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Accueil du site > Actualités > Société > Ecoutes : Bridoye et le Père Ubu

Ecoutes : Bridoye et le Père Ubu

Le titre, quelque peu énigmatique de ce billet, va vous obliger à faire appel à vos souvenirs de lycée et de littérature française. Si les choses n'ont pas changé (je doute fort qu'elles l'aient fait quand je constate le rythme du renouvellement de nos programmes scolaires), on étudie Rabelais en seconde, on avait donc quelque chance d'y rencontrer le juge Bridoye que, dans le Tiers Livre, Panurge va consulter à propos de son mariage éventuel. Ce juge à la particularité de s’en remettre au sort et donc aux dés quand les cas lui semblent difficiles. Qu'on n'aille pas ici me faire un procès pour diffamation, car je ne suis pour rien dans cette critique de la justice dont toute la responsabilité incombe à Rabelais lui-même et qui ne s'en cache pas. Le Père Ubu et sa gidouille sont sans doute moins présents dans nos programmes scolaires, mais, en revanche, Ubu est là, à tous les instants et en tous lieux, dans notre administration et je me suis même demandé parfois si l'être qui hante ainsi ses bureaux n'est pas plutôt un de ses parents né de l'union incestueuse de la Mère Ubu et du Père Soupe, héros de Messieurs les ronds de cuir, l'œuvre immortelle de Georges Courteline.

La décision de la Cour d'appel de Versailles dans l’affaire Bettencourt-Mediapart de l’an dernier que j’évoque ici, est la suivante et je rappelle les faits, tels que Mediapart les a mentionnés, même si vous les connaissez :

"La cour d’appel de Versailles a ordonné à Mediapart, jeudi 4 juillet, de supprimer toute citation des enregistrements de l’affaire Bettencourt. Son arrêt nous interdit, de surcroît, de les mentionner à l’avenir."

Le scandale est, en fait, non dans l'affaire elle-même, mais, au-delà, dans le fonctionnement de notre justice qui est non seulement archaïque mais largement incohérente. L'archaïsme extravagant de notre système judiciaire se marque tant par d'incontestables signes (depuis le langage prétendument médiéval et volontiers latin (ou prétendu tel) qu'on y emploie, même s'il ne satisfait en rien les historiens de la langue française jusqu'aux costumes ridicules dont on s'y affuble et auxquels on est si résolument attaché ). Tout cela n'est que comique ; plus grave est l'archaïsme dans les modes de fonctionnement.

La question des enregistrements qui sont au centre de cette affaire illustre parfaitement ce conservatisme forcené. En effet la validité des enregistrements réalisés et qui sont accablants pour le milieu dans lequel ils ont été réalisés sont considérés comme nuls et non avenus par la justice, dans la mesure où ils ont été réalisés à l'insu de ceux qui s'y sont exprimés. En vertu de ce même principe, on ne devrait jamais condamner, pour quelque forfait qu'il ait commis, un individu qui persiste a déclarer qu'il n'en est pas l'auteur et qu'on l’aurait certes vu l'accomplir … mais A SON INSU !

Comme je ne suis pas, et en rien, spécialiste de ces questions, j'ai consulté des auteurs plus qualifiés que moi (ce qui n'est pas trop difficile) et j'ai appris ceci sur ce point précis :

"Selon la matière, il est possible d'utiliser un enregistrement comme commencement de preuve. Ainsi, en droit pénal, un enregistrement obtenu, même de manière irrégulière, a une valeur d'"indice de preuve" selon la Cour de cassation (v. notamment cass crim 11 février 1992) ; (la Chambre criminelle a d'ailleurs estimé qu'une infraction commise pour obtenir une preuve était possible en vertu des "nécessités de la défense" (cass crim 11 mai 2004)).

En droit civil, la règle est un peu différente (Dieu seul sait pourquoi !). « Un enregistrement est également recevable (art 9 cpc), mais si il est fait à l'insu de la personne, il s'agit d'un procédé déloyal rendant la preuve irrecevable en justice (civ 2ème, 7 oct 2004). De plus, en matière civile, dans certains cas, la loi prévoit certains moyens de preuves obligatoires comme un écrit, rendant dés lors un enregistrement, même autorisé par la personne, totalement inutile. »

On constate que, dans la justice américaine, des documents enregistrés dans ces conditions seraient valables, alors qu'ils ne sont pas dans le système français (voir ci-dessus) qui est à cet égard totalement archaïque . Il est en effet désormais parfaitement possible, au plan scientifique et technique, de vérifier et de prouver que ces enregistrements n'ont pas été l'objet de manipulations et que le seul grief qu'on peut leur faire est qu'ils ont été obtenus, sans que les intéressés soient au courant de cet enregistrement.

