Ecoles de commerce : classements, mode d’emploi
Un des marronniers de la presse magazine française (L’Express, Challenges...- voir 1, 2 et 3) est celui du classement des grandes écoles de commerce ; récemment on a même vu Le Figaro lancer le sien. Parallèlement, on a vu apparaître des écoles françaises au sein de classements internationaux (Financial Times, Wall Street Journal...) Tout cela est parfois difficile à comprendre et il est complexe de savoir quel programme est classé et sur quels critères. Essayons d’y voir plus clair !
Note : par souci de clarté dans cet article Grande Ecole désignera l’institution et « Programme Grande Ecole » désignera le cursus.
L’Hexagone
Les classements (1, 2 et 3) des journaux français sont relatifs aux Programmes Grandes Ecoles, parfois identifiés comme les formations des Ecoles Supérieures de Commerce (ESC) : pour accéder à ces programmes, il faut effectuer deux années d’études en classe préparatoire commerciale (donc après bac) et passer ensuite un concours. La scolarité dans les grandes écoles de commerce dure de 3 à 4 ans - en fonction notamment de la durée des stages. A l’issue de la scolarité un diplôme visé par le ministère de l’Education nationale au niveau Master (Bac +5) est obtenu.
Depuis près de trente ans les dix premières places des classements des écoles aux sont quasiment immuables : HEC, puis l’ESSEC, puis l’ESCP-EAP, l’EM Lyon, l’EDHEC... Concrètement si chaque média établit son classement sur des critères présentés comme objectifs* (internationalisation, relations avec les entreprises, salaire de sortie, moyens humains et financiers...) la variable structurante de ces classements est le comportement des étudiants en classe préparatoire. En effet les "meilleurs élèves" choisissent d’abord HEC, puis l’ESSEC, puis l’ESCP-EAP et ainsi de suite. Concrètement un étudiant de classe préparatoire admis à HEC et AUSSI à l’ESSEC ira à HEC (à peine une douzaine d’étudiants font le choix inverse tous les ans), un étudiant admis à l’ESSEC et AUSSI à l’ESCP-EAP ira à l’ESSEC (de la même façon quelques étudiants font le choix inverse tous les ans), etc. Dès lors si le cursus au sein des écoles peut être assez différent - rôle de l’apprentissage, durée de l’expérience professionnelle, campus internationaux... - c’est ce choix initial des étudiants qui n’a pas varié depuis des décennies, qui est prépondérant pour établir ces classements même si cela n’est pas explicité dans les enquêtes journalistiques.
Ici, on peut parler d’un conservatisme qui s’auto-alimente (les meilleurs allant où les meilleurs allaient avant eux... avec des effets de réseaux cumulatifs, une fois les étudiants diplômés). Sauf à s’affranchir de ce prisme d’évaluation - où vont les étudiants des classes préparatoires ? - ou à attendre l’effondrement d’une des écoles de tête on verra peu de changements dans nos classements hexagonaux.
A l’international : le sésame MBA
En matière de palmarès internationaux la confusion est de mise car les programmes évalués ne sont pas toujours ceux auxquels nous sommes habitués dans la presse française ; tout d’abord il faut savoir que la norme internationale en matière de formation à la gestion, conforme au modèle anglo-saxon, est celle du MBA (Master in Business Administration).
Un MBA est un diplôme obtenu au sein d’une « graduate business school » - pour simplifier le département gestion d’une université ou une institution d’enseignement spécialisée. L’admission se fait après sélection, notamment sur la base de tests d’anglais (TOEFL) et de logique (GMAT), la scolarité dure de 12 à 18 mois, et en général les étudiants ont une expérience professionnelle de 5 à 7 ans. Le parcours classique d’un étudiant de MBA est donc le suivant : il va obtenir une licence ou l’équivalent - quel que soit son domaine de spécialisation -, travailler quelques années en entreprise, puis postuler dans une « business school » pour accélérer sa carrière. Le MBA est donc avant tout destiné aux cadres. C’est pourquoi ceux-ci ont la possibilité de concilier études et emploi, au sein de certains cursus MBA aménagés dits « part-time ». On notera enfin que ces MBA sont très chers : plusieurs dizaines de milliers d’euros pour un peu plus d’un an de cours (dans le cas de Harvard le coût estimé pour 9 mois est de 73 300 dollars).
