Écologie relationnelle : les bases pour sauver le monde
« Si tu veux faire la révolution, réforme d’abord ton cœur »
- Alexandr Malov, festival Burning Man 2015
Beaucoup de nos conflits, dont la somme se manifeste au niveau global par les oppressions, les guerres, et les atteintes à la nature et à l'environnement, naissent, outre les peurs qui en sont aux origines, d'une communication défaillante, anxiogène ou "verticale", c'est à dire basée sur des rapports d'évitement, de soumission ou de domination, institutionnalisés ou non et souvent subtils, entre les simples êtres humains que nous sommes et qui aspirent pourtant généralement à être considérés comme tels.
Patricia Patfoort, conférencière et médiatrice dans le domaine de la transformation des conflits, invite ainsi à passer dans nos relations d’un rapport déséquilibré « Majeur-mineur » traduisant des situations asymétriques artificielles, que l’on retrouve à travers les complexes psychologiques (supériorité/infériorité par exemple) et autres troubles de la personnalité, à une relation d’équivalence entre deux individus, qui en déverouillant les flus d'informations va favoriser une communication plus authentique.
L’analyse transactionnelle(AT), grand courant de la psychologie américaine, selon une formulation différente mais des principes identiques, encourage à des rapports « Adulte » - « Adulte » plutôt que de « Parent »- « Enfant », légitimes dans leurs aspects positifs, certes, durant la petite enfance, mais qui lorsqu’ils sont trop conservés figent plus tard les parties progressivement dans des rôles paternels ou maternels souvent malsains.
Une configuration déviante que l’on retrouve dans le triangle dramatique de Karpman, Persécuteur/Victime/Sauveur, l’apanage du premier étant de punir, le second de s’auto-flageller et le troisième de donner toujours ses " bons conseils". Des rôles qui au sein d’une même discussion peuvent s’intervertir, voire se confondre, même s’il n’y a que deux personnes. Attention au « sauveur » qui sous couvert de bonnes intentions cherche en réalité à modifier une situation qu’il trouve gênante, tout en espérant secrètement une gratification. Les intentions cachées de celui-ci se révèlent d’ailleurs assez souvent lorsqu’il se retrouve en position d’échec, ne se sentant de par la même pas reconnu à sa juste valeur, et changeant finalement son fusil d’épaule en endossant le rôle cette fois-ci beaucoup plus directif du « persécuteur », qui s’estime d’ailleurs lui aussi souvent victime… de ses propres souffre-douleur.
Car il s’agit de jouer avec le sentiment de culpabilité qui va bloquer au final toute forme de communication, via le sentiment de honte qu’il provoque et entretient, la victime, elle, se complaîsant dans une position de soumission et de passivité infantiles.
On retrouve cette logique poussée à l’extrême dans les relations toxiques, où les pervers narcissiques, les personnalités tyranniques, ou autres dépendants affectifs se tirent la bourre à cœur joie sans avoir la possibilité de pouvoir en sortir et que les organisations sociales pyramidales (verticales) -sans forcément aller jusqu'à être autoritaires- sans le savoir, encouragent allègrement.
Droite magistrale, mais non-règlementaire. Bagarre générale au parlement ukrainien, années 2010.
Communication non violente (CNV)
Mais il ne faudra pas attendre d’en arriver à de tels cercles vicieux pour réaliser que chaque fois que nous nous comportons en ce que M.Rosenberg* appelle des chacals, nous avons de fortes chances de provoquer un triangle dramatique….
*(« Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs, introduction à la communication non-violente »)
D’après le créateur de la CNV, le comportement chacal consiste principalement à adopter les modes de communication suivants, qui incitent à des paroles et des "comportements violents", une communication qu'il appelle « aliénante », ou « qui coupe de la vie » :
- Les jugements moralisateurs (critiques, reproches, étiquetages, insultes, diagnostics,...)
