Disparitions d’enfants : état des lieux
La cas médiatisé de la petite Maëlys, 9 ans, disparue le 27 août dernier à l’occasion d’une fête de mariage en Isère, est malheureusement emblématique d’un mal relativement invisible mais assez courant de notre société et qui constitue le cauchemar de tout parent : la disparition d’enfant.
Selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur cités par Libération, 49 347 mineurs auraient été inscrits au Fichier des Personnes recherchées en France en 2016, des chiffres qui seraient en augmentation depuis plusieurs années. Si dans la très grande majorité des cas il s’agissait de fugues (48 156 personnes), 497 cas ont été classés en tant qu’ « enlèvements » ou « détournements », souvent « parentaux », alors que 687 cas relèveraient de « disparitions inquiétantes » comme elles sont dénommées pudiquement. Selon le site 25mai.fr ( du nom de la journée internationales des enfants disparus) qui nous rappelle que la loi définit toute disparition de mineur comme « inquiétante », une disparition le serait « particulièrement » si :
- La personne a moins de 13 ans
- La personne disparue présente un handicap mental ou physique ou manque d’autonomie
- La personne disparue suit un traitement médical ou doit prendre des médicaments
- La personne disparue se trouve peut-être en danger de mort
- La personne disparue se trouve peut-être en compagnie de tiers qui pourraient constituer une menace pour son bien-être ou risque d’être la victime d’un fait délictueux
- L’absence de la personne est en contradiction avec son comportement habituel
Alerte Enlèvement
Le dispositif « Alerte enlèvement » du ministère de l’intérieur, qui n’a pas été déclenché pour Maëlys, et qui est d’ailleurs utilisé rarement (seulement 21 alertes depuis 2006), fait lui aussi l’objet de conditions particulières pour se mettre en route :
« 4 critères de déclenchement :
- Il s’agit d’un enlèvement avéré et non d’une disparition, même inquiétante,
- la victime est mineure,
- la vie ou l’intégrité physique de l’enfant est en danger,
- le procureur dispose d’informations dont la diffusion peut permettre la localisation de l’enfant et/ou de son ravisseur.
Même si les 4 critères sont réunis, le procureur de la République peut décider de ne pas déclencher une Alerte Enlèvement s’il estime que sa diffusion peut mettre en danger la vie de l’enfant.
Chaque fois que cela est possible, l’accord des parents doit être sollicité préalablement au déclenchement du plan Alerte Enlèvement. » (source ministère)
Malgré tout, au vu de ces chiffres annuels importants, on pourrait se demander pourquoi l’alerte est si peu déclenchée. Selon Eric Maillaud, procureur de la république de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)
"L'alerte enlèvement ne doit pas être utilisée trop souvent, sous peine de devenir tellement banale que plus personne n'y porterait attention, et on est toujours plus prudent dans le cadre d'un conflit entre deux adultes qui se disputent au sujet d'un enfant" (source francetvinfo)
Reste à savoir à partir de combien d’alertes franchit-on le seuil de banalité…
Résolution des enquêtes
Selon Libération il y avait près de 12 000 enquêtes en cours pour disparitions d’enfants début janvier 2017 dont on a vu la large proportion de fugues (90%), qui pour dans les deux tiers des cas seraient résolues dans les 3 mois (un tiers dans les 48h). Un commissaire de police déclarait en 2013 que 99 % des fugueurs étaient finalement retrouvés (20 minutes), ce qui paraît important mais laisserait selon nos calculs près de 500 mineurs dans la nature, qui d’après la Fondation pour l’Enfance seraient 9 fois plus sujets aux suicides que les autres, un fugueur sur 8 ferait appel au vol pour survivre, un sur 12 serait sujet à différentes formes d’abus. Pour information, chaque année, plusieurs centaines de corps non-identifiés (majeurs et mineurs) seraient enterrés « sous X ».
Concernant les affaires de disparitions inquiétantes il semble que la quasi totalité des cas soient élucidés en France, la plupart dans les 48 h. Ce qui ne laisserait, selon les sources récoltées, qu’un seul cas réellement problématique (non retrouvé) en moyenne par an, c’est à dire peu, même si déjà trop pour les familles touchées.
Ces statistiques pourraient donc corroborer le relativement faible nombre de personnes officiellement recherchées par les autorités.