 

Les dispositions françaises sont évidemment stupides ; dans ce domaine comme dans bien d'autres, il est certain que nous finirons par faire comme les Américains, de la même façon, nous échouons dans notre lutte comme beaucoup d'entreprises criminelles, car il est impossible à la police française d'infiltrer les réseaux criminels qu'elle poursuit en vainet qu’il faut donc que notre police et notre justice attendent que les malfrats soient assez stupides pour apporter d’eux-mêmes les preuves recherchées.

Cette justice, si sourcilleuse par ailleurs, ne semble pas avoir relevé que, devant le juge Gentil, Nicolas Sarkozy a déclaré, semble-t-il, n'avoir été qu'une seule fois chez Madame Liliane Bettencourt, alors qu'il y a des photographies qui le montrent en train d'entrer chez elle dans des costumes différents. Est-il un vrai Fregoli politique ou ces photographies ont été truquées par des gens qui lui en veulent ? Dans ce dernier cas, il est facile de faire authentifier ou récuser ces photographies par des spécialistes ; la chose est encore beaucoup plus facile que pour des enregistrements. Et dans l'affaire Cahuzac où les enregistrements téléphoniques sont pris en compte et valides à 60% (encore par la précision un trait rabelaisien… sans compter les femmes et les petits enfants…), J. Cahuzac savait-il qu'il était enregistré ? Il faudrait un peu de logique dans tout cela !

Il « appert », en tout cas, que notre justice ultraconservatrice ne prend pas en compte les avancées scientifiques et techniques dont la police et la télé font si grand cas. On ne voit pas pourquoi des enregistrements faits à l'insu des locuteurs, ne seraient pas valables en vertu du principe qu'ils attentent à sa vie privée. Quel rapport entre ces deux plans ? Toute enquête, sur qui que ce soit, où que ce soit et pour quoi que ce soit, n'est-elle pas, par principe et au départ même, attentatoire à la vie privée de celui qui en est l'objet ? C'est même grâce à cet indispensable attentat que se réalisent, le plus souvent, la découverte et la preuve de la vérité !


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10 réactions à cet article    


  • jako jako 12 mars 2014 12:21

    Bonjour Usbeck, je replace ici un poste à ce sujet :

    Ba, ce sont de grands acteurs, en réalité il y a cela PNIJ qui permet d’écouter tout le monde en France , soit ils ignorent les loies qu’ils ont votées soit ils enfument comme d’hab.
    merci de vos interrogations


    • Daniel Roux Daniel Roux 12 mars 2014 13:36

      La justice favorise les menteurs en privilégiant les débats oraux aux écrits, les effets de manches aux arguments, les affirmations gratuites aux preuves.

      La justice est hors de prix lorsqu’elle oblige à recourir aux avocats dès la cour d’Appel, aux huissiers qui disposent d’un monopole pour de nombreux actes, véritables sangsues du système aux honoraires prohibitifs et incontrôlés.

      La justice favorise certains aux dépens d’autres, lorsqu’elle accorde si facilement des reports d’audience à perpète et se rend complice de manœuvre dilatoires, obligeant la partie adverse à revenir une fois, deux fois, trois fois.. parfois, sans garantie aucune.

      La justice est faible avec les politiques et les notables et sans pitié pour les plus faibles. Qui n’est pas surpris d’apprendre les faibles condamnations avec sursis accompagnée parfois d’une inéligibilité minimale. C’est ainsi que les « Balkany » et autres « Carignon » reviennent se faire ré-élire par des électeurs amnésiques ou stupides.

      J’ai personnellement entendu un juge m’expliquer que les lois n’étaient pas les mêmes pour les bouchers et les juristes...Bel aveux de justice de classe..

      Et tant d’autres choses encore..


      • BA 12 mars 2014 13:53

        Mercredi 12 mars 2014 :

        La faute de Christiane Taubira.

        La ministre de la justice est disqualifiée. Le 10 mars encore, Christiane Taubira assurait qu’elle n’était pas au courant de cette procédure d’écoute de M. Sarkozy. Il s’avère qu’elle a menti. Le procureur général de Paris, François Falletti, vient de confirmer qu’il avait prévenu la chancellerie le 26 février, le jour même où les juges ont été saisis des présomptions à l’encontre de l’ancien président.

        Qui était au courant au gouvernement de la mise sur écoute de l’ancien président Nicolas Sarkozy ? La question fait l’objet d’une polémique, notamment après que l’opposition a dénoncé une manipulation politique. Loin de parler d’une seule voix, les ministres ont changé de version ces derniers jours. Après que Christiane Taubira a affirmé n’être pas au courant lundi, le premier ministre l’a démenti mardi, déclarant que la garde des sceaux et lui-même ont été informés de la procédure après l’ouverture d’une information judiciaire le 26 février. Mercredi, Manuel Valls déclarait avoir découvert les révélations dans la presse.

