En 2008, l’Italie vit encore sous des lois de Mussolini !
La presse européenne, qui vit sous la protection juridique de l’état de droit garanti notamment par la Charte européenne des droits de l’homme, à quelques exceptions près, n’a pas fait beaucoup de bruit sur ce que tous les citoyens modernes de l’Europe devraient considérer comme une véritable insulte aux valeurs humanistes universelles et laïques, aux libertés citoyennes et à l’indépendance de la justice : le jugement rendu le 21 février 2008 contre le magistrat italien Luigi Tosti.
L’histoire de l’Italie humiliée par une décision judiciaire inconcevable en 2008
Au XXe siècle, le peuple italien, un peuple qui se confond pour l’immense majorité des citoyens du monde, avec amour de la vie, passion de la liberté, indépendance d’esprit et la Renaissance des arts, des lettres, des techniques et des sciences contre l’obscurantisme médiéval préservé par l’Eglise catholique de l’époque, a souffert d’une féroce dictature : le fascisme mussolinien.
Ce régime a amené l’Italie à s’engager dans des conflits sanglants et coûteux, en Ethiopie notamment, puis dans les Balkans, liant dès 1939 son sort à celui du régime nazi en Allemagne.
A cause de cette alliance des deux régimes dictatoriaux, ce peuple magnifique, enfant du soleil méditerranéen, de vins merveilleux et d’une cuisine délice des palais raffinés, a dû subir, avec plus de vingt et un ans de répression policière, une guerre terrible sur son propre territoire, pour en chasser à la fois le régime de Mussolini et les troupes nazies d’occupation.
En 1945, exsangue, l’Italie a voulu se rebâtir sur un modèle démocratique, social et laïc, mais sa reconstruction a été entravée par les crises politiques à répétition, la corruption endémique des partis se partageant le pouvoir (démocratie chrétienne et Parti socialiste) et un appareil d’Etat dont certains organes - notamment ses services secrets - ont joué à des jeux dangereux pendant l’époque appelée « les années de plomb ».
A cause de ces faits et de l’influence encore significative à l’époque de l’Eglise catholique dans la vie politique nationale, une Eglise pourtant « force de collaboration active » du régime aboli, la modernisation de l’Etat en Italie ne pourra aller jusqu’à instaurer une véritable législation laïque, pourtant nécessaire à la stabilité du pays et à sa concorde civile, à l’intégration de populations immigrées de diverses origines, notamment des pays des Balkans, d’Afrique et de Tunisie, qui ne sont en général pas de confession catholique.
A cause de cet état de choses, à ce jour, dans les hôpitaux, les écoles, les tribunaux et les édifices publics, le crucifix marquant la survivance des lois mussoliniennes contre la laïcité voulue par les Pères fondateurs du pays est toujours accroché sur les murs, comme une résurgence permanente d’un passé qui devrait être laissé à l’Histoire et enlevé des murs publics.
Ce maintien d’emblèmes religieux ostentatoires dans les lieux publics en Italie est contradictoire aux règles de la neutralité en matière de religion de l’Etat italien. C’est aussi et surtout un refus de la modernité qui exige la sécularisation des lieux publics et, partant, de l’Etat, dans un pays où la pratique religieuse a énormément reculé et où diverses religions cohabitent dorénavant.
C’est dans ce contexte que le jugement contre le magistrat Luigi Tosti arrive comme une insulte faite à l’Histoire de l’Italie, aux combats passés du peuple italien pour émanciper la pensée des influences religieuses, et permettre la naissance d’un véritable Etat laïc.
Ce jugement est aussi une gifle d’un passé révolu à l’Europe moderne du XXIe siècle.
Par ailleurs, la persistance de cette situation intolérable au XXIe siècle avive et exacerbe des tensions de nature religieuse et communautaire dont l’Italie n’a vraiment pas besoin pour assurer son avenir dans un contexte de plus en plus difficile, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Les faits, les racines des textes légaux et le jugement rendu
Remontons dans l’histoire pour comprendre la signification archaïque et déplacée à tous points de vue du maintien des crucifix dans les lieux publics, notamment les tribunaux d’Etat en Italie.