Si le site du Ministère de l’intérieur dédié aux avis de recherches, qui centralise les données, est actuellement indisponible, il recensait 137 mineurs en 2015, dont certains comme david, disparu depuis 33 ans.
http://www.avisderecherches.interieur.gouv.fr/
Celui de la Police judiciaire présente actuellement lui 13 mineurs
http://judiciaire.gendarmerie.interieur.gouv.fr/judiciaire/
Quant à interpol, l’agence parle de 35 personnes
Le site de l’association du 25 mai dresse une carte référençant, elle, 37 enfants recherchés
http://www.25mai.fr/les-disparus/carte-des-disparitions-denfants.html
Une question demeure néanmoins, qu’arrive-t-il aux quelques enfants disparus de manière inquiétante et qui ne sont pas retrouvés dans les 48 h ? Combien sont-ils précisément ? Sont-ils retrouvés vivants et si oui comment ont-ils survécu ? Nous avons essayé de contacter 2 associations spécialisées dans la disparition d’enfants pour obtenir des indications mais elles n’ont à l’heure actuelle pas répondu à nos sollicitations.
Alors, quelles sont donc véritablement les causes d’une disparition inquiétante ?
Si dans le cas d’une disparition, la thèse de l’enfant qui se serait perdu par inadvertance, ou immobilisé quelque part parce qu’il se serait blessé ou en raison d’un incident quelconque est probablement envisagée en priorité par les autorités, la piste de l’enlèvement doit aussi être rapidement prise en compte par les enquêteurs.
Une étude britannique (Taken : a study of child abduction in the UK) assez complète de 2013 permet de nous donner des indications assez intéressantes sur les chiffres et les motivations inhérentes à de tels méfaits :
« Les enlèvements par des auteurs non-familiaux sont divers en nature : Boudreaux et al. (2000) cite la recherche de satisfaction sexuelle, le gain financier, la rétribution, le désir de posséder un enfant et le désir de tuer comme les motivations d’abductions non-familiales aux USA. Erikson et Friendship (2002) découvrirent que 82 % des 149 délinquants reconnus coupables d’enlèvements en Angleterre et Pays de Galles entre 1993 et 1995 étaient des ravisseurs non-familiaux. 60% d’entre eux étaient motivés par le sexe.
Finkelhor et al. (2002), rapporte que deux-tiers des victimes d’enlèvements non familiaux aux USA étaient des filles, reflétant la fréquence du motif de l’agression sexuelle. 80% des victimes étaient au dessus de 12 ans, et presque 60% entre 15 et 17 ans. La majorité des victimes étaient enlevées par une personne connue de l’enfant, incluant les amis, les connaissances anciennes, les voisins, les personnes d’autorité, les responsables ou des babysitters. L’auteur était un étranger seulement dans un tiers des cas »
« Gallagher et al. (2008) ont rapporté que presque toutes les victimes de tentatives d’enlèvements ou d’enlèvement réussis ont été approchées par l’auteur à l’extérieur, en présence d’autres personnes, dans la rue, un parc ou un magasin. Presque ¾ étaient avec d’autres enfants ou adultes au moment du délit. Le motif des crimes perpétrés par un étranger, en particulier pour les tentatives d’enlèvements est souvent difficile à déterminer avec certitude. Cependant, une large proportion est suspectée d’être motivée par des raisons sexuelles. (ibid. ; Newiss and Fairbrother, 2004 ; Bourdreaux et al., 1999).
« Enlèvements d’enfants et homicides (aux USA) :
Seulement une petite proportion de tous les enlèvements se finissent par un homicide. Les découvertes de NISMART-2 évoquent 115 enlèvements typiques rapportés par la police en 1997 (cela se compare aux 58 000 victimes d’enlèvements non-familiaux). 40% des victimes d’enlèvements typiques furent tuées (Finkelhor et al., 2002). Hanfland et al. (1997) ont rapporté que les adolescentes (âgées de 13 à 17 ans) étaient plus susceptibles d’être tuées après un enlèvement, suivies par les filles plus jeunes(1- 12 ans), puis les garçons plus jeunes et enfin les garçons adolescents . »
Le rapport précise qu’il n’y a pas de données comparables en Grande Bretagne (apparemment non plus en France à notre connaissance), et que si d’après les rapports de police annuels anglais les homicides d’enfants par un inconnu se comptent sur les doigts de la main, ceux survenant après un enlèvement demeurent non référencés mais restent selon toute vraisemblance infimes.
Qu’en est-il des enlèvements pour exploitation sexuelle ?
