytiques du groupe ; Racine, Le deuil : Une blessure relationnelle ; Fischer, Psychologie sociale de l'environnement ; Marc, Psychologie de l'identité : Soi et le groupe ; Serfaty-Garzon, Chez soi : Les territoires de l'intimité ; Picard, Politesse, savoir-vivre et relations sociales
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