Du RMI au RSA (ou du droit de vivre à l’autorisation de vivre)
Il me semble, mais peut-être fais-je fausse route, que le revenu minimum d’insertion (RMI) était une allocation destinée à permettre aux plus démunis, ceux que l’organisation libérale du monde laisse sur le bord de la route, d’avoir quelques francs à l’époque, quelques euros aujourd’hui, pour subvenir aux besoins de première nécessité tels se loger, se nourrir, se vêtir. Etant entendu que cette allocation n’a jamais permis à quiconque d’être autonome et que sans les associations caritatives, les bénéficiaires du RMI hier, RSA aujourd’hui, seraient peut-être tous les heureux propriétaires d’un carton sur une avenue ou sous un pont quelconque. Cette allocation se couplait d’une démarche d’accompagnement du bénéficiaire, le considérant alors comme un exclu par accident, une victime du système.
Mais peu à peu, le libéralisme se faisant de plus en plus sauvage, instaurant une concurrence de plus en plus acharnée entre les membres de la société, les bénéficiaires de ces minimas sont apparus comme des entités parasitaires. Ils n’étaient plus vraiment victimes du système, mais assistés passifs de ce même système qui avait la bonté d’apporter son secours à des individus qui n’étaient finalement pas assez méritant pour s’en prévaloir. C’est ainsi que le revenu minimum d’insertion est devenu revenu de solidarité active. Ça change quoi me direz-vous ? Ca change qu’on a fait du bénéficiaire de cette allocation un redevable de la société. Certes on continue à l’accompagner, mais davantage pour le fliquer que pour aider son retour vers l’emploi.
Hier on admettait qu’une personne privée involontairement de moyens de subsistances ait droit à un revenu de secours afin de vivre, ou plutôt survivre car qui peut prétendre qu’on vit avec 467 euros/mois (411 euros quand on est hébergé) ? Le RMI était donc une sorte de consécration du droit qu’a tout être humain de vivre. Aujourd’hui on énonce que le bénéficiaire du RSA est une charge pour la société, et qu’à ce titre là il doit démontrer le bien-fondé du secours qu’il reçoit. D’ailleurs certains ne suggèrent-ils pas qu’il serait temps de demander aux allocataires du RSA quelques heures de travail hebdomadaire pour justifier de leur utilité sociale. Le mot est lancé… « utilité sociale » ! Ces individus, qui n’ont pas d’emploi salarié ou d’emploi indépendant rémunérateur, n’ont pas d’utilité sociale. Il faut donc leur en trouver une et c’est en donnant leur force de travail quelques heures par semaine qu’ils feront la preuve de cette « utilité sociale ». Le RSA vient consacrer l’autorisation pour ces êtres humains de vivre.
J’en entends déjà qui me diront « oui, mais parmi ces gens là il en est qui se complaisent dans leur situation, qui vivent de la solidarité nationale » ; ces fameux fraudeurs dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années, et plus encore ces derniers mois à l’approche de l’échéance présidentielle. Il faut bien fédérer les esprits angoissés et surchauffés par la crise autour d’un coupable désigné. D’ailleurs ce coupable varie en fonction de l’humeur du jour. Un coup ce sont les étrangers, un coup les chômeurs et RSAistes. On a même récemment allongé la liste des coupables en ajoutant les salariés qui ont la maladie et surtout l’arrêt de travail un peu trop fréquent. Je ne m’étendrai pas en démonstrations diverses et variées sur le caractère fallacieux de l’argument relatif à la fraude sociale ; d’autres que moi le font parfaitement.
Ce qui m’intéresse de mettre en exergue ici, c’est, d’une part le mépris avec lequel on traite la vie humaine et d’autre part, la manière tout à fait illusoire avec laquelle on pense remédier aux problèmes de notre société. Bien évidemment, ce n’est pas le temps d’un article qui me permettra de développer ces deux aspects, puisqu’il faudrait sans doute leur consacrer à chacun un ouvrage entier. Je vais donc simplement tenter de mettre en lumière quelques points clés.
Demander au bénéficiaire du RSA de justifier de son utilité sociale c’est prétendre que l’existence humaine n’est légitime que s’il est possible de mesurer, calculer, évaluer ce qu’elle (r)apporte à la société. Nous sommes entrés dans l’ère de la marchandisation il y a longtemps déjà. Mais cette ère là atteint son apogée quand elle exige de la vie humaine qu’elle justifie de sa raison d’être. Bien sûr la vie en société exige de nous que nous participions tous à sa réalisation. Mais si le bénéficiaire du RSA est entravé dans cette tâche c’est bien parce la société elle-même n’est pas capable de lui faire une place. Et cela m’amène au deuxième point.
Dans un monde où l’emploi est destiné à péricliter de manière fatale pour bien des raisons - parce que les ressources de la planète ne sont pas illimitées, parce que le chômage de masse est une nécessité impérieuse pour une société capitaliste qui veut continuer son expansion et l’enrichissement d’une minorité, parce que les gains de productivité nous ont fait choisir la voie de la consommation outrancière (dans le Nord pendant qu’au Sud tant d’être humains n’ont même pas le minimum vital) plutôt que celle de la diminution du temps de travail, parce que le travail n’est pas inéluctablement l’emploi créateur de richesses commercialisables (il faudra peut-être nous entendre sur ce qu’il est bon de soumettre à la loi du marché et ce qu’il convient d’arracher à cette fameuse loi. Peut-être même faudra-t-il nous entendre sur l’opportunité de la loi du marché), mais qu’il est aussi toutes les activités qui font la vie d’une société humaine et qui lui sont nécessaires (éducation, santé, prise en charge de la vieillesse, du handicape, culture, énergie, transports, agriculture) - culpabiliser les bénéficiaires des minimas sociaux et les humilier en leur demandant de justifier de leur utilité sociale par quelques heures de travail hebdomadaires, en plus d’être une infamie, est une hérésie.
Emma.
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