Disneyland Paris, loin d’être le pays des merveilles pour ses salariés
Enquête Acturevue. Loin d'être anecdotique, l'histoire de Gérard Ravenet révèle un monde du travail, cruel, négligé et sans scrupule. Cet ancien cascadeur, qui a travaillé près de cinq ans pour le pays de Mickey, en veut à la firme et lui reproche nombre de choses : harcèlement moral et sexuel, licenciement abusif, conditions de sécurité proches de zéro.
Deux tribunaux ont déjà reconnu que cet ex-salarié Disney avait été victime d'humiliation sexuelle. Mais, Gérard Ravenet se bat toujours pour qu'on lui reconnaisse son licenciement abusif et son handicap. Retour sur le parcours de ce salarié, mis en sursis par Disneyland Paris.
Depuis 2002, Gérard était chef d'équipe des cascadeurs de Disney. Son job ? Organiser et encadrer les grands shows pour que les 12 000 spectateurs quotidiens repartent des étoiles plein les yeux. Mais derrière ce joli décor, les choses vont très vite se fissurer.
La justice reconnaît le harcèlement moral et sexuel
En 2006, Gérard Ravenet dénonce le comportement de sa supérieure et se plaint d'harcèlement moral et sexuel. Selon le cascadeur (et comme l'indiquent les attestations judiciaires de certains de ses collègues- voir ci-contre), sa manager l'aurait d'abord invité un week-end complet en dehors de ses heures de travail, au Parc du Puy-du-Fou, pour s'inspirer de la concurrence. Malgré ses refus récurrents, la supérieure aurait insisté régulièrement pour inviter Gérard à « boire un verre chez elle », ou pour « passer Noël ». Il ne prête pas véritablement attention à ce comportement, jusqu'à ce que, comme le raconte l'ex-employé de Disney, les choses dérapent en août 2006 :
« Ce jour là, je suis arrivé sur mon lieu de travail en découvrant près de 80 photos de moi torse nu, dispersées un peu partout. C'était une photo que quelqu'un était allé chercher sur un blog de moto car je suis passionné par ce sport. J'ai cru au début à une mauvaise blague, alors je n'ai rien fait. Puis les jours ont passé, les photos sont devenues de plus en plus nombreuses à circuler dans le service et portaient des inscriptions dégradantes : des propos homophobes et des insultes y étaient inscrits, des seringues dessinées au niveau de mes bras, etc.
J'ai su que ma manager était derrière tout ça, ou tout du moins qu'elle était complice, lorsque je suis rentré dans son bureau et que j'ai vu affichée au dessus, une photo de moi avec un sexe dessiné sur ma tête. J'ai sollicité plusieurs responsables des ressources humaines qui m'ont dit que c'était à moi de retirer les photos. Une personne de ma hiérarchie l'a finalement fait et j'ai porté plainte peu de temps après. »
Ses accusations seront d'ailleurs confirmées deux fois par la justice (voir ci-contre) :
« Le harcèlement sexuel et moral sont établis en l'absence de réaction de la responsable hiérarchique, qui aurait dû ne pas participer aux faits et faire procéder plus rapidement au retrait desdites photos portant des annotations de mauvais goût et blessantes pour l'intéressé et en rechercher les auteurs… »
Contactée, la direction de la communication de Disney déclare ne pas vouloir commenter une affaire qui est en cours de jugement. Un des responsables de la communication tient tout de même à soulever certains points :
« Je tiens à rappeler qu'une plainte pénale a été déposée par Gérard Ravenet à l'encontre de sa supérieure et qu'elle a été classée sans suite le 12 juillet 2007. Cela signifie donc que Disney a été condamnée en tant que personne morale pour harcèlement, mais qu'aucun élément ne permettait de condamner la supérieure hiérarchique de monsieur Ravenet. »
Et si la Cour de Cassation confirmait les jugements précédents, la supérieure en question resterait-elle dans l'entreprise ? Le responsable de la communication reste très prudent et assure que la question se posera en temps voulu :
« Dans le passé l'entreprise a eu coeur de prendre les meilleurs décisions, la question se posera lorsque la Cour aura tranché. »
Du harcèlement au licenciement
En décembre 2006, Gérard reçoit une lettre de licenciement pour cause réelle et sérieuse signée de la main de sa supérieure avec qui il a refusé de « passer Noël ».
