Drones : guerre robotisée, guerre déshumanisée
En 1139, le IIe concile de Latran, sous la présidence du pape Innocent II prohibait l'usage, dans les guerres entre chrétiens, de l'arc et de l'arbalète, considérés comme des engins trop meurtriers. Cette disposition faisait partie d'une série de mesures prises par l'Église dont la plus connue est la Trêve de Dieu pour atténuer les maux de la guerre qu'elle se reconnaissait impuissante à supprimer. Quelques siècles plus tard, c'est l'ONG américaine Human Rights Watch qui mène campagne pour une interdiction des robots-tueurs.

Utopique sans doute. Mais, comme le disait Théodore Monod l'utopie, ce n'est pas ce qui irréalisable mais, ce qui n'est pas réalisé. La décision du concile de Latran ne fut guère respectée que par la France pendant près d'un demi-siècle mais elle témoigne d'un courant de pensée qui répugnait à recourir à une arme dont la puissance et l'efficacité n'avait d'égale que la traitrise et le silence. Des qualificatifs qui peuvent être appliqués aux drones armés définis comme "des systèmes d'armes qui peuvent sélectionner et attaquer des cibles sans intervention humaine".
Si les Etats-Unis sont aujourd'hui les principaux concernés en raison de leur utilisation de plus en plus importante de ces engins depuis dix ans pour des frappes antiterroristes, la tendance est à la multiplication des commandes dans les arsenaux du monde entier.
Cette demande pousse à encadrer a minima l'usage de ces armes dans les traités et lois de la guerre. Comme l'arbalète en son temps, le drone est accusé de créer une situation asymétrique qui rompt avec le principe selon lequel, le droit de donner la mort doit toujours être lié à un risque. Pas d'être un assassin anonyme devant un écran parfois à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations, bien à l'abri dans un bunker.
Banaliser cette méthode létale, reviendrait à légitimer des pratiques aujourd'hui moralement condamnées telles que les attentats terroristes et les mines anti-personnel non destinées à tuer mais à blesser gravement de façon à frapper psychologiquement et à imposer une prise en charge sanitaire lourde.
Le débat éthique autour des drones n'épargne pas l'armée américaine. Un pilote de drone qui ne risque pas sa vie est-il un vrai combattant ? Ce n'est pas le sentiment des associations d'anciens combattants qui ont fait plier le Pentagone qui voulait décorer les plus méritants de ces nouveaux soldats du XXIéme siécle.
L'autre principal reproche formulé à l'encontre des drones, ce sont les bavures soit en raison d'erreurs de cible ou plus fréquent, d'effets collatéraux indésirables, totalement contre-productifs pour les populations civiles.
Signe de l'affaiblissement moral des Etats-Unis, Barack Obama, pourtant distingué par le prix Nobel de la paix en décembre 2009 a déjà recouru six fois plus souvent pendant son seul premier mandat que son prédécesseur George Bush pendant les deux siens dans le cadre de la lutte menée par la CIA contre les "ennemis de l'Amérique", n'hésitant pas à autoriser l'élimination, sans jugement, de tuer des citoyens américains à l'étranger. Une position ambigüe qui amène certains observateurs à se demander si l'Amérique ne serait pas à la croisée des chemins.
On peut même se demander s'il ne s'agit pas là d'une victoire idéologique des djihadistes qui ont, avec une sorte de cheval de Troie, réussi à enfoncer un coin dans idéaux et principes politiques qui fondent les démocraties. Or, c'est bien au nom de ces valeurs que les démocraties sont en guerre contre les organisations terroristes.
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