Les tribunaux de l’Inquisition, de sinistre mémoire en Europe, surtout en Italie, Espagne et France, siégeaient sous le crucifix et les juges-clercs rendaient, au nom des dogmes exclusifs d’une Eglise monolithique appuyant les pouvoirs séculiers aristocratiques, des jugements en rapport exclusif avec les seuls canons de leur croyance.
Cette Inquisition qui pratiquait « la justice » sous le signe de la croix a assassiné, emprisonné, torturé des gens de toutes conditions et opinions durant des siècles : libres penseurs, scientifiques, artistes, clercs contestataires des dogmes officiels, protestants, apostats, hérétiques, Juifs et la liste peut encore être allongée avec les artistes et les écrivains plus ou moins "libertins".
L’Inquisition jugeant sous le signe de la croix est une marque d’infamie tracée en lettres de sang dans le passé de l’Italie et... de l’Europe.
Cette image médiévale, qui rappelle à toutes et tous les infâmes « procès » de Gordiano Bruno ou de Galilée, est toujours vivante en Italie, Etat membre de l’Union européenne, en février 2008 : les juges italiens rendent la justice au nom, certes, de lois sécularisées, mais toujours sous le crucifix, comme d’autres juges ailleurs le font sous le signe du Coran, et de plus continuent à y appliquer les textes de la Charia.
Il y a là une anomalie criante, une situation ubuesque, un refus patent de la modernité, de la nécessaire neutralité religieuse des lieux publics qui ne devrait pas être tolérée en Europe en 2008.
Ces crucifix, accrochés dans tous les lieux publics, sont de plus l’héritage MAINTENU jusqu’à ce jour de lois et textes réglementaires du fascisme mussolinien, combattus par tous les partis démocratiques et la Résistance italienne.
Citons-les pour information avec leur date de publication :
- circulaires de l’instruction publique du 22 novembre 1922 et du 26 mai 1926 ;
- ordonnance ministérielle du 11 novembre 1923 ;
- circulaire du ministre Rocco du 29 mai 1926.
En arrière-plan, nous trouvons les accords de Latran de 1929 - le lieu même où récemment un illustre responsable français est venu proclamer son rejet des principes laïcs contre la volonté largement majoritaire des citoyens de son pays et en outrepassant largement sa fonction républicaine.
Ces accords, signés en 1929 entre Mussolini et le pape Pie XI, jamais dénoncés eux non plus, donnent le cadre du régime de concordat entre l’Etat italien et l’Eglise catholique, même si le catholicisme n’a plus officiellement statut de religion d’Etat aujourd’hui.
Rappelons que ce sont ces accords qui ont défini le soutien de l’Eglise catholique au régime de Mussolini, aux mesures anti-juives, à la dictature du parti unique fasciste et à sa politique militariste de nature coloniale, laquelle a conduit à la mort des centaines de milliers de jeunes citoyens italiens sous l’uniforme en Afrique, dans les Balkans et en Russie.
Le délit dont est accusé le juge Tosti est clair : celui-ci a en effet refusé de siéger plus longtemps sous cet emblème religieux qui attaque la neutralité de l’Etat italien et rappelle son passé dictatorial. Il avait demandé son enlèvement à son administration en 2005 ; celle-ci s’y est refusée.
Pour cela, en application des textes mussoliniens non abrogés à ce jour, il avait déjà été condamné une première fois le 18 novembre 2005 par le tribunal d’Aquila, interdit de travailler et privé de sa rémunération.
De nouveau, il a été condamné, en raison des mêmes lois mussoliniennes le 21 février 2008.
Les réactions internationales et la nécessité de l’action citoyenne aux côtés du juge Tosti
La presse mondiale a évoqué ce procès et c’est souvent dans les pays non-européens que ce jugement a le plus surpris l’opinion par son « impossibilité » logique en 2008, et parfois indigné.
Pourtant, l’Italie a ratifié la Charte européenne des droits de l’homme qui garantit le respect de la liberté totale de conscience notamment et interdit de la sanctionner.
