Emeutes de la faim, émeutes du pétrole, émeute en général
Les médias se sont largement fait l’écho des émeutes de la faim dans le monde. C’est dans les pays pauvres que ces émeutes arrivent, parce que le niveau de vie est réduit et que le revenu des pauvres y est tellement réduit que toute tension sur le prix de l’alimentation se fait sentir. Mais les émeutes sont aussi vieilles que l’humanité et, sans doute, elles appartiennent à l’essence du genre humain, comme le langage selon Aristote, le travail selon Hegel, le rire selon Bergson.

Peu d’entre vous connaissent ce groupe de travail pas institutionnel pour un sous, cette structure en marge baptisée Observatoire de téléologie et dont le centre d’intérêt est l’émeute. Un site présente quelques textes dont l’édition complète figure dans un gros livre passé à l’écart du tintamarre médiatique. Certes, il faut rester prudent sur la partie philosophique, largement inspirée par un hégélianisme appliqué au spectacle ; la lecture n’en est pas moins intéressante, traçant quelques lignes de convergence sur le phénomène des émeutes dont on connaît quelques dates signifiantes. En 1789, il y eut des émeutes, notamment en raison de la famine régnante. En 1917 aussi, mais ce fut plutôt contre une famille régnante.
Une idée intéressante ***, c’est cette opposition entre la raison collective de l’Etat et l’émotion collective présente chez les émeutiers et qui est jugée comme pré-rationnelle, comme une ébauche d’un débat qui n’aura sans doute pas lieu car la réponse de l’Etat, c’est la répression en général. On pourrait dire que la guerre est la marque de fabrique des Etats qui se combattent entre eux (de 1918 à 1945) alors que l’émeute est un combat mené par une partie du peuple contre l’Etat. J’allais ajouter, cette partie est en général la plus pauvre. Ce qui réduirait la portée du phénomène, excluant Mai-68 et toutes ces frondes de jeunesse nous conduisant à Seattle, Gênes et les altermondialistes sévèrement, méchamment réprimés. Les émeutiers de 68 étaient plutôt dans les classes moyennes supérieures. Certaines émeutes sont spontanées, souvent dans les pays pauvres. D’autres se produisent lorsqu’une manifestation dégénère. Des émeutes, il y en a eu récemment dans notre histoire. Notamment après la chute du Mur, si l’on en croit l’Observatoire qui a recensé une période assez chargée en émeutes, dispersées sur la planète, de 1988 à 1995, avec une phase culminante autour de 1993, Intifada en Palestine, émeutes dispersées dans le monde et en France, des mouvements plus sporadiques, souvent liés aux banlieues, n’ayant jamais abouti sous forme d’insurrection. A noter ce détail qui maintenant a tout son sens. Les médias auraient boudé les émeutes, et ce, de manière concertée, en 1991. Un silence contrastant avec le vacarme de l’Intifada. Il semblerait, si ma mémoire est bonne, qu’une sorte de contrôle médiatique se soit poursuivi sous le gouvernement Balladur. Patrick Sébastien avait laissé entendre quelques menaces pesant sur sa personne en cas de dérapages sur certains sujets sensibles.
Quel va être le niveau d’émeute ces prochaines années. Flambée de l’alimentaire, du baril de pétrole, flambée des esprits, échauffements des individus. Le président prend la question au sérieux, mais met-il les moyens suffisants ? On a vu quelques émeutes sporadiques provenant des pêcheurs, mais d’autres professions vont être touchées, taxis, ambulanciers, chauffeurs routiers et tous ceux qui utilisent leur véhicule de manière intensive. Des professions aux puissants réflexes corporatistes. Comment tout ce monde va réagir si le carburant monte encore, frôlant d’ici deux ans les 2 euros, hypothèse raisonnable si le baril atteint 200 dollars. Aurons-nous dans les pays développé des émeutes du pétrole ? Et pas seulement les plus riches, puisqu’en Iran des petites frondes ont déjà eu lieu pour quelques centimes à la pompe. Rien n’est prévisible. Tout dépend de la balance entre raison et émotion, une balance dont le poids n’est pas affiché ni mesurable !
*** Morceau choisi de l’Observatoire de téléologie
« L’émeute moderne est l’allumage du négatif. Cette émotion, devenue bidonville de l’authenticité, se retourne contre la raison, devenue palace de la falsification. C’est un renversement historique que l’émotion, l’absence de conscience même, la gueuserie par excellence donc, réalise désormais la pensée, en s’insurgeant contre la raison comme pensée réifiée, comme éternisation de la domesticité à l’esprit. Cette dispute, dont l’émeute est le début toujours jeune, n’est que la vieille dispute entre l’intransigeance de la subjectivité et le conservatisme de l’objectivité.
L’émotion collective c’est l’émeute, et la raison collective c’est l’Etat. Aujourd’hui toutes les émeutes sont contre l’Etat et tous les Etats sont contre l’émeute. Dans la même proportion que l’Etat et les idéologies qui le cimentent sont labourés par des bourrasques d’esprit, les émeutes des pauvres modernes contre l’Etat se multiplient. Or, cette multiplication significative de négations radicales, au lieu de refléter la distance grandissante entre l’organisation immobile de cette société et le mouvement des humains qui la composent, est systématiquement minimisée : d’abord, le fait que les émeutes soient si courantes est présenté par l’ennemi comme si elles étaient donc un mal inévitable, sans signification historique, ayant toujours existé et qui existera toujours ; ensuite, c’est la police, donc l’Etat, qui a le monopole des informations sur les émeutes : si elle le peut, elle les tait, si elle ne le peut pas, elle en avoue des proportions aussi réduites qu’elle le peut ».
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