- Les généralités, parler en « on »
- La notion de « mérite »
- Le refus de responsabilité : « il faut », « je dois »
- Faire des comparaisons
- Confondre exigences et demandes
Écouter
Etre chacal, c'est aussi à empêcher, dans une conversation, ses interlocuteurs d'aller au bout de ce qu'ils ont à dire. Schéma extrêment fréquent, voire inévitable, il se traduit par le fait classique de vouloir avoir raison, mais aussi par une liste d'écueils parfois très subtils :
- Corriger
- Consoler
- Dévier sur des anecdotes
- Clore la question
- Compatir
- Interroger, investiguer
- Expliquer, analyser, se justifier
- Conseiller
- Surenchérir
- Moraliser
- Dédramatiser
Remettre l'ego à sa juste place, consistera ainsi, pour soi-même, à débusquer les masques et rôles artificiels auquels on s'accroche, mais aussi à surveiller son intention, son langage et sa façon de parler face à l'autre personne, afin que chacun puisse aborder une conversation sans avoir affaire à un « papa », une « maman », un « agresseur », une « victime », un « sachant », un « serviteur », un « assisté », un « être parfait », un « homme », une « femme », une « variable d’ajustement », "un ange", une « pauvre créature », un "centre du monde ", un "connard", ou un « troll »….
Il ne s’agit bien entendu pas de supprimer les fonctions ni les conventions sociales nécessaires marqueurs d’une autorité légitime dans des domaines particuliers, ni d’empêcher, par exemple, un policier, un prof, un patron, ou un parent de faire son travail, mais d’écarter l’identification psychologique névrotique abusive qui peut en être faite avec toutes les attitudes néfastes qui en découlent, comme l' abus de pouvoir notamment.
« Quand on se met dans le rôle du guérisseur, on bloque la guérison » M.Rosenberg
Écologie relationnelle
La description du langage chacal trouve sa correspondance dans l’œuvre de Jacques Salomé, psychosociologue et écrivain prolifique spécialisé dans le domaine de la relation, auteur de la méthode E.S.P.E.R.E ( Energie Spécifique Pour une Ecologie Relationnelle Essentielle) et qu’il appelle le « système SAPPE (Sourd, Aveugle, Pernicieux, Pervers, Energétivore) » caractérisant les effets sur les protagonistes des discussions ou règnent les injonctions, les menaces, les dévalorisations, les disqualifications, les culpabilisations ou le chantage, menant inévitablement à des rapports de soumission et d'opposition.
Araignée VS Tigre, ou le yin et le yang de la violence
Olivier Clerc, auteur de best sellers dans le domaine de la relation et du développement personnel, distingue ainsi, lui, deux types de violence : l’une qu'il nomme araignée, c'est à dire larvée, froide, insidieuse, toute faite de manipulations mentales et psychologiques (mensonge, mépris, médisance, insinuations, non-dits, persiflage, comportements de fuite, ...) l’autre qu’il appelle violence tigre, beaucoup plus "primaire" et facile à mettre en exergue car chaude et explicite, à l'image d'une agression physique ou verbale caractérisée. (Le Tigre et l'Araignée, les deux visages de la violence, Jouvence).
le couple, un révélateur
Ces modes de non-communication se retrouvent aussi dans les relations entre partenaires, sous des formes assez spécifiques, comme a pu l'établir C.Bushong dans son ouvrage "Les 7 erreurs à ne pas commettre dans un couple" :
1. Imposer l’intimité
2. Vouloir secourir l’autre
3. Considérer l’autre comme quantité négligeable
4. Vouloir avoir raison
5. Attendre que l’autre devine nos pensées
6. Jouer les martyrs
7. Laisser mourir la passion
N'oublions pas la relation à nous-même, finalement à l'origine de toutes les autres, et souvent figée dans des images auto-dévalorisantes ou faussement vaniteuses, qui entretiennent tous les jugements moralisateurs qui animent nos conversations de comptoir et débats politiques.