Il faut savoir qu’il existe des centaines de MBA et que le diplôme de la business school de Stanford, de Harvard ou de l’INSEAD, pour prendre un exemple européen, n’a pas grand-chose à voir en termes de prestige, de perspective de carrière ou de salaire, avec celui d’une obscure université de l’Arizona ou du Nebraska. On trouve donc de tout en matière de MBA ; contrairement à notre diplôme de grande école visé par l’Etat, qui lui confère donc une légitimité quelle que soit l’école, un MBA ne vaut que par la notoriété de l’institution qui le délivre. A ce prix, il faut faire le bon choix !
Ici le lecteur attentif aura donc compris que les Programmes Grandes Ecoles ne sont donc pas a priori des MBA. ; ainsi lorsque HEC ou l’EM Lyon, comme la quasi-totalité des écoles françaises, apparaissent dans des classements de MBA ce n’est pas avec le Programme Grande Ecole, mais avec des cursus ad hoc qui répondent aux critères évoqués ci-dessus.
Dans la famille MBA, on peut aussi mentionner les « Executive MBA » ; ils se distinguent des MBA traditionnels en ciblant une population plus âgée, par conséquent avec des niveaux de responsabilité plus élevés et aspirant clairement à des fonctions de direction. Logiquement, ils sont le plus souvent proposés avec des horaires aménagés. Certains Executive MBA très haut de gamme peuvent coûter près de 100 000 euros pour à peine 18 mois de cours et ne concerner que quelques élèves par an !
Pour s’y retrouver dans cette jungle certains journaux anglo-saxons ont fait du créneau des classements* des MBA une marque de fabrique (Financial Times, Business Week, Wall Street Journal..) ; ils font et défont les réputations dans ce domaine même si les "rankings" connaissent une certaine stabilité pour les institutions de tête. « Business » oblige, le salaire de sortie et/ou la progression en termes de salaire après le MBA sont souvent les critères de classement les plus importants aux côtés d’attributs plus « académiques » comme la formation des professeurs ou la qualité de la recherche. Ce système des classements a généré des effets pervers puisque certaines écoles ont créé des programmes de formation ultra-ciblés dont la finalité paraît essentiellement d’être (bien) classé en fonction des critères de ces journaux !
Ca classe !
Pendant très longtemps les cursus grandes écoles de commerce - obéissant à un modèle franco-français - n’apparaissaient donc pas dans les classements internationaux des business schools car ils ne correspondaient pas aux normes habituelles, bien que la qualité des formations en question ne fût pas en question.
Ici, deux changements majeurs sont intervenus : tout d’abord les grandes écoles françaises ont obtenu des accréditations internationales - notamment auprès de l’AACSB, l’Association to Advanced Collegiate Business Scools - pour se faire identifier comme « Business School » et ont créé des programmes MBA classiques au sein de leurs institutions. De facto, elles pouvaient dès lors apparaître dans certains "rankings". Ensuite, la réforme LMD pour Licence/Master/Doctorat au niveau européen a permis aux écoles françaises d’établir plus facilement des comparaisons par rapport à d’autres diplômes délivrés en Europe. En effet on a vu apparaître le vocable Master in Management (MIM) - ou MSc in Management - désignant des cursus en gestion délivrant un diplôme à Bac + 5. La majorité des écoles, à l’exception notable de l’ESSEC, ont alors décidé de positionner le diplôme traditionnel Grande Ecole au niveau Master, établissant l’équivalence Programme Grande Ecole de Commerce = MIM. Cette approche s’est avérée très pertinente car elle a instantanément permis aux écoles françaises d’être « visibles » au niveau européen et ce sans modifier du tout leurs "Programmes Grande Ecole". C’est d’ailleurs le classement MIM du Financial Times qui a souvent été cité au cours des derniers mois qui fait apparaître la domination des écoles françaises en Europe (6 écoles dans les 10 premières !).