A l’évidence, les signes d’une religion dans des édifices publics est une atteinte permanente à cette liberté de conscience des citoyens, justiciables comme magistrats. Une fin rapide doit y être mise.
Paradoxalement, la neutralité de l’Etat italien en matière religieuse est légalement la règle : les registres d’état-civil, la justice, les écoles et les hôpitaux publics sont en principe « neutres ». Mais, cette « neutralité » n’est pas respectée, pire, elle est violée délibérément par le maintien des signes religieux catholiques ostensibles dans ces lieux.
Cela illustre une situation d’équivoque, ambiguë, anormale, lourde de conflits potentiels.
Et cela plus de soixante-trois ans après la chute du régime mussolinien et alors que l’Italie a joué un rôle non négligeable, via certains de ses dirigeants, dans l’édification de l’Union européenne.
Ce jugement apparaît donc comme une véritable provocation contre le pays symbole de la Renaissance européenne et des Lumières sur le continent.
Il rappelle de plus les procès de l’Inquisition dans la forme et dans l’esprit.
Il ramène le droit italien public sous un régime dictatorial qui a disparu. Il entend placer les magistrats et, derrière eux, tous les fonctionnaires italiens sous un emblème religieux particulier, contraire aux lois mêmes de l’Etat italien.
Il se heurte de plein fouet aux intérêts de la concorde civile dans une Italie qui a donc, pour accéder à une Europe moderne, en adéquation avec sa société actuelle, un besoin urgent d’une véritable législation laïque, similaire dans ses principes à la loi du 9 décembre 1905, à savoir une claire et nette séparation de la sphère religieuse et de la sphère publique.
Dans le monde entier, partis politiques, organisations laïques et humanistes, associations de défense des droits civiques et sociaux, syndicats, citoyens, élus ont condamné immédiatement ce jugement issu d’un passé dictatorial et exigé que ce jugement soit annulé, les sanctions levées et le magistrat réintégré dans tous ses droits professionnels.
On attend aussi avec un grand intérêt les réactions publiques de la Commission européenne et du Parlement européen sur cette inqualifiable situation contraire aux plus élémentaires règles qu’elle a édictées et entend appliquer.
Au-delà de cette nécessité évidente en faveur du juge Tosti, qui n’est discutée par personne, se pose la question d’une véritable laïcisation de l’Etat italien afin que cessent ces anomalies, car de nombreux jugements concernant les écoles et les hôpitaux ont été rendus dans le même sens : le respect en 2008 des lois de la dictature mussolinienne.
Cela fait trois ans que les gouvernements italiens, de droite comme de gauche, refusent implicitement de laïciser réellement l’Etat italien et donc d’abroger les textes mussoliniens qui s’imposent de manière indue aux fonctionnaires italiens.
Cette hypocrisie collective des politiques italiens doit cesser dans l’intérêt même du pays.
Il est plus que temps que les autorités italiennes sortent la justice italienne de l’époque sombre de l’Inquisition et rompent avec le passé mussolinien, qu’elles laïcisent réellement tous les édifices publics et qu’elles promeuvent réellement un Etat laïc moderne, en adéquation avec la société italienne d’aujourd’hui qui n’a rien de commun avec celle de 1926-1929.
Les citoyens de France et du monde entier peuvent aussi aider par leurs prises de position en soutien au juge Luigi Tosti à faire arriver cette deuxième nécessaire Renaissance italienne, indispensable à ce pays au passé prestigieux qui ne doit pas le voir salir par de tels jugements indignes de lui.
Que l’esprit de liberté des Lumières de France et de la Renaissance italienne puisse s’unir pour que le combat du juge Tosti soit couronné de succès.
NB : pour manifester votre soutien actif à Luigi Tosti,
voici ses coordonnées :
Juge Luigi Tosti- via Bastioni Orientali, 38 - 47900 Rimini (Italie). Email : [email protected]
De nombreuses associations et personnalités le soutiennent. Les informations sont consultables sur Google en tapant "Juge Luigi Tosti"
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