Le droit à la retraite et le devoir de solidarité entre génération.
L’entrée en situation de retraite est, pour une majorité de travailleurs, la fin d’une carrière professionnelle, un droit du travail et un droit social acquis par les générations précédentes.
Ces droits acquis, le sont-ils également pour les générations prochaines ? Ne risquent-ils pas de « gêner » la solidarité nécessaire entre génération ?
Si certains vont jusqu’à penser que l’entrée en retraite, c’est l’entrée au paradis sur terre, d’autres sont soucieux de savoir avec qui, comment, où, et dans quelles conditions ils vont vivre ces années offertes sans obligation d’emploi. D’autres encore se demanderont comment ils vont réaliser un vieux projet ou gérer leur temps, tout au long des décennies à venir.
Quoiqu’il en soit, la fin de carrière professionnelle est un changement, parfois « brutal » bien que la date soit, le plus souvent, prévue. Cette échéance n’est pas toujours évidente, ni simple.
Les nouvelles générations vivront centenaires et au-delà. Leur retraite durera le tiers ou le quart de leur vie et pourra être plus longue que leur carrière obligée. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les sciences et les techniques, les moyens de déplacement, vont les entraîner dans des changements de vie plus ou moins conséquents. Il est fort probable qu’elles vivront également certaines réalités oscillant entre les grands conforts dans les richesses et les misères dans les pauvretés. Ces nouvelles générations ont également conscience que l’entrée en situation de retraite n’est plus l’entrée en vieillesse.
Ce n’est tout de même pas qu’un changement.
C’est une toute autre époque, un autre siècle.
Cette réflexion fait qu’il nous semble essentiel d’organiser la société afin d’assurer dignement et harmonieusement la vie de nos aînés durant tout le temps de leur vieillesse
[1], en même temps que « l’avenir » possible de nos cadets.
Si nos parents se préoccupaient de faire accéder leurs enfants à une meilleure situation que la leur, aujourd’hui, nous avons, en plus, à nous inquiéter de savoir comment les nôtres vivront leur temps en situation de retraite.
Durant notre carrière professionnelle, nous avons connu, généralement, le plein emploi, et nous sommes entrés en situation de retraite avec l’espoir de vivre vingt, trente ans et plus.
Nos enfants commencent à connaître, durant leur carrière, des temps sans emploi. Ils vont devoir gérer l’augmentation des populations, l’allongement de la durée de la vie, et une toujours, vraisemblable, augmentation de la demande de nécessaires et de superflus, sur cette planète.
Si, contrairement à nous, nos enfants, nos petits-enfants et arrière-petits-enfants, ne sont pas en mesure d’alimenter les caisses de retraite et les divers organismes qui nous aident dans la protection sociale, de maladie, de handicap et de vieillissement, il nous semble que nous avons des raisons d’être inquiets aujourd’hui. Demain il sera déjà trop tard.
C’est pourquoi il nous faut répondre dès maintenant à un certain nombre de questions : sommes-nous dans de bonnes disponibilités ? Avons-nous conscience des enjeux ? Et surtout, pouvons-nous accepter d’être irresponsables en « quittant » la société, même si celle-ci nous classe administrativement en tant qu’« inactifs » ?
Et nous pouvons nous interroger sur les conditions nécessaires à réaliser le maintien de la solidarité nationale, dans une situation où un actif devra, par son travail parfois intermittent, financer trois retraites (trois inactifs).
Cette solidarité sera tellement nécessaire que ces futurs jeunes retraités devront, même si c’est le plus souvent par une gestion difficile, assumer quelques charges pour leurs parents et leurs grands-parents, en même temps que pour leurs enfants, leurs petits-enfants, voire leurs arrière-petits-enfants.
Six générations à vivre ensemble ! Il n’existe pas, et pour cause, d’histoire d’une telle société.
Nos parents n’ont évidemment pas pu nous éduquer pour une telle société.
Mais nous avons le devoir d’informer et d’éduquer nos enfants.
Alors, parce que nos parents ont acquis le droit à la retraite, pouvons-nous, les retraités d’aujourd’hui, laisser « la main qui a nourri » les progrès, « tordre le cou » au déroulement harmonieux de notre fin de vie, puis à la vie en situation de retraite de nos enfants, et de leurs descendants ?
[2]
Ce n’est pas notre état d’esprit aujourd’hui, et nous pensons qu’il faut réagir… et agir.
C’est pourquoi nous sommes soucieux de mener, avec les anciens (pour leur expérience déjà vécue) et les futurs retraités, puisqu’ils sont amenés à vivre ensemble, une nouvelle réflexion sur l’harmonie possible du comment ? où ? à quoi ? avec qui ?…, se préparer pour entreprendre vingt, trente ans et plus en situation de retraite, puis de vieillesse
[3] en autonomie et en indépendance.
Notre travail de réflexion (notre projet de retraite) sur « le rôle et la place possibles du retraité dans la société », nous a ainsi amené à penser que fixer une date « administrative » ne correspond plus aux « capacités
[4] » et aux environnements
[5] du plus grand nombre des femmes et des hommes dans ce nouveau siècle.
L’entrée « obligée » en situation de retraite est parfois difficile à accepter quand la société, dans laquelle on a « investi » quarante années de sa vie, ne nous considère plus comme indispensable à son fonctionnement.
Il est tout aussi difficile de se voir refuser, par cette société, le droit de continuer de participer à part entière à son développement autrement que dans des « fonctions » de bénévoles.
Cette participation, qui laisse à penser que les retraités « s’occupent », peut créer un sentiment de discrimination. Faut-il croire ou accepter que se soient les salariés « actifs » et eux seuls qui travailleraient, alors que les bénévoles « inactifs » devraient se contenter de s’occuper ?
Lorsque l’on sait combien de compétences, de qualités professionnelles, de « savoir-être » et de « savoir-faire », d’initiatives, d’engagements, de temps même sont consacrés chaque jour par les retraités aux milieux associatifs, il est, souvent difficile, d’accepter cette « déconsidération ».
Demain, en vivant entre six générations, le lien social le plus probable demeurant, pour quelques temps encore, le travail, il faut laisser aux retraités le choix de continuer, de développer leurs envies leurs initiatives, leurs besoins de travailler dans un projet de vie.
Ce n’est qu’en demeurant ouverts, formés et informés sur les technologies, les sciences, les techniques tout comme leurs petits-enfants, que les retraités pourront communiquer, comprendre et entreprendre avec eux la société du XXI e siècle.
Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons prétendre transformer les acquis de nos parents en progrès pour nos petits-enfants. Car les retraités ne manquent pas d’imagination, et la réprimer ou ne pas l’accompagner, c’est détruire une grande part de la richesse première de l’humanité : l’échange en réciprocité des « savoir-être » et des « savoir-faire ».
Nous demeurons très attentifs à vos propositions et critiques. Elles construisent notre travail de retraité chercheur autodidacte sur la retraite et le vieillissement.
Pierre Caro
[1] Nous sommes d’autant plus concernés que nous serons les prochains en état de « vieillesse » et, qu’en conséquence, nous « subirons » demain nos décisions politiques d’aujourd’hui.
[2] Pour reprendre une expression lue « La main qui nous nourrit peut être celle qui nous tord le cou » Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible. Nassim Nicholas Taleb. Les belles lettres. Paris 2008
[3] Car nous avons constaté que nous sommes d’abord retraités puis, peut-être, vieilles ou vieux.
[4] Intellectuelle, physique, mentale.
[5] Politiques, économiques, sociaux, culturels…