Nous avons rapidement évoqué le cas de l’ESSEC et il convient d’y revenir ; en effet l’ESSEC a décidé de référencer son programme Grande Ecole en tant que MBA et non pas en tant que MIM pour lequel elle "présente" un autre cursus. Le raisonnement retenu par l’ESSEC étant que l’expérience professionnelle acquise pendant la scolarité tendait à devenir très importante - près de 2 ans - et qu’il n’y avait donc pas de raison de ne pas considérer le programme Grande Ecole comme un MBA (on parle alors de « Junior MBA »). Cette stratégie est risquée car certains journaux comme le FT ne sont pas convaincus par cette argumentation et ne prennent donc pas du tout en compte le Programme Grande Ecole de l’ESSEC dans leurs évaluations (que ce soit pour le classement MIM ou le classement MBA). Mais très récemment un classement flatteur dans le Wall Street Journal (7e MBA au niveau mondial !) a modifié légèrement cette perception.
Pour terminer ce tour d’horizon, il nous faut évoquer la formation continue (Executive Education). Ce sont des programmes de durée plus courte, spécialisés, focalisés sur un domaine comme le marketing, la finance ou encore la comptabilité. Ils sont dispensés à plusieurs personnes d’une même entreprise (programmes dits intra ou sur mesure) ou à plusieurs personnes d’entreprises différentes (inter). Ces programmes font aussi l’objet de classement.
Cocorico !
Au final certains journaux établissent des "méta-classements" qui combinent tous ces types de formation en gestion (dans le cas du Financial Times le palmarès général est une synthèse de 5 classements publiés chaque année par le journal : le MIM/MSc, le MBA temps plein, l’Executive MBA, les programmes de formation continue interentreprises et sur mesure). Ainsi HEC a pu se prévaloir du titre honorifique de meilleure Business School européenne puisque l’institution cumule les podiums pour chacune des formations référencées. Il convient de noter néanmoins que certaines institutions prestigieuses sont absentes sur certaines créneaux du classement ce qui ne les favorise pas (ex. : la London Business School, l’IMD de Lausanne ou l’INSEAD n’ont pas de MIM, l’ESCP n’a plus de MBA, l’ESSEC n’a pas de MBA référencé dans le classement...).
Globalement on peut donc dire les Grandes Ecoles françaises sont très bien classées lorsque leurs programmes sont pris en compte.
Alors comment choisir ? On peut considérer que toutes Grandes Ecoles en tête des classements dispensent des formations de qualité. Pour le Programme Grande Ecole, on peut alors continuer à se fier à l’immuable hiérarchie ou privilégier une approche plus « fine » en regardant dans le détail les cursus, les spécialisations ou encore les parcours des diplômés. Aussi, si l’on peut faire des reproches significatifs aux Grandes Ecoles (formatage, manque d’ouverture aux classes moyennes et populaires...), elles remplissent très bien leur rôle essentiel : fournir une formation diplômante qui débouche sur un emploi avec de réelles perspectives. En outre, la reconnaissance internationale permet à leurs diplômés de travailler facilement à l’étranger ou au sein de groupes internationaux. En ces temps où l’enseignement supérieur français est souvent stigmatisé (parfois à tort, car dans des secteurs comme l’informatique, la finance ou encore les bio-technologies nous avons d’excellentes formations) cela valait d’être rappelé.
* on notera que, le plus souvent, ce sont les écoles elles-mêmes qui fournissent les informations qui sont utilisées pour les classements. D’ailleurs, on peut parfois s’interroger sur leur fiabilité (salaires notamment). On peut aussi s’interroger sur les liens - publicité - entre les institutions et les supports qui les classent.
PS : les Grandes Ecoles ont développé des possibilités d’admission sur titre. Nous n’avons pas traité ici les problématiques spécifiques qui peuvent s’y rapporter.
Liens :
Un papier intéressant sur l’évolution (possible) des MBAs par Stéphan Bourcieu : http://www.escdijon.com/download/fr/ceren/cahiers_16/bourcieu.pdf
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