Elle l'accuse d'avoir eu « le 20 novembre 2006 un comportement inadmissible et fautif puisque, à la suite du refus de deux membres de son équipe d'échanger un jour de repos avec lui, il les a insultés, il a dénigré son emploi, puis de rage, il est parti en donnant un coup de poing dans le bureau (…) ».
Gérard récuse en parti les faits et sera d'ailleurs soutenu encore une fois par la justice qui a établi que la partie adverse a fourni des témoignages inexacts :
« Il est reproché à Monsieur T… (Témoin pour Disney) d'avoir attesté faussement d'avoir entendu Monsieur Ravenet ouvrir, refermer et donner un coup de poing dans son casier, puis d'avoir donné un coup de pied dans la porte en partant… »
Un employé avouera même plus tard avoir menti lors de son témoignage après avoir reçu des pressions de l'employeur Disney et expliquera les raisons de son mensonge :
« Atteste en qualité de cascadeur avoir rédigé une attestation (…) au Chef d'équipe : à Moteurs action Disneyland contre Monsieur Gérard Ravenet .(…) Je me suis vu dans l'obligation d'accepter étant donné que Monsieur X est mon supérieur hiérarchique et que je ne voulais pas de problèmes à mon travail. »
Gérard est catégorique :
« J'ai la certitude que ma supérieure a voulu me faire payer tous mes refus. »
Disney et le salarié, c'est « la baleine face au petit poisson »
L'ex-salarié, en procédure contre Disney depuis 2006 est exaspéré de la lenteur et des retours en arrière de la justice. L'entreprise a selon Gérard Ravenet, essayé d'éviter un procès, mais il déclare avoir refusé l'argent que lui proposait la firme :
« Disney, lors de la période de conciliation devant les Prud'hommes et avant que je poursuive le procès, m'a proposé 15 000 euros pour que je ne les attaque pas. J'ai refusé qu'ils m'achètent en leur disant qu'il manquait un zéro. »
Confus, le responsable de la communication assure que cet accord n'a jamais été proposé :
« Cela aurait pu être fait en amont, mais après m'être renseigné avec l'équipe juridique, je vous assure que c'est faux, et cela aurait de toute façon été couché par écrit. »
En première instance de 2008, le Conseil des Prud'hommes de Meaux avait en effet, condamné la société Eurodisney à payer plus de 100 000 eurosd'amende à Monsieur Ravenet :
- 57 900 euros à titre d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié au harcèlement moral et sexuel
Sauf que le 15 juin 2010, la cour d'appel de Paris décide d'infirmer partiellement le premier jugement et déclare que le licenciement n'est pas abusif. Elle diminue également la condamnation de Disney qui est condamné à payer 15 000 euros en tout et pour tout contre le préjudice moral et sexuel de Gérard.
Il s'est tout de même pourvu en cassation pour que la justice reconsidère son licenciement :
« Il est invraisemblable que l'on reconnaisse le harcèlement moral et sexuel mais que l'on estime que mon licenciement n'est pas abusif. »
Pour l'ancien cascadeur, on est exactement dans la stratégie de Disney, avec deux personnages, « la baleine face au petit poisson » :
« C'est ce que cherche Disney et d'ailleurs pas qu'avec moi mais avec beaucoup d'autres salariés qu'ils licencient sans raison. Ils cherchent l'épuisement moral, physique et financier. Aujourd'hui je me bats pour ne pas perdre le combat, j'emprunte pour pouvoir payer les frais de justice, et je passe mes journées chez le médecin, chez des experts, j'ai rendez-vous avec des syndicats… pour qu'un jour je puisse faire valoir mes droits.
Le problème c'est que la plupart des employés qui se font licencier ne s'obstinent pas et passent vite à autre chose. Ils savent qu'ils n'ont pas les moyens financiers et que le temps passé contre Disney, c'est du temps perdu pour trouver un autre emploi. »
Des conditions de sécurité « inadaptées »
La gestion contestable du personnel n'est pas le seul reproche de Gérard à l'encontre de Disney.
Les cascadeurs sont exposés à des dangers lors de chaque show : courses de voiture, explosions, hommes qui prennent feu, représentent à chaque fois une prise de risque pour les employés. Sauf que selon certains éléments, il apparaît clairement que Disney n'était parfois pas très attentif à la sécurité de ses salariés.