        Il ne pouvait en être autrement. La garde des sceaux avait elle-même réclamé, par une circulaire du 31 janvier, d’être informée par les procureurs généraux, « régulièrement, de façon complète et en temps utile », de toutes les affaires sensibles. On peut faire crédit à la ministre de ne pas intervenir dans les affaires individuelles. Mais elle a évidemment été informée. L’image d’intégrité patiemment construite par Mme Taubira s’effondre donc.

        Le premier ministre est entraîné dans cette chute. Jean-Marc Ayrault avait repris à son compte les arguments de sa ministre. Il a été contraint d’admettre, le 11 mars, qu’il était lui-même au courant. Et le reste de son plaidoyer – il ignorait le contenu desdites écoutes… – est inaudible.

        Quant au ministre de l’intérieur, Manuel Valls, il maintient avoir appris tout cela dans les journaux, et choisit donc le ridicule d’apparaître comme l’homme le moins bien informé de France ! Désormais, enfin, le chef de l’Etat lui-même est interpellé, inévitablement. Qui peut croire qu’il ne savait pas ?

        L’« équipe Sarkozy » a donc réussi à inverser la charge des soupçons et à faire oublier, pour l’heure, ceux qui pesaient sur elle. Belle performance ! Mais aux conséquences accablantes. Bien des Français doutent, déjà, du sens de l’intérêt général des responsables politiques. Ces rebondissements ne peuvent que renforcer leur défiance et leur écoeurement. D’une manière ou d’une autre, majorité et opposition en paieront le prix.

        http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/03/12/la-faute-de-christiane-taubira_4381615_823448.html


        • Luc le Raz Luc le Raz 12 mars 2014 14:14

           « l’opposition a dénoncé une manipulation politique » Comment ? On ose menacer Babu, Roi de la République ? Pourtant les gauchos devraient savoir que :
          Tout le monde y pue
          Y sent la charogne
          Y a qu’le grand Babu
          Qui sent l’eau d’Cologne
          Tout le monde y pue
          Il fait mal au cur
          Y’a qu’le grand Babu
          Qu’a la bonne odeur...

          Bref, ça sent pas bon ! smiley


        • usbek 12 mars 2014 16:29

          Vous savez, à n’en pas douter ; que les paroles de cette ritournelle sont de Pierre Dac qui , à ses heures, a fait bien mieux !


        • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 12 mars 2014 17:02

          Luc ,il manque les figues ,les bananes et les noix ...


        • spartacus spartacus 12 mars 2014 17:50
          Plus besoin d’écoutes téléphoniques, le 20h de TF1 suffit...

          Et puis si une écoute indique le contraire il suffit de faire jusrisprudence du Taubirisme. Niez avec force ce que des millions de personnes ont entendu :

          La question : « L’avez-vous appris comme nous, en lisant le journal Le Monde à 13 heures vendredi [7 mars], ou avant ? » 
          La réponse :  « La réponse à votre question est très claire : je ne le savais pas avant. ».

          Et puis le surlendemain écrire dans un journal de gauche subventionné.
          Déclaration officielle d’un « ministre de la justice » : « je n’ai pas menti et j’ignorait !  ».

          • lala 13 mars 2014 10:52

            Nos politiques nous prenent non seulement pour des cons mais pour des incultes. Non il n’ y a pas que les enarques (école du mensonge) qui ont un cerveau mais aussi tous les Francais. Ces Francais qui se sentent la risé du monde par l’image renvoyée du pouvoir.


            On se croirait revenu à l’époque de Mitterand (manque les petits suicides entre amis). Mais les coups tordus sont là . Pas de mises en examen mais les journaleux condamnent en souflant sur les braises.
            Pendant ce temps la haut on se congratule à coup de poignard dans le dos et on se gausse des francais et de leurs problèmes au quotidien. 
            Nos députés s’engraissent , refusent de toucher à leur retraire et ont fait de la politique une rente à vie.

            • usbek 13 mars 2014 11:36

              Sans parler des faux vrais suicides de magistrats, des frères (Copé) et des fils ennemis (Buisson) et des épouses qui crachent le morceau sur leur « Man » (l’ex mari pas l’Ile du même nom !) Quel roman !


            • baldis30 13 mars 2014 20:50

              Sur le plan technique les investigations des organismes italiens antimafias semblent bien plus puissantes que celles mises en œuvre en France.

              Or dans toutes les affaires qui courent à présent, de Cahuzac à Sarkozy, de Copé à ............ on a vraiment à faire à des processus mafieux ? n’y a-t-il pas dans l’arsenal pénal français des dispositions semblables aux dispositions italiennes ....

              Si j’élargis le plan judiciaire, je me demande s’il serait possible en France de tenir des procès comme les deux récents de Turin ( Amiante et Fonderie Thyssen), et de les tenir aussi rapidement. Voir aussi cinquante ans en arrière le procès du Vajont ( écroulement du Monte Tocco) .... pas de parallèle.. surtout pas ... 

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