Le rapport nous précise que de tels enlèvements( qui ne sont pas toujours perçus comme tels par des victimes souvent vulnérables économiquement, émotionnellement et socialement) peuvent se produire dans le cadre de relations inappropriées, avec des personnes significativement plus âgés, des « petits amis » ou camarades mal intentionnés. Ce petit monde n’hésitant pas à user de coercition, d’intimidation et de violence pour maintenir leurs proies sous influence. Lorsqu’il s’agit de gangs, les services sexuels peuvent être monnayés contre une certaine protection et autres avantages et les rebellions punies parfois par de véritables kidnappings et/ou viols. Il y aurait eu 575 victimes d'exploitation en 2011 en Angleterre.
Les réseaux pédo-criminels
Lorsque le mineur n’est pas retrouvé, la question des trafics d’enfants et des réseaux pédo-criminels peuvent nous traverser l’esprit. Combien d’enfants disparus alimentent les réseaux ? Probablement peu au vu des statistiques et des informations qui nous sont données, en tout cas par le biais des rapts, surtout dans nos pays relativement bien surveillés, mais peut-être plus dans des pays moins contrôlés ou parmi des populations plus vulnérables (pauvreté, guerre, insécurité, absence de papiers ou de recensement,…) même s’ il semble difficile d’obtenir des données assez précises sur le sujet.
Les démantèlements réguliers de réseaux pédophiles mais aussi de plates-formes internet pédo-pornographiques témoignent malgré tout de la présence et de l’étendue bien réelles de ces filières, qui impliquent des dizaines, des centaines voire milliers d’enfants à l’échelle internationale.
A titre d’exemple, en 2013 :
- 386 mineurs furent libérés après le démantèlement d'un réseau pédophile mondial. Trois cent quarante-huit personnes ont été interpellées dans le monde, dont des religieux, des enseignants et des personnels de santé.
- On se souvient du scandale de pédophilie impliquant 1400 enfants sur une période de 16 ans Angleterre alors que les autorités policières étaient au courant.
- Tout comme dans le milieu du football :
- Et on ne parle pas des multiples scandales de pédophile dans l’Eglise catholique...
- Plus récemment, en 2015 : Réseaux pédophiles au Royaume-Uni : plusieurs centaines de milliers de victimes potentielles. Scotland Yard a fait sensation mercredi en révélant l'ampleur de ses enquêtes sur des abus sexuels, qui impliqueraient également des personnalités politiques.
Cette année :
- 7 juillet 2017 : 14 arrestations liées à l’existence d’une plateforme du darknet regroupant 87 000 membres dédiée à des abus sexuels massifs sur mineurs.
On peut d’abord se demander pourquoi ce type d’informations ne fait pas plus souvent les unes des médias et des 20h étant donné l’ampleur et la gravité du phénomène, et dans un second temps, d’où viennent tous ces enfants puisqu’on nous dit qu’en France les disparitions inquiétantes sont quasiment toutes résolues ?
Sont-ils issus des trafics internationaux, de la fugue ou de populations invisibles des radars ? Les enfants sont-ils recrutés dans des familles ou entourages corrompus dont les parents n’hésitent pas à faire de leurs progénitures des esclaves sexuels ? Des mineurs font-ils partie de réseaux sans qu’ils ne puissent le dénoncer ? Suppositions...
Les enfants migrants non surveillés, cible privilégiée ?
Europol nous alertait en tous cas sur les 10 000 enfants migrants récemment disparus des radars sur le territoire européen en l’espace de 2 ans, dont une partie pourrait alimenter le développement d’une « infrastructure criminelle » paneuropéenne sophistiquée tirant partie de la crise migratoire et fonctionnant sur l’esclavage et le commerce du sexe.(source le figaro/europol)
France 24 précisait que « les ONG craignent également que ces mineurs vulnérables alimentent les filières de trafic d’organes. Certains d'entre eux pourraient aussi avoir été recrutés de force pour effectuer des menus larcins ou utilisés comme une main d’œuvre à très bas coût dans les arrières cuisines ou les ateliers clandestins de confection, a constaté l’association Save the children en Italie, où des disparitions d’enfants réfugiés ont également été constatées. »
Des taux de tentatives d'enlèvement élevés dans la population
Si les réseaux criminels (dont la nature et la diversité ont déjà fait l’objet d’articles sur agoravox ou autres, mais aussi de rares livres ou reportages) recruteraient à priori essentiellement parmi les populations vulnérables (milieux défavorisés, sans-papiers, migrants non surveillés…), des sondages effectués auprès des enfants britanniques demeurent néanmoins assez troublants :
Une enquête effectuée auprès d’enfants et de jeunes adultes en Grande Bretagne en 2011 et qui vient étayer le rapport Taken précédemment évoqué, nous donnent ainsi un aperçu d’une menace, qui même si elle ne se traduit pas forcément par une disparition, une agression, ou un homicide, témoigne malgré tout de son ampleur.