Le 21 septembre 2006, Gérard Ravenet encadre le spectacle de la torche humaine : un homme en combinaison est entièrement enflammé pendant quelques secondes jusqu'à ce que Gérard et son équipe le couche au sol pour l'éteindre. Mais ce jour là, rien ne se passe comme prévu. Un retour de flamme brûle les lunettes de soleil de Gérard qui depuis a sa cornée altérée.
Le bilan médical est sans appel pour l'ancien salarié :
« Il y a altération définitive du film lacrymal due à l'exposition de chaleur. »
Depuis, Gérard Ravenet ne peut pas s'exposer au soleil, doit protéger ses yeux du vent et doit appliquer un gel chaque jour pour éviter que son état empire.
L'absence de protection auditive lors des spectacles a aussi provoqué de sérieux dégâts puisque Gérard Ravenet a perdu 50 décibels depuis son entrée chez Disney, qu'il doit corriger par le port d'un appareil. Il souffre également d'un traumatisme du genou avec atteinte ligamentaire et d'une sciatique avec hernie discale.
Il considère que tout cela aurait pu être évité si son employeur avait respecté les règles élémentaires de sécurité :
« Nous n'avions pas de lunette de protection malgré notre contact quotidien avec les flammes. Les lunettes que je portais étaient des lunettes personnelles. De plus, nous n'avions pas de casque qui protégeait nos deux oreilles, et nos combinaisons n'étaient pas adaptées aux chocs que l'on subissait. Je ne parle même pas de la pollution qui se dégageait à chaque show et qui m'oblige aujourd'hui à devoir faire des examens pulmonaires. »
D'ailleurs, un rapport médical n'exclue pas le lien entre ses problèmes pulmonaires et "l'exposition répétée à respirer des particules pneumatiques et des fumées nocives pour les bronches".
Comme nous pouvons le constater sur la photo ci-contre, les encadrants cascadeurs ne portaient pas de lunettes de protection.
Gérard espère que son handicap sera reconnu par le tribunal de la sécurité sociale qui doit se prononcer au mois de septembre.
Le responsable de communication met aussi en doute les accusations de l'ancien cascadeur et estime en off, que Disney n'est pas responsable des lésions irréversibles qu'a subit M. Ravenet :
« Monsieur Ravenet a saisit le tribunal de sécurité sociale en février 2010 pour que celui-ci statue sur le lien entre son accident de travail et notre entreprise. Mais pourquoi l'avoir saisit aussi tard pour des faits qui se sont déroulés en 2006 ? »
Et va même jusqu'à mettre en cause monsieur Ravenet :
« Si vous regardez dans le rapport de l'accident du travail, vous verrez par vous même que s'il y a des éléments brûlés de Ravenet, ce sont des éléments que portaient cet employé. »
Le responsable tient à préciser qu'il niera avoir tenu ces propos. Pourtant, si des éléments de monsieur Ravenet ont bien été brûlés, (ses lunettes de soleil), c'est parce que comme le prétend l'ancien cascadeur : « nous n'avions aucune protection, je n'avais donc que des lunettes solaires pour me protéger. »
Enfin, Gérard Ravenet tient à expliquer pourquoi il a saisit le tribunal de sécurité sociale seulement en février 2010 pour des faits remontant à 2006 :
"Mon avocate a demandé devant les prud'homnes et la Cour d'appel, la somme de 100 000 euros pour préjudice médical. L'avocat de Disney a indiqué que ces tribunaux n'avaient pas les compétences requises pour juger ce type de procédure et qu'il fallait que je me retourne vers les instances concernées . Chose faite à ce jour."
L'histoire de ce cascadeur, illustratrice du fonctionnement général de Disney
Les faits dont se dit victime Gérard et qui ont été condamnés par la justice à deux reprises, n'étonnent aucune personne interrogée par Acturevue.
Le bilan social de l'année 2010 à Disney confirme en effet un nombre important d'accidents du travail avec un taux de fréquence de 70,65% (contre 62,97% en 2009) supérieur à celui du Bâtiment et Travaux Publics (50,2%).
Selon un des porte-parole du syndicat Force ouvrière de Disney, certains métiers sont particulièrement exposés (milieu du spectacle, restauration), sans que la direction n'y prête véritablement attention :
« En ce moment il y a un spectacle équestre, et nous savons qu'il y a beaucoup d'accidents. Dans la restauration il y a également énormément de troubles musculaires, mais rien n'est engagé pour limiter ces risques. »
L'inspection du travail en charge du site Eurodisney, contactée à onze reprises par téléphone, n'a toujours pas souhaité répondre à nos questions.
David Perrotin
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