« La grande connaissance voit tout en un, la petite connaissance décompose en une multitude. »
Chuang Tseu
Moi
Les mécanismes amenant ainsi l’individu à s’identifier à des « personnages », avatars protéiformes d’une entité centrale génériquement appelée « moi », ou « ego », et qui semblent, selon de nombreux spécialistes, se développer dès la petite enfance au cours du développement psychique de l’être humain et être renforcés par les névroses, traumatismes, ou autres conditionnements socio-culturels, demeurent néanmoins mal connus, car insidieux et surtout très coriaces, y compris chez les individus s’étant engagés sur des voies de « connaissance de soi » ou même dites « spirituelles » qui ont pourtant paradoxalement vocation à les démasquer… L’emprise semble parfois telle que des personnes « reconnues » à un moment dans leurs traditions comme étant « illuminées », ou « réalisées », c’est à dire prétendument « sans ego », peuvent finirent elles-aussi à se complaire dans des rôles d’"élus" ou de gourous suivis et adorés par de multiples serviteurs et fidèles, avec tout le potentiel d’abus (intellectuel, émotionnel, physique, sexuel, financier,...) qui en découle, l’histoire nous l’a montré maintes fois et nous le montre toujours, les phénomènes d’idolâtrie s’observant d’ailleurs aussi bien en religion, que dans le monde du travail, du spectacle, ou bien sûr de la politique…
« Quand les hommes du genre le plus élevé entendent parler du Tao,
Ils le pratiquent assidûment.
Quand les hommes moyens entendent parler du Tao,
Ils y croient à moitié et puis l’oublient.
Quand les hommes du type le plus bas entendent parler du Tao,
Ils en rient gaiement.
Sans rires, il n’y a pas de Tao . » Lao-Tseu
Plus loin, plus proche, la non dualité
Certains courants méta-spirituels, comme la non-dualité**, pointent néanmoins cet écueil- parfois comparé à une addiction à « soi-même » ou même à une "hypnose collective"- en démasquant implacablement l’ « individu », reconnu comme étant totalement virtuel, pour ne pas dire fantomatique, ou morbide, si l’ on considère tous les dégâts que la maladie du « moi-je » et du sentiment d’être quelqu’un de particulier occasionne… Ainsi, la mort totale de l’entité fictive psychologique et de ses sentiments associés de séparation, de contrôle et d’agir personnel (cf notion de culpabilité ou de mérite), qui ne se limite pas, dans le meilleur des cas, à une compréhension simplement intellectuelle de son caractère factice (philosophie) mais se révèle au contraire dans un lâcher-prise spontané et une acceptation profonde de la réalité telle quelle dans toutes ses dimensions, est-elle ainsi souvent associée à la notion d’éveil spirituel ou de libération, phénomène qui semble cependant, d’après nos investigations, demeurer aussi rare et insaisissable, que mystérieux.
Les recherches de ces dernières décennies en neurosciences sur la notion de libre-arbitre semblent malgré tout corroborer de plus en plus l’expérience des anciens et des mystiques sur le caractère illusoire d’une telle entité individuelle auto-prétendument libre de ses choix.
Une mise en lumière plus vaste de ces découvertes, que nous estimons essentielles, qui sans pour autant remettre en cause la notion de responsabilité personnelle apparente évidemment nécessaire à la vie en société, pourrait aider notre culture à aborder d’une manière nouvelle notre relation à nous-même, à autrui, tout autant qu’à notre société moderne, mourant littéralement de son individualisme.
« Voir que je ne suis rien est sagesse, voir que je suis tout est amour. » Nisagardatta Maharaj
Plus d’info sur le thème de l’éveil : http://eveilimpersonnel.blogspot.fr/
Deux références de la non-dualité contemporaine : Tony Parsons, The Open Secret. Jeff Foster lifewithoutacentre.
**ou le Zen(Japon) , le Tao et le Ch’an (Chine), le Dzogchen (Tibet), l’Advaita Vedanta(Hindouisme), le Soufisme(Islam)...
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