Il a ainsi été demandé aux sondés, si durant leur enfance, quelqu’un avait déjà essayé de les kidnapper :
Réponse affirmative pour :
- 0.2 % (1 sur 500) des enfants de moins de 11 ans ;
- Idem pour 1.9 % (1 sur 53) des 11 à 17 ans ;
- et 2.1 % (1 sur 48) des 18 – 24 ans
La moitié des tentatives d’enlèvements étaient faites par des personnes étrangères. L’autre moitié par des membres de la famille, ou des adultes connus non-résidents (voisins, amis de la famille,…) ou d’autres jeunes.
Dans la même veine l’Université de Huddersfield interrogea en 1996/7 un panel de 2 420 enfants âgés de 9 à 16 ans du nord-west de l’Angleterre pour savoir si, quand ils avaient été loin de leur maison, un étranger avait déjà essayé de les emmener avec eux sans leur consentement.
1,7 % répondirent par l’affirmative, 0,2 % déclarèrent que leur agresseur réussirent à les emmener, les ¾ de ces derniers furent victimes d’agression sexuelle.
L’auteur de l’enquête découvrit par ailleurs que 60% des victimes de tentative d’enlèvement ne déclarèrent pas l’incident à la police.
Le péril d'Internet
On pourra rajouter au danger de la rue celui que constitue dorénavant internet dont on a vu qu’il était à l’origine de beaucoup d’arrestations actuellement. Les autorités nous mettent ainsi en garde particulièrement contre l’émergence des phénomènes de live-streaming par le biais du dark-net qui consiste à filmer en direct l’agressions de mineurs moyennant finance, ainsi que les pratiques de sextorsions, ou chantage sexuel à distance sur mineurs qui témoignent des multiples canaux par lesquels les pédophiles peuvent maintenant soulager leurs pulsions de manière anonyme sans avoir à séquestrer nécessairement des enfants.
Certaines associations de défense de l’enfance dispensent à ce titre des conseils afin que les enfants et les adolescents puissent être sensibilisés et protégés :
Que ce soit dans la rue lorsqu’ils sont seuls, ou lorsqu’ils utilisent internet.
On n’oubliera pas que beaucoup de pédophiles pratiquent toujours le tourisme sexuel, tristement devenu à la mode avec la mondialisation et les voyages à destination principalement des pays sud-est asiatiques.
Abus sexuel : l'entourage première menace
En dépit de tout cela, il faut savoir, on l’a évoqué, que les atteintes sexuelles ne viennent pas nécessairement d’inconnus ou de criminels. Une étude réalisée par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, avec le soutien de l'UNICEF France, relatée par le Huffington Post révélait “qu’une femme sur cinq et un homme sur quatorze déclarent avoir déjà subi des violences sexuelles. Dans 81% des cas, les victimes sont des mineurs. Dans 94% des situations, les agresseurs sont des proches. »
Le Conseil de L’Europe précise lui aussi que “les données disponibles suggèrent que près d’un enfant sur cinq en Europe est victime d’une forme de violence sexuelle. Il est estimé dans 70 à 85% des cas que l’agresseur est quelqu’un que l’enfant connait et en qui il a confiance. La violence sexuelle enfantine peut prendre de plusieurs formes : abus sexuels au sein du cercle familial, pornographie enfantine et prostitution, corruption, sollicitations via internet et agressions sexuels par des pairs.”
Liens sites et assos sur les disparitions d’enfants :
Numéro 116 000
"Le CFPE-Enfants Disparus invite tous les média à communiquer largement sur le 116000, numéro européen de téléphone gratuit disponible 7/7j et 24/24h en métropole et dans les DOM pour toutes les disparitions d’enfants : fugue, enlèvement parental, disparition inquiétante."
http://www.116000enfantsdisparus.fr/presentation-du-116-000/partenaires.html
Aide aux Parents d'Enfants Victimes
http://www.apev.org/index.php?op=edito
La Fondation Agir Contre les Disparitions d’Enfants, sous égide de la Fondation pour l’Enfance
http://www.agircontrelesdisparitions.org/
Journée internationale des enfants disparus
Fondation pour la Recherche d’Enfants Disparus, International
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